Le parquet craquait sous ses pas, luisait sous la lueur des flambeaux fixés le long des murs. Avec ses colonnades et son plafond en voûte, la grande salle de réception des Lestrange possédait des allures de crypte ; les éclats de voix et les tintements des coupes se répercutaient contre la pierre, dans un bourdonnement indistinct. Timidement, Septimus se faufila entre les invités à la recherche d’un visage connu.
Du haut de ses six ans, il aurait sans doute pu passer inaperçu si les reflets des flammes dans ses cheveux bouclés, du même blond presque blanc que celui de sa mère, ne l’avaient pas trahi : on le reconnaissait, on l’appelait en riant, on baissait sur lui de longs regards hostiles, à peine camouflés par des sourires mielleux. L’héritier Lestrange ! Les doigts boudinés des adultes lui tapotaient la tête, lui pinçaient les joues, juste un petit peu trop fort, et il détestait ça. Il détestait qu’on le touche, il détestait les compliments, il détestait le tissu rêche des robes dans lesquelles il se prenait les pieds en trébuchant. Pourquoi tous ces gens l’observaient-ils ainsi ? Il ne comprenait pas : sa soeur était pourtant plus grande et bien plus belle que lui, mais elle n’attirait pas autant l’attention.
D’ailleurs, où était-elle ? Depuis une heure déjà, il la cherchait en vain au milieu de la foule. Sans Adrasteia, il se sentait perdu, désemparé. Même si elle se fâchait fréquemment contre lui, sa soeur était la seule personne qu’il aimait ; et si elle se montrait dure, parfois brutale, il ne s’en plaignait pas : il l’avait mérité. Quand Adrasteia le punissait, c’était par affection, afin de lui apprendre à rester à sa place. Il l’admirait tellement… Il aimait ses cheveux soyeux et sa taille fine, la douceur de sa peau, son élégance. Il ne se souciait pas des opinions des autres ; tout ce qu’il faisait, il le faisait pour elle. Il était si heureux quand elle lui accordait un de ses rares sourires !  
Alors qu’il se frayait un chemin parmi les invités, il aperçut soudain un éclat bleu perçant au détour d’une colonne. Méfiant, il s’arrêta. Les yeux sournois du chat le dévisagèrent, tandis que son dos s’arrondissait. Que faisait-il ici ? « Pssscht, Hadès ! » chuchota—t-il, mais l’animal ne bougea pas d’un poil. « Je n’ai rien fait de mal », dit-il d’un air coupable. D’ordinaire, le persan trônait dans le bureau de son père, lustrant sa fourrure blanche à coups de langues lascifs tandis que ce dernier recevait ses clients. En tant que membre du Magenmagot, Cyprian Lestrange avait d’abord siégé à la cour de justice parmi les jurés, avant de se spécialiser dans la défense des criminels. Les sorciers qu’il représentait étaient tous de riches Sang-pur baignés dans des affaires sordides et nébuleuses, mais il n’avait jamais perdu un seul procès. Si personne n’appréciait réellement les Lestrange, la réputation de Cyprian forçait le respect ; c’est pourquoi les clients qui venaient au manoir ne sourcillaient pas lorsque le chat plongeait au milieu des dossiers pour venir leur cracher à la figure.
Septimus battit en retraite. Un jour, il devrait prendre la place de son père devant l’imposant bureau en acajou. Alors on le craindrait, on le respecterait, plus personne n’oserait poser la main sur lui. Quand il tiendrait entre ses mains les rênes de l’empire familial, Septimus deviendrait aussi puissant qu’un roi. Et il pourrait faire d’Adrasteia sa reine.

Les lourds pans du choixpeau glissèrent devant ses yeux. Pendant un bref instant, il n’entendit plus rien que le silence fébrile de la Grande salle, le bruissement des capes et la respiration saccadée des élèves qui attendaient encore leur répartition. Il ferma les paupières, en essayant de se concentrer davantage sur le moment crucial qui allait suivre. Il savait qu’il n’avait pas le droit à l’erreur ; toute la réputation de sa famille était en jeu.
Puis une petite voix chuchota « Bonsoir ! » ; il se crispa, tendu. Ses mains se cramponnèrent aux bords du tabouret, et il se demanda qui s’adressait à lui, avant de se rendre compte qu’en réalité, personne n’avait parlé. La petite voix venait de l’intérieur de sa tête ; c’était le choixpeau.
« Succès, bonheur, célébrité… Eh bien, quelles ambitions ! Je peux voir beaucoup de détermination, mais tu n’es certainement pas un Gryffondor… trop lâche pour ça, oui… voyons voir… Tu es plutôt sociable et très patient… mais pas assez loyal pour un Poufsouffle… Où pourrais-je donc te mettre ? Serdaigle aurait peut-être pu te convenir, mais tu es tellement ambitieux… Bien… »
Le mot suivant (« Serpentard ! ») fut prononcé à voix haute, et Septimus sourit avec satisfaction.

En traversant la salle d’un pas conquérant, il sentit des regards lui brûler la nuque, mais il n’y fit pas attention. Les murmures, les rumeurs ne l’intimidaient plus depuis longtemps ; il avait appris à garder la tête haute et affrontait le monde caché derrière son masque de superbe et froide indifférence. « Qu’ils parlent », pensa-t-il. « Qu’ils parlent et me haïssent, qu’ils me craignent ou m’envient ; peu importe. Je les écraserai tous, un par un, patiemment ; je les piétinerai sans qu’ils me voient venir, sans le moindre remords, sans laisser de traces. »
Il longea la table jusqu’à parvenir à hauteur de sa soeur et prit majestueusement place à ses côtés. Adrasteia pencha la tête vers lui, les yeux mi-clos.
« Félicitations, petit frère » susurra-t-elle. Un sourire orgueilleux se peignait sur ses lèvres.
Pour la première fois depuis le début de la cérémonie, Septimus se sentit réellement serein. Il savait qu’il devait se tenir sur ses gardes : ici comme ailleurs, il avait des ennemis, des gens qui chercheraient à lui nuire, par principe ⎯ mais ils surmonteraient tous ces obstacles ensemble, comme ils s’étaient jadis occupés de Hadès, la mascotte fielleuse de leur père, et de tous ceux qui s’étaient dressés sur leur chemin.