Je commençais à croire les anciens qui ressassaient que la fatigue ne se faisait jamais tant ressentir qu’en hiver. Les réveils étaient de plus en plus difficiles, et par conséquent je prenais de plus en plus de temps à émerger. N’ayant jamais été matinal, j’étais d’autant plus désagréable aux premières heures de la journée. Je ne cherchais pas les problèmes, je demandais juste à ce que l’on me foute la paix. Aujourd’hui n’avait pas fait exception à la règle, bien au contraire. Le réveil fut une fois de plus similaire à un électrochoc. Et ni la douche, ni le petit déjeuner ne suffirent à totalement me réveiller. Cela m’apprendrait à peu dormir chaque nuit. Me coucher tôt était une habitude que j’avais perdue depuis bien longtemps, et même si la fatigue s’accumulait, je peinais à me résoudre de rejoindre mon dortoir une fois la nuit tombée. Non, ça n’était pas possible. J’aimais dormir mais je détestais aller me coucher. Et même si ce matin là je m’étais promis de devenir raisonnable je savais qu’à la fin de la journée je me laisserai aller.
Les deux premières heures de la journée me parurent particulièrement longues. Lutter pour ne pas s’endormir était tout ce qu’il y avait de plus pénible lorsque l’on assistait à un cours. Ce matin en tout cas, les professeurs ne pouvaient pas se plaindre de ma sociabilité qu’ils jugeaient parfois dérangeante pour le déroulement de leurs cours. Pas un mot. Je n’avais qu’une seule envie, celle de regagner mon lit. Je crois avoir passé la plupart de mon temps à avoir regardé l’horloge qui se trouvait au fond de la salle. C’était comme si le temps s’était arrêté. Et à l’arrivée de l’heure fatidique, je ne tenais plus en place. Mes affaires étaient déjà rangées, je comptais bien profiter des quelques minutes de pause qui nous était accordé en milieu de matinée.
C’est ainsi que je fus le premier à sortir de mon cours d’enchantements. Il était dix heures passées, et il me fallait désormais me diriger vers celui de défenses contre les forces du mal. Depuis cette année, la cinquième de notre cursus, nous avions tous des cours différents, au choix. Ainsi les cours étaient rarement propres à une maison. Tout dépendait des matières que chaque étudiant avait sélectionnées. Il me fallait monter un étage, aussi malgré les caprices des escaliers cela ne me prenait pas tellement de temps. Une fois arrivé au quatrième étage, j’empruntai le couloir qui me faisait face. Je croisais pas mal d’étudiants, sans vraiment leur porter d’attention. J’étais très observateur mais agissais dans la discrétion. Je n’avais pas confiance en autrui, aussi je m’assurais de toujours garder mes distances, ou presque.
Une silhouette parmi les autres attira mon attention. Un regard furtif me suffit à l’identifier. La pétillante Opale Yaxley. Habituellement je n’avais que peu de considération pour ce genre de filles qui tenaient à la pureté du sang était comme à la prunelle de leurs yeux. Avec elle, tout était différent désormais. Etant de la même année, nous nous sommes toujours « connus ». Il nous fallut toutefois plusieurs années pour engager un quelconque dialogue. Avant cela, j’avais toujours été partagé entre agacement et admiration. Agacement parce que je ne partageais en aucun cas sa façon de penser et son intolérance. Admiration car elle avait toujours fait preuve d’une certaine prestance. Je crois qu’au fond, elle ne m’avait jamais laissé indifférent. C’est lors de soirées que nous avions réellement fait connaissance, et là l’inattendu se produisit. Le contact passa plutôt bien, et malgré nos différences. Depuis, nous accumulions les soirées et les moments de complicité mais nous restions discrets. Cette relation ambiguë m’intriguait. La jeune fille me plaisait, j’en étais conscient, mais je préférais laisser agir le temps.
Je ne pu m’empêcher de lui sourire, entre nous cela était déjà devenu une coutume. Nos regards ne pouvaient se croiser sans qu’un sourire d’enfant n’apparaisse sur nos visages de jeunes adultes. D’un point de vue extérieur, la scène devait même être attendrissante, mais de mon côté je n’avais pas même conscience de ces petites manies. Tout était naturel, et cela changeait de mon quotidien qui reposait d'avantage sur les apparences. « Je commençais à croire que tu désertais le château, Opale. », lui lançais-je sur un ton à mi-chemin entre mystère et amusement. Cela faisait un moment que nous n’avions pas eu l’occasion de discuter, en effet. Je l’apercevais de temps en temps, sans plus. Et je devais reconnaître que nos entrevues et surtout nos moments de complicité commençaient à me manquer, même si je n’étais pas pour autant prêt à l’admettre. Arrivé devant la jeune fille, je m’arrêtai alors, lui adressant quelques brefs regards. J’espérais que cette hasardeuse rencontre serait l’occasion pour nous de compenser ces dernières semaines bien chargées au cours desquelles nous ne nous étions que peu croisés.