Je me rendis rapidement compte que la personne qui s’approchait n’était autre qu’une jeune fille. J’attribuais à sa silhouette frêle environ dix-sept ans, peut-être même seize. Elle était fine. Qui ne l’était pas, désormais ? La tendance était à la maigreur, à Poudlard, ce qui évidemment me complexait encore plus sur mon propre poids. Comme si j'avais besoin de ça. Je me trouvais difforme mais qu’importe ? D'ici quelques heures j’en rirai.

J’ignorais comment la jeune fille avait occupé le début de sa soirée mais elle paraissait essoufflée. Footing nocturne ? On aurait vraiment tout vu. Sa démarche pour se diriger vers moi fut toutefois relativement lente, de l’ordre de la simple marche. Moins d’un mètre nous séparait désormais, elle se trouvait juste en face de moi. Son visage ne m’était pas tellement familier, à vrai dire je ne me souvenais pas l’avoir déjà rencontrée. Peut-être la pénombre y était-elle pour quelque chose. Ou peut-être pas. Je pouvais tout de même distinguer la manière dont elle était habillée, qui à mes yeux détenait de l’importance. J’avais pour habitude de toujours détailler les autres, et d’un simple coup d’œil je parvenais parfois à en apprendre sur qui elles étaient. Chemise longue, leggins ; c’était plutôt pas mal. Elle devait avoir froid, elle aussi, encore plus que moi. Toutefois si elle revenait d’un semi marathon, cela ne devait pas poser problème.

Je m'interrogeais toujours sur les intentions que l'adolescente avait pu avoir en se dirigeant vers moi. Que me voulait-elle ? Bien vite , sa parole brisa le silence, et le mystère par la même occasion. « J’espère que ça vaut le coup de se faire virer ton truc là, en plus si c’est moldu… » Tout s’expliquait. La jeune fille avait visiblement aperçu la bouteille avant que je n’eus le temps de la ranger. Autant dire que je n’appréciai pas sa réflexion concernant les non magiciens. Sans doute était-ce l’une de ces étudiantes de Serpentard qui ne jurait que par le statut du sang. Je ne supportais pas ce genre de distinctions. A mes yeux, tout être humain était égal. « Personne ne t’oblige à y goûter. » lui répondis-je machinalement, sur un ton calme, détaché, avec toutefois un brin de provocation. De toute manière, que ma bouteille de vodka soit moldue ou non, elle semblait avoir assez intéressée mon interlocutrice pour qu’elle prenne la peine de s’approcher. Je la sortis de nouveau de mon sac, avant de l’ouvrir et de boire une gorgée de l’alcool qu’elle contenait, puis une autre, et enfin une troisième. J’avais de nouveau bu en petite quantité ; néanmoins là déjà, j’avais éprouvé moins de difficulté. Je le savais, bientôt je sentirais la chaleur de l’alcool enivrer tout mon corps et je n’allais pas tarder à en ressentir les premiers effets. Je n’avais quasiment pas mangé de la journée, et généralement boire alors que j’étais à jeun m’était fatal. Ce n’était pas un problème. J’étais bien décidé à me retourner la tête, et ce que la jeune fille décide de se joindre à moi ou non.

Le jeune homme lève sa bouteille et en boit quelques gorgées, qui que je puisse être selon lui, il n’a pas hésité une seconde avant de boire devant moi. Serait-il un de ces petits Serpentards qui se fichent du monde et de ce qui les entoure ? Peu importe, ce soir, j’ai l’esprit ailleurs et rien ne n’empêchera de me détruire la santé, ou autre, du moins que j’oublie un instant ces visages… L’alcool ? Je n’y avais pas pensé mais il est vrai que de nombreuses personnes y ont recours lorsque la vie est trop dure. J’ai connu un alcoolique, j’ai toujours eu énormément de peine pour ces personnes. Mais là n’est pas le problème, me saouler un soir ne va pas faire de moi une accroc de la bouteille. Je suis maintenant à environ un mètre du banc où est assis mon interlocuteur, les paroles qu’il a prononcé quelques secondes plus tôt me reviennent : « Personne ne t’oblige à y goûter. ». Aurais-je vexé monsieur ? Bien décidée à lui montrer que les Serpentards et moi, ce n’est pas l’amour fou, et que donc je n’ai aucune raison de l’apprécier je réplique, sur le même ton :

« Je ne compte pas y goûter, pas maintenant que tu a posé tes lèvres dessus. Je marque une pause. Tu permets ? »

Je lance un accio vers le château, avec un peu de chance, les rares bouteilles d’alcool présentes dans le château voudront bien me faire le plaisir de se joindre à nous. Quelques minutes plus tard, une forme sombre glisse vers moi venant tout droit de la cabane du garde-chasse, avais-je raison sur ses envies nocturnes ? Peu importe, je saisis la bouteille et la porte immédiatement à mes lèvres sans même regarder l’étiquette. Un liquide froid envahit ma gorge avant de venir brûler celle-ci quelques secondes après. La brûlure est supportable et finit même par devenir agréable, je décide de stopper ici mon expérience avec cet alcool inconnu, du moins, pour le moment. Un frisson glisse sur la peau nue de mon cou, en effet, malgré la chaleur qui irradie ma gorge je frissonne et fait apparaitre d’un coup de baguette un feu bleu qui propage doucement sa chaleur sans prendre le risque de nous faire repérer, les feux magiques ayant l’avantage de ne pas faire de fumée. L’espace d’un instant je me rappelle que je ne suis pas seule et décide de ne pas ignorer plus longtemps la précense de l’homme à la bouteille moldue.

«  L’avantage de connaitre des sorts, ce que ça évite de geler sur un banc froid. »

Je ne sais même pas pourquoi est-ce que je lui lance cette pique plutôt prétentieuse, ce n’est pas mon genre, ou du moins pas le genre de la fille que j’ai connu. Mais maintenant, je suis si différente, je me laisse aller, fou ma vie en l’air, mes études en l’air, même mes amis m’ont quittés, certains plus brutalement que d’autres. Me revoilà, encore une fois de plus en train de penser à Rose. La culpabilité revient elle aussi, me rongeant toujours plus. Dès l’instant où je repense à cette soirée, je sens ma poitrine se déchirer en deux, laissant un trou béant à la place du cœur. Le pire, c’est que je suis une très mauvaise actrice, mon corps réagit automatiquement à mes émotions. C’est à cause de ça qu’un jour, en cours de métamorphose, je me suis complètement évanouie. Ma nuit avait été occupée par des pleurs incessants, étouffés dans mon oreiller pour ne pas attirer l’attention. Je n’avais pas mangé le matin, ni le midi, bien décidée à me laisser mourir de faim. J’avais donc été à mon premier cours de l’après-midi, marchant au ralentit. Une fois assise et installée, l’appel quotidien était arrivé et avant même que je comprenne pourquoi des étoiles étaient apparues devant mes yeux lors du silence habituel au nom de mon amie, et puis plus rien, le néant.

