On se demande parfois ce qu’aurait été notre vie si on était né ailleurs, dans une autre famille, à une autre époque. On se demande si on aurait été plus heureux, plus aimé, plus riche, plus beau, quel genre de personnes on aurait côtoyé. On se surprend à rêver d’une existence à laquelle on n’aura jamais droit, une existence illusoire qu’on pense vivre la nuit dans nos songes les plus secrets. On ferme les yeux, on se coupe du monde dans lequel on grandit pour devenir souverain d’un univers fantastique dans lequel on contrôle tout, dans lequel on a tout ce que l’on veut. Alors le matin on ouvre de nouveau les yeux et on se pleure notre existence et tous les défauts qu’elle comporte, on se demande pourquoi nous et pas un autre. Pourquoi on vit ? Pourquoi on meurt ? Pourquoi on rit ? Pourquoi on pleure ? Pourquoi, pourquoi, tant de questions auxquelles on ne répond jamais. Toute sa vie on part en quête d’un grand Peut-être, toute sa vie on se demande si on a fait les bons choix, si malgré le fait qu’on n’ait pu choisir l’endroit où l’on naît et l’on grandit, on peut quand même choisir où l'on va. L'humanité souffre et je souffre avec elle. J’ai souvent rêvé que je tombais, si on peut appeler ça un rêve. Ce genre de rêve où tu ne peux te raccrocher à rien, où tout ce que tu penses attraper se brise entre tes doigts. Tu te sens chavirer. Tu as beau hurler, rien n’y fait. Tu as peur, tu te sens minuscule et misérable. J’ai souvent fait ce rêve, aux moments difficiles de mon existence. J'ai pourtant des gens autours de moi qui me tendent la main quand je tombe et qui m'aident à me relever. Alors pourquoi je continue de tomber ?I've walked unsettled
rattle cage after cage
Until my blood boils
~ snow patrol, what if the storm ends ?La gifle s'abattit sur sa joue et le garçon chancela, avant de tomber sur les fesses. Il se cogna la tête contre l'armoire au passage, ce qui lui arracha une grimace de douleur. Finnigan avait l'habitude de recevoir des coups ; son père n'était pas tendre. Avec le temps, il avait fini par croire que c'était normal, et mérité. Que la violence n'était qu'un acte banal pour témoigner sa colère, et que faire du mal aux autres n'était pas une chose répréhensible.
« Ne me contredis plus jamais, Finnigan. C'est bien compris ? » Ledit Finnigan garda les yeux baissés et acquiesça doucement, en se retenant de porter sa main à sa joue brûlante.
« Oui père. » L'homme sembla satisfait.
« Très bien. Tu sais à quel point je déteste l'insubordination. La prochaine fois, je ne me contenterai pas d'une simple claque. Ne me met pas en colère, mon fils. » Le ton doucereux de sa voix lui donnait la nausée. Il hocha de nouveau la tête. Que pouvait-il faire d’autre ? Finnigan aurait fait n’importe quoi pour que son géniteur soit fier de lui. Il espérait encore, dix ans après, voir cette lueur d’émerveillement dans ses yeux quand il le regardait.
« Prépare-toi et descend, ils ne vont pas tarder à arriver. » Finn se releva tant bien que mal.
« Oui père. » La fête annuelle des Avery, celle durant laquelle tous les Sang-Pur « amis » étaient présents. Le garçon se devait de faire bonne figure. Il tituba jusqu’à son lit pour s’emparer de ses vêtements. Tout n’était que mensonge et faux-semblants. Argent. Superficialité. Magie noire, et ténèbres. Il ferma les yeux, soupira. Tout irait bien. Il était un Avery. C’était son monde à lui aussi, et il ne devait pas se laisser envahir par la peur. Le garçon observa son reflet dans le miroir. Avec ses cheveux bruns bouclés et leurs reflets d’or, ainsi que ses yeux bleu-gris, il avait l’air d’un ange. Un monstre caché dans un corps d’ange. On disait de lui qu’il airait loin, et qu’il aurait les femmes à ses pieds. On prévoyait déjà pour Finnigan un grand mariage avec une ravissante créature aussi pure que lui, alors que lui n’aspirait qu’à atteindre les sommets de la réussite professionnelle. Le reste lui importait peu, et il n’avait nulle envie de se marier avec une femme qu’il n’aimerait pas, quand bien même il n’avait pas le choix. La vie d’un Sang-Pur était aussi étouffante que rassurante : tout était réglé depuis l’enfance. Il n’aurait à faire que peu de choix, son père les ferait pour lui. Le garçon ajusta sa cape noire et descendit à l’étage du dessous, où les premiers sorciers arrivaient déjà. Il repéra vaguement ceux qui avaient plus ou moins son âge et s’en approcha, sourire suffisant aux lèvres. Ce soir-là, il était le maître des lieux. Un pauvre gamin de dix ans qui pensait qu’on lui devait tout.
