Mackenzie se tortillait sur son banc tout en fixant avec attention le plateau sous ses yeux. Les échecs sorciers n’avaient jamais été son fort : il admirait la technique mais n’était pas assez entraîné pour reconnaître d’avance les « coups » sournois que lui balançaient ses adversaires. À vrai dire, les rares fois où il acceptait d’y jouer étaient celles où il avait déjà épuisé toutes les distractions possibles pour ne pas se mettre à bosser et aujourd’hui ne faisait pas exception. Il avait une période libre de deux heures pendant lesquelles les autres élèves de sa promotion étudiaient des matières qu’il avait abandonnées avec plaisir, n’ayant pas obtenu les notes requises lors de ses BUSEs, et après s’être penché quinze minutes à peine dans les pages poussiéreuses de ses livres et gribouillé trois lignes sur un parchemin, il avait décidé qu’une pause s’imposait. Oui. Il ne fallait pas trop pousser, il avait déjà une séance de tutorat de prévue dans l’heure alors son cerveau devait respirer, comprenez ? S’aérer pour mieux se concentrer ensuite. Ou bien juste s’aérer pour s’amuser un peu, ce qui ne semblait plus vraiment être d’actualité depuis que la rentrée et ses cours plus ardus les uns que les autres l’avaient envahi de leur sérieux. L’insouciance des premières années, ah, qu’est-ce qu’il donnerait pour y goûter à nouveau ! La Grande Salle étant quasiment vide, Mackenzie, Cruz, Fergus et Tighe s’étaient étalés sur une moitié de table qu’ils avaient encombré de parchemins, livres et autres accessoires inutiles – pour qu’un professeur ou préfet passant par là ne les accuse pas de ne pas travailler – et étaient à présent occupés dans des parties d’échecs et de bataille explosive intensives. Très intensives. « Parce qu’apparemment, dans son monde à elle il faudrait qu’on soit au moins fiancés pour qu’elle me laisse mettre les mains là où je veux les mettre. Qu’elle ne vienne pas chialer si je la largue alors… » Tighe, toujours délicat à l’extrême dans ses propos, haussa un sourcil tout en observant sa tour exploser un cavalier de Mac. « Oui, bon, évidemment, c’est ce qu’elles disent toutes… en public du moins… » lança Cruz avec un sourire qui en disait très long. Fergus rajusta ses lunettes sur son nez, écarta de la main la fumée bleuâtre qu’avait créé l’explosion d’une paire de ses cartes avant de déclarer de sa voix monotone « Moi je n’y comprends rien, Aileen m’a clairement foutu un râteau l’autre jour et depuis elle n’arrête pas de me coller comme si j’étais une licorne tombée du ciel. » « Nooon tu as voulu sortir avec Aileen ? » Cette fois c’était Mac qui s’en mêlait, relevant soudainement les yeux de sa partie d’échecs perdu d’avance. « Hé, c’est qu’il commence à avoir bon goût le petit Ferguson ! » Cruz. « Aileen est une spécialiste du chaud-froid et ne marche qu’à ça, qu’à ça. Ignore-la complètement et elle reviendra papillonner illico. Cette fille est une… psychopathe. » « Une psychopathe en chaleur. », rajouta Tigue. Quelque part derrière eux un reniflement dédaigneux se fit entendre et ils tournèrent tous la tête vers deux filles qui les observaient avec un air de dégoût sur les lèvres, le nez à moitié plongé dans leurs parchemins. « Quoi, c’était pas grossier, si ? Je voulais simplement… je disais que… un simple constat… » Cruz laissa passer deux explosions de cartes avant de se retourner et de lancer dans un murmure parfaitement audible : « Laisse tomber Mac, une belle paire de nonnes ces deux-là… » Et Tighe renchérit, beaucoup plus bas : « Avec l’option troll gagnée à la loterie… » Ricanements dans l’audience. « Et en parlant de nonnes… ! » Mac glissa un œil morne à sa montre, un autre au sablier de Poufsouffle qui faisait de la peine comparé aux trois autres avant de s’étirer et de rassembler ses affaires d’un coup de baguette. « J’ai rendez-vous avec notre préfète-en-chef en personne… » « Oh, rendez-vous ? Rendez-vous ? » Fergus avait toujours profondément admiré Phèdre, de deux ans son aînée et habitant la même tour que lui, celle de Rowena Serdaigle. Il était même fortement possible qu’il en soit amoureux mais c’était difficile à dire, Fergus semblant tomber amoureux de toutes les filles qui passaient devant lui. « Seulement une heure de tutorat, Gus, seulement du tutorat… » « Je dois aller chercher un truc à la bibliothèque, je t’accompagne. » Tighe