Je n’avais que moyennement apprécié la remarque de la jeune fille concernant l’alcool moldu que j’avais l’intention de boire. De quoi se mêlait-elle ? Et quand bien même elle avait décidé de m’imposer sa présence, que changeait le fait que ma boisson ait été créée par une personne non détentrice de pouvoirs magiques ? Un alcool restait un alcool ; et ses effets demeuraient les mêmes. Il n’y avait pas à dire, ces à prioris dénués de sens, m’insupportaient et je n’avais pas tardé à le lui faire comprendre en lui précisant qu’elle n’était pas obligée de consommer, elle aussi. « Je ne compte pas y goûter, pas maintenant que tu as posé tes lèvres dessus. », me répondit-elle sur le même ton. Mon visage afficha un sourire hypocrite. « Mes lèvres se portent bien, je te remercie. » Pour qui se prenait-elle ? En temps normal, j’aurais sans doute été agacé par son attitude mais ce soir-là, je crois que rien n’aurait pu m’atteindre, si ce n’est l’alcool qui se trouvait dans la bouteille de vodka que je gardais désormais dans mes mains, comme s’il s’agissait du plus précieux de mes effets personnels. « Tu permets ? » Je ne pris pas la peine de lui répondre. Bien décidé de jouer la carte de l’indifférence, je ne suivis que de loin son petit manège. Elle fit venir à elle une autre bouteille, sorcière de toute évidence. Elle avala à son tour quelques gorgées qui ne semblèrent pas trop difficiles. Je cernais tout à fait le personnage. Elle était sans doute le genre d’adolescente de seize ans, rebelle à l’extrême et vivant dans l’excès. J’avais aussi eu ma phase de décadence, et en toute honnêteté, je crois qu’elle était bien loin de se terminer. Ni ma personnalité, ni mes projets n’étaient propices à la vie que menaient la plupart des gens. La stabilité ? Très peu pour moi. Je fuyais la routine et étais en perpétuelle quête de l’interdit. Mais je ne buvais pas dans le but de faire comme tout le monde ou sembler populaire. Je buvais avec l’unique intention d’oublier. J’affectionnais de m’évader le temps de quelques heures.

C’est alors que des flammes apparurent devant nous. Par un autre sortilège, la jeune fille avait fait jaillir un feu de couleur bleue. Peut-elle comptait-elle m’impressionner ? Je n’étais nullement admiratif. A Poudlard, maîtriser la magie n’avait rien d’exceptionnel. C’était devenu la norme. Aussi la remarque de la jeune fille m’amusa intérieurement. « L’avantage de connaître des sorts, ce que ça évite de geler sur un banc froid. » Comme à mon habitude, je ne laissai paraître mes émotions. Mon regard se porta dans un premier temps sur les flammes. Je m’y perdis quelques instants avant de fixer la jeune fille, de nouveau. « Impressionnant. » lui répondis-je avec un soupçon de dédain. « Tu apprendras que dans la vie tout n’arrive pas sur un plateau, par un simple claquement de doigts. Ta baguette magique ne t’apportera que des choses matérielles. », donc tellement inutiles, avais-je eu envie d’ajouter. Je concevais que l’usage de la magie était très pratique, et j’en avais recours au quotidien. Toutefois, j’avais conscience qu’il pouvait être nocif de se reposer systématiquement sur ses pouvoirs. La magie n’avait aucun impact sur tout ce dont j’avais besoin. Elle était impuissante face aux relations humaines, à la perte d’un être cher, à la peine des gens à qui l’on tient. Par ailleurs, j’étais lassé de ce comportement « d’enfant roi » qui obtenait tout ce qu’il désirait par la simple manifestation de sa volonté. Les exemples de mes frères et sœurs étaient amplement suffisants.

Trêve de philosophie, je n’avais pas l’intention de passer la nuit à exposer mes points de vue sur des questions ô combien existentielles. Peu importe que la jeune fille qui m’avait rejoint prenne des grands airs. Dans quelques minutes, je ne lui en tiendrai plus rigueur je le savais. Aussi, pour accélérer le processus je posai de nouveau mes lèvres sur le goulot de la bouteille. Je m’étonnai de ne plus sentir intensément le goût de l’alcool que j’ingurgitais. J’étais sur la bonne voie. J’étais impatient. L’euphorie me tendait les bras. Toutefois, je n’étais pas seul et me devais de garder un minimum de tenue, les premières minutes tout du moins. Je posai de nouveau mon regard sur la jeune fille. Les flammes m’aidèrent à mieux la percevoir. J’avais désormais la certitude que nous ne nous connaissions pas, même si nous nous étions sans doute déjà croisés. L’adolescente était brune ; les traits de son visage étaient harmonieux. Je dois avouer qu’elle était assez jolie, chose que même une fois alcoolisé je n’étais pas prêt de lui avouer. Je n’eus à pas la regarder longtemps pour remarquer qu’elle était préoccupée. « Tu sembles préoccupée. », lui fis-je remarquer, de manière toujours calme et en parlant sur un ton qui me permette de maintenir une certaine distance avec mon interlocutrice. J’agissais toujours de la sorte avec les inconnus. C’était devenu un automatisme. Après un court instant de réflexion je me ravisai, je n’avais aucune envie d’endosser le rôle du psychologue. Après tout, l’alcool poussait à la confession, non ? « Tu oublieras. », ajoutai-je enfin, avec un sourire à la fois d’usage et quelques peu compatissant, en désignant par un bref regard la bouteille qu’elle tenait dans sa main. Aussi pour lui montrer l’exemple, je bus de nouveau, de manière désormais facilitée, et en refermant ma bouteille je sentis que ma tête avait commencé à tourner. Le processus était en marche.