« Mon père m’a acheté un super balais ! » s’exclama l’un d’eux. Ce à quoi une jeune fille, déjà à Poudlard, répondit :
« Quand tu seras à Poudlard, il sera déjà vieux et inutile. Et puis il ne peut pas être aussi bien que le mien. » Finnigan avait décidé qu'il était amoureux d'elle. Elle était trop cool. Il fallait se battre pour survivre. Être meilleur que les autres, dans tous les domaines, sans cesse. Il n’était même pas question d’amitié, mais de manipulation et de compétition. Le seul point d’ancrage à une réalité stérile et matérielle, à laquelle Finnigan prenait un mal plaisir à prendre part.
But now it's found us
like I have a found you
I don't wanna run,
just overwhelm me
~ snow patrol, what if the storm ends ?Son regard gris caressa l’immensité du château qui s’élançait fièrement vers les nuages dans la nuit paisible. Les barques glissaient lentement sur le lac silencieux et la quiétude nocturne n’était troublée que par les exclamations de surprise des élèves de première année qui faisaient cette année leur rentrée à l’école de magie Poudlard. C’était pour Finnigan comme pour les autres un évènement d’une importance capitale, et très excitant. Il était pourtant à peu près sûr de finir à Serpentard, comme toute sa famille avant lui. Mais si jamais il n’y allait pas ? Si la vie en décidait autrement ?
« Finnigan Avery. » appela le professeur. Le jeune garçon s’approcha lentement, les yeux rivés vers le vieux bout de tissu que l’on déposa sur ses cheveux.
« Hmm … Intéressant. Un esprit aussi réfléchi qu’ambitieux. Quelqu’un qui a autant de potentiel pour Serdaigle que pour Serpentard. Où vais-je bien pouvoir t’envoyer ? » Serdaigle ? Lui, à Serdaigle ? Impossible.
Serpentard, supplia-t-il dans sa tête.
Il faut que j’aille à Serpentard. « Serpentard ! » Finnigan soupira de soulagement en se relevant. Il ne pouvait pas en être autrement, son père n’aurait jamais accepté. Il esquissa un sourire ravi tandis qu’un tonnerre d’applaudissement s’élevait dans la grande salle du Château. Finnigan se prit rapidement d’affection pour Poudlard, ses couloirs interminables, ses escaliers rebelles, ses tableaux trop bavards et sa forêt interdite. Il excella au cours de potion et de botanique, qui devinrent de véritables passions. Il savait que d’une manière ou d’une autre, il ferait des potions son avenir professionnel. Il voyait arriver la fin de sa scolarité avec un mélange de crainte et d’impatience. Mais se profilait à l’horizon quelque chose qu’il redoutait et que sa scolarité empêchait : le mariage. Finnigan n’en n’avait aucune envie. Tout sauf se marier à une femme qu’il n’aimerait pas. Il ne le supporterait pas. Son cœur avait depuis longtemps succombé aux charmes d’une fille qu’il se devait de voir en secret, parce qu’elle n’était qu’une sang-mêlé. Pas « assez bien » pour lui. Son père n’accepterait jamais, et il n’avait aucun avenir avec elle. Mais c’était tellement douloureux de se dire que viendrait le jour où il la perdrait !
Ses bras s’enroulèrent autour de son cou et ses lèvres se posèrent sur les siennes avec tendresse.
« Alors c’est la fin … » dit-elle en riant. Finnigan aurait pu rire avec elle si les joues de la jeune femme n’avaient pas été inondées de larmes, en même temps que son rire s’échappait d’entre ses lèvres douces. Le cœur lourd, il embrassa encore et encore son visage. Ce visage qu’il aimait par-dessus tout et qui lui était à présent arraché.
« Tout ira bien. » souffla-t-il pour s’en convaincre lui-même. Ils auraient dû arrêter bien plus tôt, quand ils avaient compris qu’ils tombaient amoureux. Après deux ans de romance pure et simple, ils se détruisaient tout seuls.