s’était levé en même temps que Mac et ils s’éloignèrent en direction du quatrième étage, continuant une discussion trop inutilement vulgaire pour être retranscrite ici. Ils avaient dix minutes de retard en poussant les portes de la bibliothèque mais aucun des deux ne le savait, ou même s’en souciait, car ils avaient pris tout leur temps et avaient bien mieux à faire que de surveiller leurs montres. Ils se crurent même en avance, parcourant les rayons à la recherche d’une Phèdre impossible à trouver, ou peut-être enterrée dans un coin qu’ils ne songèrent pas à fouiller ? Mackenzie déposa son sac sur une table libre, le cœur déjà lourd à l’idée de devoir se concentrer sur des sortilèges et plantes sans queue ni tête qui danseraient sous son crâne dans une farandole incompréhensible, et se laissa tomber sur une chaise en jetant un œil autour de lui. Pas de Phèdre à l’horizon. Tighe s’éloigna avec un clin d’œil en promettant de revenir très vite et laissa Mac tout seul, Mac dont l’aplomb de la dernière heure sembla se ratatiner sur lui-même. Et si Phèdre avait décidé qu’elle en avait marre, qu’elle ne voulait plus l’aider, qu’elle préférait partager son savoir avec quelqu’un de plus méritant, de plus concentré, de plus… Serdaigle ? Il sortit lentement ses affaires de son sac – même technique que dans la Grande Salle, pour qu’on le pense en train de travailler et lui foute la paix – et sortit une plume en sucre qu’il commença à mâchonner en jetant des coups d’œil inquiets autour de lui. Il était certain que Phèdre l’avait abandonné à présent. Certain. Et puis soudain, il entendit un bruit sourd et se retourna pour voir Phèdre et Tighe un peu sonnés, s’étant visiblement rentrés dedans une seconde plus tôt. Est-ce qu’elle venait d’arriver ? Est-ce qu’elle était là depuis un quart d’heure ? Aucune idée. Aucune importance. Tighe parut dévisager la préfète avec un sourire racoleur avant de filer dans la direction opposée et, enfin, Phèdre se dirigea vers Mac qui dut se retenir à grand peine d’exploser de rire. « Ce… ça va ? » Soyons sérieux allons, voyons. « J’ai cru que tu avais changé d’avis et que… tu avais décidé d’abandonner l’heure de tutorat. Tu me le dirais si c’était le cas, hein ? Tu m’enverrais un hibou ou bien tu ferais passer le message à Fergus qui me le dirait ensuite et… tu veux une plume en sucre ? J’ai un paquet plein, à peine ouvert. » Mac sortit une nouvelle plume de son sac, triomphant, remarquant à peine qu’il avait absolument dérivé du sujet initial. Fergus le remercierait sûrement un jour d’avoir mentionné son nom à leur préfète-en-chef, il en était persuadé. Bonne action du jour : check.
Pour une fois, Phèdre passait une journée plutôt agréable. Elle ne s’était pris aucune armure dans la face en se rendant à ses différents cours, ni aucune embrasure de porte. C’était un vrai miracle ! Même son apparence semblait plutôt soignée, ses cheveux ne partant pas dans tous les sens sous l’effet de l’humidité. Bon, elle avait toujours des cernes sous les yeux à cause de ses longues soirées à réviser ses cours, mais elle avait réussi à trouver la parade dans un des stupides magazines de beauté que lisaient ses camarades de dortoir. Mais pour une fois, les conseils s’étaient avérés utiles, et au lieu d’avoir de grosses valises noires sous les yeux, elles étaient maintenant juste un peu bleues, youhou ! Phèdre n’était pas spécialement coquette (voire carrément pas) mais elle en avait assez qu’on lui dise « waaaaah t’as de ces CERNES ma pauvre ! Faut dormir la nuit ! ». Elle espérait que maintenant, tout le monde lui ficherait la paix ! La journée de la jeune Serdaigle se déroulait donc sous de bons auspices. Mais bien entendu, ce genre de journée ne peut pas être parfaite du début à la fin. C’était sans compter le cours de potions, qui aurait pu être un moment de détente et d’amusement, si Phèdre n’était pas en binôme avec Lorelei. Même si les deux jeunes filles ne s’étaient pas hurlées dessus, elles n’avaient cessé de se jeter des regards noirs durant les deux heures que durait leur cours. Et bien entendu, à cause du manque de concentration de Lorelei (bah oui, c’était obligatoirement sa faute, hein, parce que de toute façon, Phèdre, c’est la chouchoute de la prof, et paf !), le contenu de leur chaudron avait éclaté en une grosse bulle de jus vert et gluant.