« Impressionnant. » 

C’était repartit, chacun de mes mots semblaient l’exaspérer au plus haut point

« Tu apprendras que dans la vie tout n’arrive pas sur un plateau, par un simple claquement de doigts. Ta baguette magique ne t’apportera que des choses matérielles. »

Tiens donc, comme si je n’étais pas au courant, me croyait-il donc si sotte au point de vouloir m’enseigner quelque chose que je savais déjà ? La magie n’avait pas pu la sauver, alors je ne voyais pas en quoi pourrait-elle améliorer ma vie.

« Je sais pertinemment que tout n’arrive pas sur un plateau, merci de l’info.  »

Je bus une gorgée, imitant mon interlocuteur qui les enchaînait les unes après les autres, un air de plénitude grandissant sur son visage. Que pouvait-il y gagner lui ? Boire seul dans le noir sans personne ? Enfin maintenant que j’étais là, il devait soit surement regretter que je sois là, soit se dire que tout compte fait, boire à deux c’est plus sympa. Alors qu’il entamait une seconde gorgée, mes pensées dérivèrent encore vers les maux qui me hantaient encore, toujours de plus en plus fort. Soudainement, il éleva la voix.

« Tu sembles préoccupée. »

C’est vrai, mais avais-je envie de lui raconter la cause de cet air inquiet qu’affichait constamment mon visage ? Non, sûrement pas, pas pour l’instant du moins. En détaillant un peu plus sa silhouette, je remarquai que le jeune homme possédait du charme, accentué d’un physique plaisant. Dans un autre contexte, à une autre époque – que de conditions !- je l’aurais trouvé mignon, et peut être aurais-je été lui parler spontanément

« Tu oublieras. »

Je voudrais tellement te croire, si tu savais. Une sonnette d’alarme retentit dans ma tête, il était temps de changer de sujet avant que les choses ne prennent une tournure trop personnelle que je ne souhaitais pas pour l’instant, après, lorsque l’alcool aura fait ses effets, pourquoi pas. Son sourire compatissant me réchauffa quelque peu, à moins que ce soit l’alcool que dont je venais de reprendre une gorgée. Prise dans un élan de gentillesse nostalgique je me décidais à faire connaissance, profitant de ma faible sobriété pour engager la conversation sur un autre ton, plus amical.

« Désolé si je t’ai parue agressive, j’ai un peu de mal avec les Serpentards depuis que, enfin bref. Excuse-moi. »

Ne sachant comment conclure en quelque sorte cette demande de paix, je lui tendis ma main tandis que mon autre main portait la bouteille à mes lèvres, laissant la chaleur se propager de plus en plus dans mon corps.

L’irritation semblait réciproque. A priori nous n’étions pas fait pour nous entendre, et chacune de nos répliques raisonnait comme une critique, un pic que l’on se lançait mutuellement. Il est vrai que j’avais pour fâcheuse habitude d’être sans cesse sur la défensive, et visiblement cette caractéristique ne m’était pas propre. « Je sais pertinemment que tout n’arrive pas sur un plateau, merci de l’info. » Sa réponse fit naître un sourire entre amusement et ironie sur mon visage jusqu’alors glacial. Sa répartie n’était pas exceptionnelle. D’ailleurs, j’étais loin d’être convaincu. Désormais je me fiais aux actes plutôt qu’aux paroles ; qui étaient le meilleur moyen de déformer la vérité. En outre ses précédentes répliques prouvaient exactement le contraire. Qu’importe. Ni sa façon de penser ni sa personnalité n’allaient changer quoi que ce soit à ma piètre vie.

Nous buvions petit à petit, gorgée par gorgée. Nous prenions notre temps mais l’alcool faisait son effet, et je le sentais se propager dans mon corps à mesure que je l’ingurgitais. De même, le froid extérieur se faisait de moins en moins pénible. Peut-être était-ce dû au feu que la jeune fille avait fait apparaître et qui n’était, il fallait l’avouer, pas désagréable. Ou peut-être était-ce simplement la sensation que me procurait ma consommation de vodka.

La jeune fille semblait distraite, aussi lui avais-je fait remarquer, avant de me raviser en lui conseillant de noyer son chagrin, ou du moins ses inquiétudes, dans l’alcool. C’était lâche d’agir de la sorte, j’en étais conscient. Je n’avais jamais nié l’être. Et la vie serait bien ennuyeuse si on la passait à faire « ce qui était le mieux » pour nous. De toute manière, les actions que l’être humain se plaisait le plus d’entreprendre étaient aussi celles qui lui étaient le plus nuisibles. Que la vie était mal faite. En fait, tout était une question de choix. Vivre cinquante ans ou survivre le double ? Quelle était la meilleure solution ? En attendant de trouver la réponse à cette question, je vivais ma vie comme je l’entendais, écoutant d’avantage mes lubies à ma raison.

L’adolescente mit fin à mon court instant de réflexion en reprenant la parole pour me répondre. « Désolé si je t’ai parue agressive, j’ai un peu de mal avec les Serpentards depuis que, enfin bref. Excuse-moi. » Que de mystères. Et voilà qu’elle s’était adoucie. A vrai dire ce ton ne me déplaisait pas. Je n’étais pas dans l’optique de me faire une ennemie ce soir-là, même si l’alcool m’avait parfois mis certaines personnes à dos. On ne pouvait pas s’entendre avec tout le monde, que voulez-vous ? « Peu importe, c’est oublié. Et sache qu’il ne faut pas toujours se fier aux apparences, je ne suis pas à Serpentard. », et heureusement, pensais-je ; avant de serrer la main qu’elle me tendit en symbole d’un pacifisme naissant. Je lui adressai un bref sourire, sans doute le plus sincère de la soirée. Ses intentions semblaient similaires aux miennes, tout était donc pour le mieux.

