D’abord les lustres qui éclatent. D’abord la panique qui s’installe dans les cœurs. Ensuite, les assiettes qui volent et se percutent violemment, envoyant des bris de verres à travers toute la maison. Le verre, la porcelaine, tout se déchire, s’entremêle et se brise, dans un fraca sonore qui déteint rapidement sur les cris des enfants. Il y le père, qui se lève, rapidement, et sans vraiment réfléchir, prend la petite Violet, la plus jeune, dans ses bras, pour la protéger. Elle hurle de terreur. Mais elle continue, encore et encore de faire tout exploser.
Dans un deuxième temps, il y a la compréhension. Un coin de la pièce, qu’Andrea remplit de sa petite stature. Il est menu, d’aucun diraient qu’il ne mange pas assez. C’est faux, c’est simplement dans sa morphologie. Le petit enfant aux cheveux blonds reste les yeux grands écarquillés devant le spectacle que lui offre sa sœur. Pourquoi le lustre magistral qui siégeait dans cet immense espace, et qui semblait si intouchable vient-il de tomber de cette manière, sans prévenir ? Et maintenant les assiettes qui volent, et maintenant l’accoudoir d’un siège qui s’arrache d’un seul coup. Il a les yeux grands ouverts, à la fois fasciné et terrifié par la scène qui se déroule sous ses yeux. Son père, le visage coupé, lascéré des bris de verres. Les cris de Violet. Les mains d’Andrea tremble. C’est au petit mousse de faire quelque chose maintenant. Il sent un terrible sentiment de puissance envahir son cœur, lentement, trop lentement. Violet, de sa voix, de ses pleurs, a encore le temps de faire des dégats. Il ferme les yeux et se laisse porter par ce pouvoir qui gronde au cœur de ses mains. Il tremble oui, il se sent dépassé. Mais, sans bien comprendre comment, il finit par rouvrir les yeux, serrant les dents et laissant ce pouvoir échapper. Il s’évade des pores de sa peau, vient toucher Violet, sans qu’il ait compris de quelle manière, puis, tout s’arrête.
Il y a ce troisième moment, de silence simple. Les pleures et les cris cessent, les bris de verres se stopent. Le temps est suspendu, tout simplement. Comme au cœur de la tempête, dans l’œil du cyclone où plus aucun son ne perce. C’est le vide, le néant qui impose sa loi. Il ferme les yeux de nouveau, inspire longuement. Puis il les rouvre. Il ne sait pas comment il y parvient, mais son emprise cesse. Les assiettes retombent, les verres éclatent au sol, les meubles s’écrasent. Dans un chaos qu’il ne comprend pas le moins du monde. Il sent sa vue qui se brouille. Il s’appuie contre le mur, se laisse glisser, dans un silence terrifiant.
Quelques secondes avant qu’il ne perde connaissance, il voit simplement le visage de son père, inquiet, penché sur le sien. Il s’effondre dans un amat de ténèbres inconnu, doucement, s’endormant malgré lui.

