« Une fiancée ? »

La question paraissait inappropriée, prononcée d’une voix un peu trop forte dans la salle à manger silencieuse. De l’autre côté de la table, sa mère releva les yeux de son repas et eut un petit sourire amusé. Elle connaissait son fils sur le bout des doigts, c’était son enfant unique, celui qu’elle choyait avec un amour maternel presque étouffant mais qu’il supportait relativement bien. Enfin, pour le moment. Elle savait qu’un jour, il allait fermer la porte de sa chambre à clef et qu’elle ne le verrait pratiquement plus que lors des repas. Elle s’était faite à l’idée, parce qu’au fond c’était naturel pour un adolescent. Mais elle chérissait les jours passés en tant que famille unie. A ses côtés, son mari venait de poser ses couverts de part et d’autre de son assiette pour croiser les mains et y poser son menton. Il prenait le temps de réfléchir à la façon de présenter cette union préméditée sans que son fils ne freine des quatre fers. Autant dire que l’affaire paraissait déjà sur le point de voler en éclats au vu du regard plissé du jeune homme.

« La famille Jenkins compte une fille aînée, Olive. Tu as déjà dû rencontrer ses parents, peut-être même l’apercevoir. C’est une forte tête, mais elle devrait te plaire. »
« Je ne vois toujours pas pourquoi vous me mariez à elle. »
« Parce qu’ils sont sang-pur, et que c’est un bon parti. Ne fais pas cette tête, Dragan, je t’assure que ce n’est pas aussi terrible que tu le penses. »

Il faillit lui répliquer d’aller se faire cuire une bouse de dragon, mais les mots moururent sur ses lèvres avant d’avoir pu naître. Il avait toujours eu énormément de respect pour son père, même si leurs convictions divergeaient parfois un peu. Sa mère était plus compréhensive. Le jeune sorcier baissa la tête sur les restes épars de son déjeuner, cherchant un argument à présenter à ses parents. Concrètement, il n’avait rien à reprocher à ces fiançailles. Si ce n’est qu’elles étaient totalement imprévues et qu’il n’était pas encore prêt à se dire qu’il était déjà prédestiné à une fille, quelque part, pour le restant de sa vie. Et si elle avait un physique disgracieux ? Si elle ne le trouvait pas à son goût ? Si…

« Tu sais, ton père et moi avons été présentés de cette façon. »
« Vraiment ? »

Il leva un sourcil, intrigué.

« Oui. Je peux te dire que ta mère n’était pas très enjouée, mais j’ai su la faire changer d’avis. »

Ils échangèrent un court regard, chargé d’émotions et de tendresse. Les Wikamovitch avaient toujours représenté un couple uni, malgré leurs différences physiques. Lui était grand, bien bâti, un brun aux yeux clairs. Une éternelle barbe bleuissait ses joues, mais il ne la laissait jamais pousser trop longtemps. Elle, elle ne dépassait pas le mètre soixante et ses cheveux étaient aussi blonds que les blés. Seuls ses iris étaient sombres, d’un marron épicé et chaleureux. Il avait hérité de ses yeux, quoi qu’un peu plus mystérieux. Sous la broussaille de sa chevelure en désordre, Dragan observait ses parents d’un œil critique. Finalement, il poussa un gros soupir. Il baissait les bras.

« J’espère qu’elle est jolie. »
« Je pense que tu la trouveras à ton goût, fils. » fit son père avec un clin d’œil malicieux.


Jézabel posa sur lui un long regard énigmatique, tournant ensuite des talons en affichant un sourire amusé, alors que Caesar s'avançait d'un pas incertain.