Peu après avoir relâché sa main, je me levai de mon banc avec une idée bien particulière. Je tenais toujours debout, c’était plutôt bon signe, bien que je sente légèrement ma tête tourner une fois avoir quitté l’endroit où j’étais installé. Je plaçai ma bouteille à hauteur de la sienne, j’avais remarqué que nous avions absorbé à peu près la même quantité d’alcool jusqu’à maintenant. « A qui boira le plus en une seule fois ? », lui demandais-je avec un sourire de défi. Je savais combien un alcool pur pouvait être difficile à ingurgiter ; mais ses effets étaient si savoureux. Boire le plus rapidement possible était l’un des jeux qui me divertissait le plus, aussi l’idée m’avait parue alléchante. La jeune fille était-elle aussi rebelle qu’elle ne voulait le faire croire ? Je n’allais pas tarder à le savoir. Sans plus attendre, je portai la bouteille à ma bouche, à nouveau, espérant que l’adolescente qui m’avait rejointe en ferait de même. Je n’avais plus l’impression de boire de la vodka. Les brûlures des premières gorgées avaient désormais fait place à un simple picotement. Mes lèvres se séparèrent de la bouteille après environ cinq, six gorgées, peut-être sept. Je ne saurais dire exactement. Je n’avais pas compté. Peu importait le nombre, à ce jeu seule la quantité réelle avait de l’importance. Fier de moi, c’est avec hâte que j’attendais le résultat. Les premières secondes furent semblables à toutes les autres, mais bien vite mon attitude commençait à changer. Je le savais, je le sentais. Je souriais désormais sans raison particulière. Je me sentais bien. Je n’avais envie de rien sinon de m’amuser, de rire à en pleurer, de dépasser mes limites, d’aller toujours plus loin. Faute de pouvoir être heureux, j’avais décidé ce soir d’être euphorique, et ce comme je ne l’avais encore jamais été.

« Peu importe, c’est oublié. Et sache qu’il ne faut pas toujours se fier aux apparences, je ne suis pas à Serpentard. »

Quoi ? Il n’était pas un serpentard ? J’aurais facilement pu parier ma baguette qu’il faisait partie de cette maison qu’autrefois je respectais autant que les autres, malgré les temps troubles. Voilà qui changeait la donne, je ne le voyais pas en Poufsouffle, il semblait trop perspicace et un poufsouffle n’aurait surement pas l’idée de venir boire ici. Un gryffon peut être ? J’en doutais. Il ne me restait plus qu’une solution, ce jeune homme était tout simplement dans la même maison que moi bien que je l’eu jamais croisé dans la salle commune. Maintenant que j’étais presque certaine qu’il était l’un des nôtres, je ne pouvais m’empêcher d’analyser notre comportement l’un envers l’autre. Qui avait jeté la pierre en premier ? Sûrement moi, je suis insupportable en ce moment, et même si c’était lui qui avait pris mes paroles comme étant agressives, je n’avais pas fait grand-chose pour que le malentendu soit rompu.

Qu’il était bon à présent de boire, moi qui était persuadée que l’alcool allait m’être désagréable, le breuvage se révélait être fort plaisant. Et cela ne m’incita en aucun cas à arrêter, malgré mes gestes que je sentais plus légers et inconscients. Quoi qu’il en soit, je fus rassurée lorsqu’il serra furtivement ma main en signe de paix. Je lui rendis volontiers son sourire que j’espérais sincère car le mien l’était. Il me surprit en se levant de son banc, partait-il déjà maintenant que la hache de guerre était enterrée ?

Une fois sa démarche stabilisée, il se dirigea vers moi et leva sa bouteille à hauteur de la mienne, mon premier réflexe fut d’hausser les sourcils, perplexe. Je ne connaissais rien aux jeux d’alcool et mon esprit était trop embrumé pour que je cherche une signification à son geste.

« A qui boira le plus en une seule fois ? »

L’idée était bonne, voir même excellente, moi qui avait décidé de me laisser aller, quitte à regretter le lendemain, ce nouveau jeu était arrivé au bon moment. Avant que je puisse exprimer mon avis, le serdaigle avait porté la bouteille à ses lèvres et buvait avec un sourire sur son visage, les yeux pétillant de défi. Amusée je le contemplais quelques secondes avant de porter ma propre bouteille à mes lèvres. Une seconde d’hésitation plus tard, vestige de mes anciens réflexes de fille sage, je sentais moi aussi le plaisir de l’alcool glissant sur mes lèvres et provoquant une forte chaleur dans ma gorge. Je n’avais même pas songé à compter le nombre de gorgées que je buvais, mais je savais pertinemment que je n’avais jamais autant bu d’un seul coup. J’avais déjà été saoule, une seule fois, par erreur lors d’une fête entre cousins qui étaient tous d’au moins deux ans mes aînés. Mais depuis cet évènement, qui m’avait valu de nombreuses railleries à chaque repas de famille, je n’avais pour ainsi dire jamais touché à une seule goutte d’alcool.
Mon esprit devenait de plus en plus lointain, mais pourtant, mes sentiments semblaient s’être décuplés. J’avais envie de tout casser, d’aller dire à tous ces gens d’aller se faire voir, de m’exiler en Alaska, d’aller me baigner dans le lac noir, tout ce qui pourrait me sortir du droit chemin était, selon moi, une excellente option. Après ma dernière gorgée, mes joues rosies et une douce lueur de folie dans le regard, je baissais le goulot de ma bouteille, voyant que mon coéquipier semblait avoir atteint son maximum, pour le moment. Je savais qu’il m’avait battue, car même si j’avais fini après lui, j’avais bu un peu plus lentement et j’avais commencé un peu en retard. Mais j’étais tout de même fière de moi.
Un long sourire sur le visage, un fou rire naquit dans ma gorge et je ne pus m’empêcher de rire doucement, les lèvres fermées me retenant quelques secondes avant de féliciter le jeune homme.

« Bien joué, t’es bien plus fort que moi. »

Ma voix était légères et chacun de mes mots étaient ponctués de notes trop aiguës pour être sobres. Le rire me reprenant je fis quelques pas, visant à me stabiliser mais manqua de trébucher contre une racine. Dans un mouvement le plus vif que je puisse faire, en considérant l’alcool ingurgité, je pus me retenir au bras du serdaigle, dont je ne parvenais plus à déchiffrer l’expression, parvenant ainsi à rester debout sur mes jambes.

J’étais heureuse de l’avoir rencontré ce soir, même si nous n’étions pas partit du meilleur pied, je l’appréciais malgré tout, il était intelligent et je savais au fond de moi que je n’avais aucune raison de ne pas au moins l’apprécier. Me ranger contre le monde entier était fatiguant, et à présent, j’étais heureuse, euphorique. Je sentais mes problèmes disparaître, tout me semblait tellement simple, il suffisait que je choisisse de ne plus y penser pour que mes démons s’envolent loin de moi. J’aurais été encline à tout, même à la plus grosse des gaffes. J’avais envie de vivre pleinement, sans réfléchir aux conséquences, pour la première fois depuis longtemps.