« Comment ça pourrait aller ? Tu vas en épouser une autre, et moi je vais crever seule comme une conne en continuant de t’aimer. » Finnigan secoua la tête et prit le visage de la jeune femme dans ses mains.
« Hé. Je refuse que tu m’attendes. Toi, tu auras droit à un mariage d’amour, alors que je devrai épouser quelqu’un que mes parents auront choisi. Ne perd pas l’occasion d’aimer à nouveau à cause de moi. » Elle ricana et baissa la tête, avant d’essuyer ses larmes du revers de sa main.
« Je suis de celles qui croient qu’on ne peut aimer à ce point qu’une fois. Mais je vais essayer. » Elle lui fit un clin d’œil et se détourna, avant de quitter la pièce dans laquelle tous deux se retrouvaient pour passer du temps ensemble ; la salle sur demande. Il sortit à son tour et la dépassa sans un regard, pour rejoindre son groupe d’amis, plus loin. Il aurait aimé prendre sa main et l’attirer à sa suite jusqu’au train où ils se seraient enlacés pour se murmurer au creux de l’oreille mille promesses d’avenir. Au lieu de quoi il devait se contenter de la traiter comme une étrangère et supporter les regards de ses amis se posant sur la magnifique créature qu’elle était. Le cœur en miettes, Finnigan suivit les autres jusqu’à la gare qui le ramènerait à Londres. Poudlard, c’était bel et bien fini. Difficile à croire. Cela signait le premier jour du reste de sa vie. Il continuerait à apprendre l’art des potions et de la botanique, ainsi que l’art de l’enseignement. Il deviendrait, quand il le pourrait, professeur à l’école. Et il se battrait pour éviter de tomber dans les filets du mariage. Encore fallait-il se montrer subtile et minutieux pour faire accepter ses choix à ses parents. Mais un garçon qui aurait aussi bien eu sa place à Serdaigle qu’à Serpentard saurait agir avec discrétion et intelligemment.
« On se voit, cet été ? » lança son plus proche ami et passant son bras autour de ses épaules. Il y en avait au moins un des deux qui était ravi de quitter Poudlard. Finn sourit et acquiesça vivement.
« Pourquoi tu demandes, alors que tu passes de toute façon ton temps chez moi ? » L’autre rit, et Finnigan rit avec lui.
Painted in flames,
a peeling thunder
Be the lightning
in me that strikes relentless
~ snow patrol, what if the storm ends ?« Finnigan. » Monsieur Avery rompit le silence et déposa sa fourchette sur la table. L’homme releva les yeux vers son père. Il savait très bien ce qu’il allait dire.
« Tu as échappé depuis bien trop longtemps à tes obligations et je crains que tu ne puisses t’y soustraire. Les gens parlent beaucoup de toi, c’est humiliant. » Le silence qui suivit sembla interminable. Alors voilà, il y arrivait. Le mariage.
« Je voulais me concentrer sur ma carrière, père. » finit-il par répondre. L’homme hocha la tête ; si lui comprenait son point de vue, ce n’était pas le cas de tout le monde.
« Je le sais. Mais tu as aujourd’hui trente-deux ans, et il est temps pour toi de trouver une épouse. Tu as l’embarras du choix, nombre de familles pures seraient ravies de te donner leur fille. » Finnigan fronça les sourcils, irrité.
« Elles ne sont toutes que des gamines, et sont encore à Poudlard pour la plupart. Je ne veux pas d’une petite fille pour fiancée. » lâcha-t-il froidement. Son père avala lentement sa salive, son regard plongé dans le sien, puis éclata de rire.
« Tu dois bien être le seul homme sur Terre à refuser d’avoir une épouse de vingt ans. Mais mon fils, tu feras ce que je te dis. Que tu aies quinze ans ou trente ans, tu me dois le respect et l’obéissance. » Finn se mordit la langue pour ne pas hurler. Il devait rester calme, obstinément calme, définitivement calme. Il allait exploser. Il ne pouvait pas se marier, et surtout pas avec une fille de cet âge-là, une pauvre gamine dépourvue de cervelle. Finn se mordit la langue pour ne pas hurler. Il devait rester calme, obstinément calme, définitivement calme. Il allait exploser. Il ne pouvait pas se marier, et surtout pas avec une fille de cet âge-là, une pauvre gamine dépourvue de cervelle.