« Salut... » Dragan prit son visage le plus avenant ; le garçon ne devait pas avoir plus quatorze ans, mais il paraissait déjà plus aimable que sa sœur.
« Salut, je m'appelle Dragan. »
« Je sais, papa et maman nous ont parlé de toi. Tu viens voir Olive ? »
« Euh, oui, enfin si elle veut bien me recevoir. »

Le jeune garçon hocha simplement la tête, une étincelle malicieuse dans les yeux, il lui indiqua le salon tandis que son père commençait à s'entretenir avec le couple bulgare. Le jeune homme s'y installa, son expression redevenant impassible. Incapable de rester en place, il se releva au bout d'une minute pour faire quelques pas dans la demeure. L'aînée tomba alors sur lui, lui attrapant doucement la main pour le ramener dans la pièce. Il se laissa faire, bien plus occupé à la dévisager qu'à se demander ce qu'elle faisait. Plus petite que lui, une chevelure d'un roux éclatant, des manières un peu cavalières. Olive était belle. Il retint le sourire qui menaçait de s'installer sur ses lèvres, lui retournant un regard tout aussi ferme lorsqu'elle le défia. Que pensait-elle ? Qu'il allait se laisser impressionner dès le premier rendez-vous et ce simplement parce qu'elle lui faisait les gros yeux ? Amusant. La sorcière se pencha ensuite vers lui pour lui proposer de monter à l'étage. Elle espérait sûrement qu'il s'offusquerait de sa proposition, ou qu'il ne comprendrait pas la raison de sa provocation. Mais Dragan décida de la surprendre en glissant sa main dans la sienne et en lui adressant un clin d’œil. Décidément, son père avait bien plus raison qu'il ne le pensait : cette fille avait un caractère aussi fort que lui, si ce n'est plus. Et ils étaient fiancés. Par la barbe de Merlin, à quoi leurs parents pensaient-ils en unissant deux adolescents aussi entêtés ?

Le reste de l'entrevue se passa un peu plus brutalement, mais il fut très content de ce premier tête-à-tête. Merlin soit loué, elle ne s'était pas offusquée du fait qu'il décide d'allumer un joint chez elle pour détendre l'atmosphère ; à dire vrai elle semblait même reconnaissante ou agréablement surprise. Il l'appréciait et elle, elle ne pouvait apparemment pas le supporter. Elle avait d'ailleurs bien insisté sur le fait qu'il ne devait pas clamer haut et fort qu'ils étaient fiancés à la rentrée. Il n'en n'avait de toute façon pas l'intention. Il venait d'arriver en Angleterre, bien qu'il sache très bien s'exprimer dans cette langue et il n'avait aucune raison de se donner en spectacle ainsi. Un peu de discrétion leur ferait certainement du bien, à tous les deux. Et puis il ne l'aimait pas. Pas encore, en tout cas. Il s'était un peu attendu à une sorte de coup de foudre – auquel cas il se serait demandé si quelqu'un n'aurait pas versé quelques gouttes de filtre d'amour dans son thé – néanmoins le caractère de cochon d'Olive l'avait vite stoppé dans ses rêveries. Elle n'appréciait pas être fiancée, cela se voyait et il n'était pas là pour la forcer à quoi que ce soit. Pourtant, cela ne signifiait pas qu'il comptait la laisser flirter à droite et à gauche sans la moindre protestation... Enfin, au début, si. Parce qu'à part un engagement verbal, rien ne les liait. Mais un jour, lorsqu'il commencerait à ressentir de vrais sentiments à son égard, il saurait se montrer « convaincant » et sans doute la faire céder à ses avances. Parce qu'ils finiront par s'aimer, non ? A quoi bon ces fiançailles, sinon ?


Six mois après son déménagement en Angleterre, Dragan rejoignait enfin la prestigieuse école de sorcellerie anglaise. Très excité à l'idée de se faire répartir grâce à un Choixpeau magique et non en fonction de qualités/défauts potentiels ou de la pureté de son sang – en Bulgarie, les tests déterminaient la section dans laquelle l'étudiant devait se rendre – il émettait cependant quelques réserves sur la fonctionnalité de sa baguette, craignait qu'elle fusse moins efficace ici. Mais ses peurs étaient infondées. Il se révéla particulièrement doué en Potions, ainsi que dans d'autres matières. Actuellement, il suit plusieurs cours : potions, botanique, soins aux créatures magiques, sortilèges, métamorphose, défense contre les forces du mal et vol. Il a hésité à choisir l'étude des moldus ou l'étude des runes, mais s'est abstenu. En parallèle, il compte bien rejoindre l'équipe de Quidditch de sa maison. Et séduire Olive...