J’ignorais si l’alcool y était pour quelque chose, mais l’atmosphère était de moins en moins crispée, tendant d’avantage vers la complicité. J’avais assez d’ennemis ainsi, et si peu de vrais amis. Je ne croyais plus à l’éternel. A mes yeux, toute relation avait un début et une fin. Aussi je ne cherchais pas non plus à me lier d’amitié. Je souhaitais juste profiter de l’instant présent, sans me soucier du lendemain qui, je le savais, serait pire. Plus les années s’écoulaient et plus les temps étaient difficiles. A Poudlard, dans ma vie et partout ailleurs. La vie était comme une continuelle dégradation, sans que l’on ne puisse faire quoi que ce soit pour la stopper. Ce soir-là, elle n’occupait plus mon esprit et c’est justement ce que je recherchais. Noyer son chagrin dans l’alcool était une pratique qui me plaisait plutôt, aussi dangereuse et discutable soit-elle.

La jolie brune semblait s’être trompée sur mon compte, visiblement l’annonce que je ne faisais pas partie des verts et argent l’avait surprise. J’ignorais avoir la carrure d’un Serpentard et en temps normal cela ne m’aurait sans doute pas semblé flatteur, mais à cet instant précis cela m’amusa, aussi un sourire se dessina sur mon visage face à la surprise apparente de la jeune fille qui me faisait face.

Une poignée de mains nous concilia définitivement, et je considérai ce geste comme un signe que la soirée pouvait véritablement commencer. J’étais quelqu’un de joueur, et notamment en matière d’alcool. Boire sur la durée ne m’intéressait pas. J’avais longtemps détesté les boissons alcoolisées, de par leur goût infect. Désormais, la composante « saveur » n’avait plus aucune importance à mes yeux. Depuis que j’en avais découvert les effets, c’était cela qui m’importait. Et avec le temps j’avais trouvé le fait de boire moins désagréable, au point d’y prendre goût.

Mon idée sembla plaire à la jeune fille qui, à aucun moment, ne manifesta son désaccord. Elle sembla toutefois un tantinet hésitante, comme si elle était partagée par l’envie et la raison. Je connaissais cela, pour avoir longtemps été bloqué par cette dernière. Mais après avoir réfléchi sur la question, j’en étais arrivé à la conclusion que la vie était trop courte pour avoir des regrets. Aussi, j’avais à peine attendu son consentement pour porter la bouteille à mes lèvres et boire autant que je le pouvais. J’étais loin d’être un expert, et ma descente était perfectible, toutefois j’étais plutôt fier de moi. D’ailleurs, même si la jeune fille termina après moi, cela s’expliquait sans doute par sa lenteur d’avantage que par la quantité qu’elle venait d’avaler. Mon impression était juste, et il ne nous fut pas nécessaire de replacer nos bouteilles côte à côte pour en venir à la conclusion que je l’avais battue. « Bien joué, t’es bien plus fort que moi. » me dit-elle en riant légèrement. Il me fallait déjà peu de choses pour être pris de fou rire en temps normal, quand je buvais cette caractéristique s’accentuait. Aussi, le simple fait de constater une évolution dans l’attitude de la jeune fille m’amusa, et je me mis à rire également. Je percevais sur son visage une certaine légèreté qui contrastait avec le sérieux et la froideur qu’elle arborait en début de soirée. Par ailleurs, le ton qu’elle avait utilisé pour reconnaître ma victoire était quelque peu différent, ce qui la trahissait de nouveau. Je riais sans vraiment de méchanceté, d’une part en raison du comique de situation, et d’autre part parce que l’alcool me rendait encore bon public que je ne l’étais. « Je suis certain que tu vas t’améliorer. » lui répondis-je en parvenant finalement à retrouver mon sérieux. Elle semblait plus jeune que moi, moins expérimentée, plus légère. L’ensemble de ces facteurs expliquait qu’elle éprouve des difficultés à boire de grandes quantités dans un court laps de temps. Désormais les sourires que je lui adressai étaient plus francs, moins réservés. Lorsque je buvais, les barrières que j’instaurais avec mes semblables s’effaçaient. Mon habituelle méfiance s’envolait. Après tout, il était plaisant d’avoir une vie sociale parfois.

Je n'étais visiblement pas le seul sur qui l'alcool agissait, puisque quelques pas suffirent à la jeune fille pour perdre l’équilibre. Elle parvint toutefois à se stabiliser en se tenant à moi sans que je n’eusse le temps de constater ce qui se produisait. Peu original comme technique de drague, pensais-je intérieurement, sans toutefois en toucher un mot à mon interlocutrice. Je lui souris de nouveau. « Veille à garder l’équilibre, la soirée ne fait que commencer », lui adressai-je sur un ton qui mêlait l’euphorie provoquée par l’alcool et le mystère que je me plaisais à systématiquement faire planer sur mes paroles.

Ce n’était pas le seul qui planait, d’ailleurs. J’étais à l’heure actuelle dans un état second, inhabituel. J’avais bu assez vite pour que l’alcool ne tarde pas à faire effet, et ma vision se troublait déjà mais j’aimais cela. L’adolescente qui me faisait face semblait elle aussi comblée par la situation. Je me mis debout sur le banc, toujours face à elle. Etre en hauteur me parut assez agréable, je sentais d’avantage le vent souffler sur mon corps. Il me semblait qu’en fermant les yeux, j’allais m’envoler. C’est alors ce que je fis, et les sensations étaient à peu près similaires à celles d’un vol sur un balai, quoique sans doute plus euphorisantes. C’est un sentiment de plénitude qui parcourait désormais tout mon corps.

Je me souvins alors que nous ne nous étions pas même présentés. Je ne savais rien de la jeune fille, je ne détenais pas la moindre information sur son identité. Aussi, je jugeai que nous étions désormais assez familiers pour remédier à cela. « Je m’appelle Shawn. » lui dis-je simplement en lui adressant un regard un peu plus hagard qu’à mon habitude. J’éprouvais déjà quelques difficultés à fixer un endroit en particulier. Un sourire jovial accompagna mes paroles. J’attendais à présent qu’elle en fasse autant, et j’en profitai pour boire de nouveau, une ou deux gorgées. Cela me suffirait sans doute à subsister dans mon état actuel. Toutefois, et comme à chaque fois, j’avais envie de plus ; et comme le dit l’adage « les limites sont faites pour être dépassées. »

« Veille à garder l’équilibre, la soirée ne fait que commencer. »

Plus facile à dire qu’à faire, l’alcool, je ne l’avais réellement expérimenté qu’une fois, alors ma réaction me semblait maladroite certes, mais je n’y pouvais rien si mon équilibre, déjà précaire, était quasi inexistant en ayant bu. Malgré ma presque chute, je remarquais qu’encore une fois, il m’avait souri, signe que les tensions du début de soirée étaient bel et bien finies, à moins que l’alcool n’y soit pour quelque chose et qu’une fois le charme de l’ivresse rompu, nous redevenions des inconnus parfaits l’un pour l’autre. Nous étions en effet des inconnus l’un pour l’autre.