Cet incident marqua à tout jamais le cercle de la famille Knight, créant une rupture entre les sorciers, les non-sorciers, et les parents. Mais pour comprendre la situation, il faut remonter à plusieurs années auparavant. Depuis toujours, les Knight sont une famille nombreuse, ni pauvre, ni riche, plutôt prospère sans trop en faire. Ils vivent dans une grande maison à l’Est de Londres, n’ont aucune idée du monde de la magie. Le père, Arthur, est un homme d’affaire ayant réussi comme on pourrait dire, la mère, Ludvina, n’aime plus son mari, pourtant elle lui a donné dix enfants. Dix. Oui. Depuis toujours, les Knight sont nombreux, plus un clan qu’une famille en réalité, avec une ambiance peut-être pesante pour certain, peut-être étouffante pour d’autres. Il y a d’abord l’aîné, Andrès, puis viennent les triplés dont personne ne se souvient jamais des noms. Ensuite, Cassio, puis des jumeaux, ensuite un autre et enfin Andrea et Violet. Il est à noter que Violet est la petite dernière mais aussi, la seule et unique fille de la famille. Et il est également à noter la différence d’âge qu’ils peuvent tous avoir les uns envers les autres. Avançons dans le temps, à cette période où Andrea n’était qu’un petit garçon de cinq ou six ans. Là où tous ses grands frères lisaient, avaient des activités d’enfants calmes, parfois tristement étonnant pour des simples gosses, Andrea  a lui, une joie de vivre déjà omniprésente. Pire, une espère de capacité hors normes à toujours emmerder le monde, faire les pires crasses à ses frères, jouer pendant des heures tout seul jusqu’à la tombée de la nuit et ne jamais supporter la vue d’un livre ouvert. Oh, déjà à cette époque il fait léviter les ballons sans s’en rendre compte, mais il se garde bien d’en parler à qui que ce soit. Il est incapable de se concentrer plus de cinq minutes, trouve les papillons qui passent par la fenêtre de l’école passionnant, et adore deviner des formes dans les nuages plutôt qu’écrire ou lire. Il est dyslexique, ceci explique peut-être cela. Mais il préfère jouer, courir, la nature, la ville, découvrir, toutes ces choses que ses grands frères n’ont jamais fait. Et mieux, s’il peut le faire avec sa petite sœur, alors c’est mieux que tout ! Peut-être n’est-ce pas normal de faire léviter les ballons, de pouvoir faire bouger des objets ou influer sur des émotions. Il ne s’est jamais posé la question.

Mais lorsque Violet met la maison à sac, oui, il se pose enfin une question. Lorsqu’il se réveille, on ne le presse pas. Il a dix ans, il s’en souvient bien. Violet en a huit. Et son plus grand frère en a vingt deux. Il ne le connait pas, c’est comme un voisin qu’on croise de temps en temps, qu’on ne prend pas le temps d’écouter ou de considérer. Ce sont des étrangers. Son père lui demande doucement ce qu’il vient de se passer. Et lui, ne répond rien. Que pourrait-il répondre ? On le prendrait pour un fou … Il y a quelque chose de paniqué dans le regard de son père. Quelque chose d’étrange et de terrifiant à la fois. Le petit Andrea baisse les yeux. Il bafouille quelque chose sur une impression de colère, quelque chose d’incontrôlable et d’inexplicable. Son père s’énerve, lui demande plus de précision. Il lui prend le bras et le secoue un peu trop fort. Andrea se met à pleurer à chaudes larmes. Il relève les yeux sur son père en pleurant. A travers le voile de larmes, il voit les quelques entailles sur sa peau, près de ses yeux. Il saigne. Il a l’air désespéré. Andrea balbutie quelque chose d’autre. « Je sais pas, je … Je sais faire léviter des trucs, pas longtemps, pas comme ça, pas comme Violet, je sais aussi les arrêter, alors, je me suis dit que je … que je pouvais prendre … que je … » Il n’arrive pas à dire ce qu’il a sur le cœur, il n’y parvient pas. Il baisse les yeux tandis que son père semble comme arrêté. Mis en veille. Il passe une main sur son crâne, sans pour autant rompre le silence. Il se relève et quitte la chambre d’Andrea. Et ce n’est qu’à cet instant que le petit garçon s’aperçoit qu’il est dans un hôpital.