« Très bien. Choisissez pour moi celle qui vous plaira, puisque je n’ai pas mon mot à dire. » Il se leva sans ménagement et quitta la pièce rapidement, ignorant royalement son père qui lui ordonnait de rester. Il transplana jusqu’à son manoir, à l’extérieur de Londres. Les lieux étaient paisibles, entourés de champs. Finnigan s’y plaisait, s’il laissait de côté le fait que la solitude y était difficilement supportable. La maison était trop grande pour un seul homme, et deux elfes de maison. Agacé, il balaya du revers de la main le vase chinois hors de prix qui trônait fièrement sur la commode de bois de l’entrée et poussa le cri de rage qu’il retenait depuis trop longtemps.
Ses pas résonnaient dans le couloir vide du château. La lune était haut dans le ciel. Tout semblait calme, pourtant la menace était tapie dans l’Ombre. Un climat d’insécurité naissant assombrissait les cœurs et les esprits de chacun. Finnigan devait être là pour les élèves de Poudlard. Il veillait sur les jeunes Sang-Pur, et en particulier cette fille, Theodora de Valesco, qui avait su s’élever au rang d’élève favorite grâce à son talent dans sa matière et surtout sa place dans la société sorcière espagnole. Cet endroit était sans doute celui qu’il aimait le plus au monde. Il s’y sentait davantage chez lui que chez ses parents ou dans son propre manoir. Il se souvenait avoir parcouru ces longs couloirs de pierre en riant, s’y être aventuré la nuit pour retrouver sa petite-amie, s’y être battu, y avoir connu ses premières déceptions. Il se dirigea vers les cachots d’un pas rapide et ouvrit la porte discrètement. Une jeune femme était assise un peu plus loin, yeux clos. Elle semblait exténuée, lasse. Il l’observa quelques instants. Elle lui paraissait plus fragile que d’habitude, moins agressive … Et ça le rendait bien plus jolie. Finnigan finit par se racler la gorge, et elle se releva brusquement en croisant les bras sur sa poitrine. Déjà, elle adoptait cette attitude défensive et froide qu’elle arborait toujours avec lui.
« J’ai terminé. Je peux partir ? » cracha-t-elle. Il s’avança dans la pièce en laissant son regard parcourir les murs, le sol et les tables.
« C’est pas mal. » répondit-il avec un sourire amusé. Elle le foudroya du regard.
« Pas mal ?! J’ai cru que j’allais mourir ! Rendez-moi ma baguette, maintenant ! » Finnigan fouilla sa poche en fit tourner la baguette de la jeune femme entre ses doigts.
« Hmm … » Elle s’approcha à son tour vivement et essaya de lui arracher des mains. Le professeur leva la baguette en l’air, où elle ne pouvait pas l’atteindre. Elle était trop près de lui. Beaucoup trop.
« Je ne veux plus avoir à vous donner de retenue une seule fois de l’année. Je ne veux plus avoir à mentir à vos parents en disant que vous êtes une élève exemplaire. » Son regard furieux le transperça de part en part, une fois encore.
« Vous n’avez pas d’ordres à me donner ! » Finnigan ricana et attrapa son menton du bout des doigts.
« Vous savez très bien ce qu’il en est. Je dois vous protéger, vous devez me faire confiance et m’écouter. Sinon, aucun de nous deux ne s’en sortira vivant. » Elle déglutit et ses traits s’adoucirent un peu. Il la regarda quelques secondes, avant de la relâcher. Cette fille deviendrait sa femme quand elle quitterait Poudlard, dans quelques mois. Comment pouvait-il seulement penser à elle comme à une épouse ? Elle n’était qu’une enfant de vingt ans, et rebelle de surcroit. Il avait l’impression de passer sa vie à lui donner des retenues. Et de passer sa vie à la regarder.
« Allez vous coucher. » Elle récupéra sa baguette et soupira, avant de passer à ses côtés. Elle s’arrêta un instant, se retourna pour lui faire face.
« Vous venez dormir avec moi ? » demanda-t-elle, sourire moqueur aux lèvres. Il secoua la tête en signe de négation, furieux.
« Pourquoi pas ? On sera bien obligés, bientôt. » Il pointa sa baguette en direction de la porte qui s’ouvrit avec fracas.
« Allez vous en. Je trouverai un moyen de nous éviter ce mariage dont ni l’un ni l’autre n’a envie. » Elle se renfrogna, ce qui le surprit quelque peu. Il décida néanmoins de ne pas y prêter attention.
« Bonne nuit. » Elle referma la porte derrière elle. Finnigan se laissa tomber sur la chaise derrière lui et passa ses mains sur son visage. Sa vie était un enfer.