Je regardais Shawn monter sur le banc, sans que cela ne me semble bizarre ou déplacé, moi aussi j’aurais bien aimé le rejoindre, à y voir l’air réjouit qu’abordait ses traits, il semblait pleinement satisfait de la sensation que lui procurait une simple surélévation et de l’alcool. A bien y réfléchir, je crois qu’en le voyant ainsi, sobre, j’aurais sûrement ris. Mais en ce moment même, je comprenais parfaitement ce qu’il avait voulu faire, et bien que le banc soit assez petit je brûlais d’envie de le rejoindre.

« Je m’appelle Shawn. »

Tiens, un très joli prénom, Alexie me semblait autrefois banal, mais avec le temps j’ai su l’apprécier. Je me rappelle que cet été, nous discutions justement des prénoms que nous donnerions à nos enfants, ma sœur avait dit qu’elle donnerait mon prénom en second prénom pour sa fille, moi n’ayant pas compris que par politesse ou même par amour pour ma sœur, j’aurais dû répondre la même chose, j’avais lâché que moi, ma fille s’appellerai Rose. A l’entente de son prénom, ma famille avait encore une fois, plongé la pièce dans un silence pesant. J’avais alors littéralement explosé, ne comprenant pas qu’ils ne veuillent pas en parler, qu’ils ne comprenaient pas que tout cela était de ma faute et que je mourrais chaque jour, à chaque heure lorsque je constatais son absence. C’est ce jour qui marqua le début ma descente aux enfers. Une fois, lors d’une conversation écoutée à travers une porte mal fermée, ma mère avait dit à mon père que j’étais parfaitement consciente de ce que je faisais et que c’était sûrement le signe que j’allais bientôt rentrer dans le droit chemin. La bonne blague. Après ces quelques millisecondes de réflexion sur mon passé fort sympathique, je répondis à Shawn, je soupçonnais ma réponse d’être fortement influencée par l’alcool mais sur le coup, l’idée m’avait parue bonne.

« Qu’est ce qui me dit que tu mérites de savoir mon prénom ? »

Lui avais-je lancé, un sourire joueur et énigmatique sur le visage. J’avais employé le mot « mérite » non pas pour lui montrer que mon prénom avait plus d’importance que le sien, mais pour l’inciter à considérer cette proposition comme un défi.

Un prénom te définit, toi, comme tu es. Il permet de mettre des lettres, un sens sur la personne. Lorsque l’on perd son prénom, on perd une identité, un tout qui fait de cette personne autre chose qu’un pion dans la vaste foule de personnes que nous sommes amenés à rencontrer. Et malgré le fait que je n’avais rien contre Shawn, que je l’appréciais, avec ou sans alcool, lui donner mon prénom signifierais que je m’ouvrirais d’avantage à lui. Il m’avait proposé un jeu, à moi de lui en proposer un. En portant encore et toujours ma bouteille vers mes lèvres, je franchis les quelques mètres qui nous séparaient et posa un pied sur le banc. Reconsidérant mon équilibre, je poussais sur mon pied et arriva à la hauteur de Shawn, également perchée sur le banc, savourant la sensation que me procurait la hauteur, bien que le banc ne soit pas très haut. Nos bras se touchaient à présent, le banc n’étant pas très long. Je repris avant même que Shawn eu le temps de répondre.

« Je te comprends, c’est sympa ici. » Je lui adressai un sourire franc avant de rire doucement.

« Tu sais c’est pas contre toi, mais je pense que donner son prénom, ça montre que l’on accepte en quelque sorte de connaitre plus la personne et je pense que.. »

En fait je pense que j’ai trop bu. Même si j’avais autre fois décidé de ne plus faire de rencontres, qu’elles soient amicales ou plus, je me maudissais intérieurement de vouloir voir jusqu’où était-il prêt à aller pour avoir uniquement prénom d’un personne insignifiante, qui était venue lui casser sa soirée en compagnie de sa bouteille. Dans un second rire, je décidais d’annuler le jeu et de lui balancer mon prénom, comme on lance la date ou la température du jour, mais avant que j’aie le temps d’annuler quoi que ce soit, je bus une dernière fois, laissant l’alcool glisser le long de ma mâchoire en partie à cause de mes rires étonnement calmes pour une personne ayant ingurgité tant d’alcool.

Nous voilà prisonniers des effets de l’alcool, et déjà la jeune fille avait manqué de tomber. Heureusement, elle s’était rattrapée à moi pour retrouver l’équilibre, acte que j’avais soupçonné d’être une technique de drague peu originale. On ne pouvait pas dire que la jeune fille avait fait preuve d’imagination mais soit, le message était passé. Je jugeai préférable de ne pas lui faire part de cette observation, mais lui conseillai plutôt de se préserver, la soirée ne faisait que commencer, et je n’avais aucune intention d’arrêter de boire, ni même de regagner ma salle commune dans la prochaine demie heure. La jeune fille ne répondit rien, l’alcool semblait altérer sa jusqu’alors vive répartie.

J’étais alors monté sur le banc pour sentir d’avantage le vent souffler sur ma frêle corpulence et avoir ainsi l’impression de voler. Lorsque je posai mon regard sur la jeune fille pour me présenter, je remarquai non pas sans difficulté une certaine envie dans son regard, elle paraissait tentée par le fait de s’élever elle aussi, et par conséquent de me rejoindre. Mais mon attention ne tarda pas à se porter sur ce qu’elle me répondit. « Qu’est ce qui me dit que tu mérites de savoir mon prénom ? » La demoiselle qui m’avait il y a un instant parue si hésitante prenait désormais des initiatives, et cela n’était pas pour me déplaire. J’affectionnais ce genre de défi, et d’autant plus lorsque j’étais sous l’emprise de l’alcool.