Les années passent et on tente d’oublier cet incident. Mais le mal est fait, les faits sont là. Il se trouve que plus aucune enfant de la famille ne veut approcher les deux petits derniers. Il se trouve qu’ils sont mis à l’écart, qu’on ne comprend pas ce qu’ils ont et ce qu’il se passe. C’est étrange, terrifiant et inexplicable. Mais évidemment, on a peur de tout ce qu’on ne connait pas, de tout ce qui échappe à noter compréhension logique. Cet évènement y échappe parfaitement, il n’y a pas la moindre once de logique dans ce qu’il s’est passé. On aurait pu chercher des jours entiers. Il semble simplement que Ludvina n’est pas aussi hostile à ses enfants que les autres hommes de la famille. Quatre années passent ainsi et les contacts sont rares, les discussions encore plus. Il y a dans l’air cette impression d’anormal, cette impression de ne pas appartenir au bon monde. Andrea se demande souvent où il devrait aller pour que ce sentiment le quitte. C’est à cette époque qu’il ne manque plus beaucoup, que petit à petit, son appétit le quitte. C’est plus fort que lui, il ne parvient pas à manger comme tous les petits garçons de son age. Ca commence à douze ans, ça continue, et jamais plus ça ne le quittera. L’anorexie est et restera toujours sa plus grand honte, sa faiblesse la plus profonde et sa maladie la plus incurable. Même dans une nouvelle famille, plus tard, lorsque nous avancerons dans ce récit, dans sa vie, qui bouge petit à petit, il n’ira pas mieux. C’est quelque chose qu’il ne contrôlera jamais. Il veut simplement que ce sentiment de rejet disparaisse …
La réponse lui tombe dans les bras lorsqu’arrive une lettre. Apportée par un hibou. Elle déclare, tout simplement, que son admission à une école de magie appelée Poudlard est imminente. Mais … Qu’est-ce que c’est ? Et sa mère vient le voir, elle lui dit, en baissant les yeux, comme pour retarder une certaine échéance, que sa grand-mère était une sorcière. Qu’elle avait étudié là-bas, que c’était à son tour d’y aller, qu’il n’avait pas sa place dans un monde comme celui-ci. Au début il rit, il trouve ça presque drôle. Mais la mine de sa mère n’a rien d’amusée. Et comment expliquer tout cela autrement que par de la magie ? Eh bien on ne l’explique pas, ou alors on l’accepte. Alors Andrea l’accepte et sans vraiment qu’il ne comprenne comment, il se retrouve à dormir dans une vieille tour, sur un lit à baldaquin miteux, au milieu d’un bande de garçon de son age, en train de ronfler.
La première nuit chez les gryffondor est la plus horrible nuit de sa vie. Il pleure, en silence, sans trop savoir pourquoi. Il revoit les lacérations sur le visage de son père, les regards noirs, hostiles ou terrifiés de ses frères. Les larmes de Violet, lorsqu’elle sait pertinemment qu’elle n’a plus sa place dans cette famille. Allez petit mouss, pleure pas. C’est ce que son plus grand frère lui disait de temps en temps. Mais plus personne ne l’appelle Mouss maintenant … Alors peut-être qu’il a le droit de pleurer ? Ouai, il pleure, sans rien dire, sans faire le moindre bruit. Et puis, le lendemain, y’a ce grand type qui vient le voir. Il pose une main sur son épaule en déclamant que si il veut continuer à pleurer en pleine nuit, il devra utiliser le sort de silencio. Et Andrea, qui ne se laissera jamais marcher sur les pieds demande avec une once de défi ce qu’est ce sort. En fait qu’est-ce que c’est un sort ? Alors ce grand type lui apprend, il commence à lui parler, et finalement ils passent la soirée à parler. Puis la semaine. Les mois. Les années.

Les années qui passent sans qu’on s’en aperçoive. Sans que quiconque se rendre compte qu’elles se déroulent. Andrea et son caractère vivant, plein de feu, font de lui un des hommes les plus appréciés de sa génération, toujours enclin à faire n’importe quelle connerie en dehors des temps de cours. Il y a cette espèce de propension à toujours vouloir agir de la manière opposée à celle qu’on attendrait de lui. Il y a tous les amis qu’il s’est fait, la vie qu’il a reconstruite, et quelque part, celle qu’il avait toujours attendu. Au bout de deux ans, Violet l’a rejoint à Poudlard, et à présent ses relations avec sa famille sont plus que tendues. On a honte d’eux, et moins on en entend parler, mieux les choses se passent bien. Alors le temps passe, les gens changent, les vies continuent. Quelque part, il y a ces fantasmes tordus qui hantent ses nuits. Il y a ces choses dont il ne pourra jamais parler avec Mag. Il y a tous ces types qui le font se sentir un peu différent … Toute la famille de Mag qu’il considère maintenant comme la sienne, et le profond lien qui l’unit à sa sœur. Quelque part tout est lié. Et dans le chaos qui règne en dehors de l’enceinte de Poudlard, Andrea a besoin de repère.

Comme chaque sorcier de ce monde.