Tout ça aurait pu être drôle, si Phèdre et Lorelei avait été des amies, mais ça ne l’était pas. Des cris, des insultes et un coup de baguette de la prof pour nettoyer tout le bordel avant de mettre tout le monde dehors vite fait bien fait. La rivalité qui opposait les deux Serdaigle était un sujet de plaisanterie pour tous leurs camarades, mais Phèdre ne trouvait pas ça drôle du tout. Du tout, du tout même ! Fulminant dans son coin, Phèdre gagna les toilettes des filles du cinquième étage pour se débarbouiller. Son uniforme était tâché de haut en bas, et il y avait même de la mixture dans ses cheveux. D’un coup de baguette rageur, elle fit disparaître toutes les traces de l’incident, sans se rendre compte qu’il restait un bout de potion collé dans ses cheveux. Son sac sous le bras, elle sortit des toilettes en jetant un coup d’œil à sa montre. Elle faillit s’étouffer avec sa salive en se rendant compte qu’elle était en retard pour sa séance de tutorat avec Mackenzie. Elle qui avait horreur d’être en retard ! La jeune fille se précipita donc au quatrième étage et entra en coup de vent dans la bibliothèque. Elle adressa un bonjour poli à Louison, mais sans même lui accorder un regard, cherchant des yeux le Poufsouffle.
Elle ne s’attendait sûrement pas à la collision avec un des amis de Mackenzie, qu’elle n’avait franchement pas vu venir. Pourtant, ce n’était pas le plus discret ni le plus gracieux des garçons et elle évita son regard en marmonnant des paroles d’excuses. Repérant enfin le Poufsouffle, elle s’affala plus qu’elle ne s’assit sur sa chaise, reprenant son souffle.
- Oui oui ça va, je me cogne dans des trucs plus solides tu sais.
A dire vrai, Phèdre était un peu sonnée par le choc, combiné à sa petite course dans les escaliers pour ne pas arriver trop en retard, elle avait besoin de reprendre son souffle. Elle avait l’air d’avoir traversé une tornade, avec ses cheveux en pagaille et son uniforme débraillé. Heureusement qu’elle n’avait pas coincé sa jupe dans sa culotte o/ Relevant la tête, elle écarquilla les yeux face aux paroles de son ami. Elle se sentait encore plus misérable d’être arrivée en retard. On sac glissa par terre tandis qu’elle se répandait en excuses.
- Oh mais non non non voyons, je ne te laisse pas tomber ! C’est important pour toi ces séances, c’est juste que je suis en retard à cause de cette peste de Lorelei, et oh je suis vraiment désolée, ça ne se reproduira pas ! Et je ne vois pas l’intérêt de t’envoyer un hibou pour te dire que je t’abandonne, puisque ça n’arrivera pas ! Phèdre avait un air un peu agacé à présent, les sourcils froncés. Elle avait l’impression que Mackenzie jouait la comédie pour la faire culpabiliser. Et puis Ferg… euh non merci, je… je n’aime pas ce qui est sucré.
Phèdre allait dire « et puis Fergus c’est qui ? » avant d’être prise de court par la proposition du Poufsouffle. Elle rougit légèrement avant de plonger sur le côté pour attraper ses affaires dans son sac et de les étaler sur la table de façon totalement anarchique. Sa plume était froissée à force d’être fourrée négligemment au fond de son sac. Elle extirpa également un livre qui semblait peser une tonne, à la reliure un peu abîmé par le temps.
- Bon alors, on avait fait quoi la dernière fois ? Histoire de la magie, hein. De quoi tu as besoin ? Je suis toujours déçue que tu n’aies pas pris arithmancie, c’est une matière fascinante et… hum bon je m’emporte.
Elle avait de suite arrêté sa tirade sur « l’arithmancie c’est la vie » face au regard désespéré de Mackenzie, qui continuait de grignoter sa plume en sucre.
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Lun 18 Mai - 0:48