Elle me rejoint alors sur le banc. De prime abord, je n’aurais pas parié sur le fait qu’elle parvienne à monter sans perdre l’équilibre, mais visiblement je l’avais sous-estimée ; elle ne tenait pas si mal l’alcool que ça. Je n’eus pas le temps de lui répondre qu’elle prit de nouveau la parole. Il fallait dire que mon temps de réaction était passé du simple au triple. Quelle vie de débauche nous menions. « Je te comprends, c’est sympa ici. » Nous échangeâmes un sourire sincère. Désormais, ils se faisaient plus faciles, plus spontanés. « Tu trouves aussi ? », lui demandai-je de manière rhétorique, mêlant mes rires aux siens. Quant à nous, nous étions plus libérés. D’ailleurs, la jolie brune était devenue bavarde, et ne tarda pas à poursuivre. « Tu sais c’est pas contre toi, mais je pense que donner son prénom, ça montre que l’on accepte en quelque sorte de connaître plus la personne et je pense que… ». J’ignorais si elle avait ou non laissée volontairement sa phrase en suspens, et à vrai dire mes pensées étaient devenues trop troubles pour que je lui pose la question. Une chose était certaine, elle parlait trop à mon goût. Je n’étais déjà plus en état de philosopher, ou alors pas encore, tout était question de point de vue. Tentait-elle de me faire comprendre qu’elle voulait faire plus ample connaissance, ou l’inverse ? J’avais désormais du mal à comprendre le sens des mots, à discerner le vrai du faux. Je ne lui posai pas la question. Je me contentais de rire avec elle sans même savoir pourquoi. Nous étions plutôt bien, debout sur notre banc, accompagnés du vent, à oublier la bassesse de nos vies tant qu’il en était encore temps. Je ne parvenais plus à retrouver mon sérieux, et à vrai dire je me plaisais à rire avec la jeune fille. Seul le fait de boire de nouveau parvint à maîtriser l’euphorie qui parcourait mon corps. Désormais je ne faisais preuve de plus aucune modération dans mes gestes, et les gorgées que j’ingurgitais étaient devenues bien plus généreuses et franches que les premières. J’avais l’impression de boire de l’eau. En effet, la vodka n’avait plus aucune saveur, plus aucun effet sur ma gorge mais en avait bel et bien sur mon organisme.

J’eus à peine posé ma bouteille que je me souvins du défi que m’avais lancé la jeune fille. C’est ainsi que, pour entrer dans son jeu, comprendre ce qu’elle avait voulu, et surtout parce que j’avais envie de m’amuser, je posai mon regard sur elle, franchis les quelques pas qui nous séparaient et m’arrêtai un instant. Quelques centimètres nous séparaient maintenant, et ma tête était similaire à un dancefloor ; j’avais l’impression que quelque chose tapait continuellement à l’intérieur de celle-ci comme de la musique dont le volume serait réglé au maximum. Un sourire amusé naquit sur mes lèvres. Ces dernières se déposèrent instinctivement sur celles de la jolie brune et y restèrent quelques instants. J’avais vaguement conscience de ce que je faisais, sans toutefois être assez sobre pour être rattrapé par ma raison. Je finis néanmoins par mettre fin à cet acte imprévisible, souriant bien vite à la jeune fille de qui je m’étais rapproché. Nous qui semblions mal partis étions unis par une certaine complicité qui apparaissait désormais comme évidente et cela ne me déplaisait pas. Malgré les troubles actuels engendrés par la boisson dont ma vue souffrait, je pouvais sans peine juger l’aspect physique de la jeune fille qui me tenait compagnie, et celui-ci était tout ce qu’il y avait de plus plaisant. C’était mon style de filles, comme on disait vulgairement. Par ailleurs, l’adage disait vrai ; l’alcool rapprochait véritablement les gens. « Je crois maintenant te connaître suffisamment pour que tu me donnes ton prénom. », lui lançais-je avec un brin de provocation. J’étais amusé par la situation. Nous avions mutuellement voulu nous tester, et voilà où nous étions arrivés. Cela était plutôt divertissant. Je ne pus retenir un nouveau rire, et j’avais de bons espoirs que la jeune fille m’accompagne dans cet élan d’euphorie.

J’avais presque oublié le bien que procurait ce genre de sensations. Il manquait juste un fond musical pour que la soirée soit parfaite mais je n’étais pas en état de prononcer l’incantation adéquate. Je devais à l’alcool une fière chandelle, planer de la sorte n’était pas donné à tout le monde. On pouvait me mépriser autant que l’on voulait, peu m’importait. Les personnes raisonnables ne savaient pas ce qu’elles manquaient. Se bourrer la gueule à l’improviste avait du bon.

Evidemment que je trouvais également cette sensation agréable, la liberté, l’euphorie d’une soirée bien arrosée. Les plaisirs éphémères de la jeunesse que je trouvais stupides auparavant faisaient maintenant de cette soirée l’une des meilleures de ma vie, le vent avait redoublé de force et faisait voler ma chemise sans pour autant me faire frissonner, mon corps entier bouillonnait sous l’alcool et mes sens vitaux comme l’ouïe ou la vue étaient affaiblit laissant place à des sentiments exquis d’ivresse nocturne. Malgré l’alcool qui perdait petit à petit de sa saveur, ses effets restaient les mêmes et mon sourire ne faiblissait pas. J’étais heureuse, si fou cela pouvait-il être, j’étais enfin libre débarrassée pour de bon de mes démons et des souvenirs que je croyais gravés à jamais dans mon cœur. Et même si, demain, le réveil sera difficile, je m’en contrefichais. Mes yeux dansaient sur le corps de Shawn, qui ne savait toujours pas mon prénom tandis qu’une irrésistible envie de danser me prenait, mais le manque de musique calma un peu mes ardeurs et je me résolus à rester encore immobile quelques secondes.

Durant ma presque immobilité, Shawn en avait profité pour se rapprocher de moi, si bien que je pu sentir son odeur, qui m’était très agréable. Je sentais celle de mon parfum, boisée avec un soupçon de rose, tandis que la sienne était plus mystérieuse, je ne pouvais identifier cette odeur mais mon état m’empêchait de pousser l’analyse plus loin. Tout ce que je savais, c’est que j’aimais son odeur et cela malgré l’alcool, qui était facilement détectable à l’aide du plus primitif des odorats, tout autour de nous. Nos rires ricochaient contre le silence angoissant de la nuit, Shawn était à présent tout près de moi et cela ne me dérangeait en aucun point. De nature peu encline à la proximité, je me rendis compte que cette fois-ci, la présence d’un corps aussi proche du mien ne me gênait absolument pas. J’étais pleinement satisfaite de la situation.

Soudainement, sans que je puisse émettre ne serait-ce qu’une protestation, bien que je n’en eu pas envie, Shawn posa ses lèvres sur les miennes, mêlant nos souffles alcoolisés l’un à l’autre. Durant ce laps de temps où mon esprit fut incapable de penser à autre chose qu’au contact de nos lèvres, mes mains se levèrent instinctivement mais avant qu’elles aient atteint leur but, à savoir la peau de Shawn, il avait reculé des quelques centimètres. Je dirigeai donc de manière subtile mes mains vers ma bouche qu’elles effleurèrent doucement, laissant un sourire complice sur celle-ci.

« Je crois maintenant te connaître suffisamment pour que tu me donnes ton prénom. »

J’aimais particulièrement la provocation naissante qu’avait dorénavant sa voix, et cela me poussais à continuer nos jeux et surtout le défi que je lui avais lancé. Promenant à ma guise mon regard sur son corps je lui répondis avec une expression de défi à peine voilée :

« Il faut vraiment que je te donne mon prénom maintenant ? »

Je laissais échapper un sourire et posa furtivement ma main sur son épaule avant de me déhancher si doucement que cela était presque invisible. Je savais que nous avions le même rythme, la même chanson, la même euphorie en tête et je comptais en profiter, cette compréhension mutuelle de l’autre s’arrêterais peut être une fois le soleil levé, et je ne voulais pas oublier ces instants. C’est pourquoi je me mis à danser plus ostentatoirement plus près de lui savourant nos regards qui restaient ancrés l’un dans l’autre, un amusement réciproque dans les yeux. Je remerciais ma mère pour m’avoir obligée à aller à mes cours de danse moderne toutes les semaines lorsque j’étais enfant, j’en avais gardé un bon sens du rythme et une bonne souplesse. Malgré le silence qui régnait dans le parc, ma danse n’était pas déplacée, c’était comme si nous jouissions à nous seuls d’une chanson que nous étions les seuls à pouvoir entendre. Je fredonnais doucement à l’oreille de Shawn des paroles prise au hasard dans un morceau entraînant qui avait figuré à l’une de mes soirées moldues.

« I’m not in love.. »

Dansant toujours avec des gestes lents mais précis, je me rapprochais de plus en plus de Shawn, si bien que si le banc avait été réduit de moitié, cela ne nous aurait pas gêné. Un regard extérieur aurait peut dit que la fille en train de danser sur le banc était une allumeuse, mais je ne pensais pas que ce soit le cas, ma danse n'était pas aguicheuse, mais plutôt lente et profonde et presque collée à Shawn, je souriais, encore et toujours. Je concluais mon dernier sourire sur les lèvres de Shawn qui étaient brûlantes, tout comme les miennes. Nos visages brillaient de reflets bleutés, grâce aux flammes artificielles qui flottaient au tour de nous ce qui rendait la scène étrange mais authentique. L’alcool n’a pas que des mauvais côtés, et ce soir, nous étions la preuve même que boire à Poudlard, dans un parc, sur un banc éloigné de toute présence humaine, est une très bonne idée.

Rien ne se passait comme je l’avais prévu. A vrai dire, je crois qu’avec l’alcool, rien n’était réellement prévisible, et c’est ce pourquoi je l’appréciais tant. Mes bouteilles de vodka étaient mes plus fidèles amies ; elles restaient avec moi jusqu’à ce que la mort nous sépare ; la leur en l’occurrence. En outre, elles m’avaient vu dans tous mes états ; du rire aux larmes, des chants aux insultes, des danses aux pertes d’équilibre. Toute personne dotée d’un minimum de raison arrêtait de boire lorsqu’elle se rendait compte qu’elle perdait les pédales ; le contrôle de son corps, ou encore la conscience du monde qui l’entourait. De mon côté, c’était l’inverse qui se produisait. Le fait d’entrer dans une troisième dimension me donnait justement envie de boire toujours plus. « Toujours plus »… Telle était ma devise, et peu importait l’avis des gens ; ça n’était pas leur problème si je finissais la soirée comme un légume. Ma vie ne regardait personne, et encore moins la plupart des étudiants écervelés de Poudlard.

Pour l’heure je n’étais pas encore trop amoché, et ma lucidité n’avait pas encore tout à fait disparu. Je percevais sans mal la jeune fille qui se trouvait devant moi, bien qu’elle me semblait parfois avoir triplé ; ou être en train d’osciller. Ma vue était trouble, mais mes problèmes oculaires n’avaient rien de ceux d’un myope. L’alcool l’altérait, tout simplement. Je parvins toutefois sans difficulté à embrasser furtivement la jeune fille, sans m’interroger sur les conséquences que pourraient engendrer ce geste. Après tout, cela n’avait rien de particulièrement osé, et au pire des cas, l’alcool pouvait constituer un bon prétexte. Habituellement je me posais sans cesse des questions ; et c’est aussi pour cette raison que j’affectionnais tant les boissons alcoolisées, elles reposaient mon esprit qui était en permanence en état de fonctionnement.

La jeune fille dirigea l’une de ses mains dans ma direction sans que je ne comprenne vraiment ses intentions, avant de la faire finalement effleurer sa bouche. Cet instant de pause fut pour moi l’occasion de lui demander de nouveau son prénom. Je pensais avoir dorénavant mérité de connaître celui-ci. Après tout, ce n’était pas comme si nous demeurions de parfaits inconnus. « Il faut vraiment que je te donne mon prénom maintenant ? » me répondit-elle toutefois, avec un brin de provocation dans la voix. Je distinguai un vague sourire sur ses lèvres. « À toi de voir. » lui lançais-je alors sur le même ton. Je n’avais pas de but particulier ce soir, ainsi je laissais agir le libre cours des choses.

La jeune fille déposa alors sa main sur mon épaule, énième signe qu’elle était réceptive à un éventuel rapprochement ; chose que j’avais déjà remarqué sans mal, et ce malgré les difficultés de concentration dues à l’alcool que j’avais avalé. La jolie brune se mit alors à danser doucement. Aucune musique ne nous accompagnait ce soir-là et pourtant, il me semblait qu’un air parcourait mon esprit. La jeune fille le suivait d’ailleurs mais je n’étais plus assez sobre pour m’en étonner. Désormais, plus rien n’avait d’importance, à commencer par les explications rationnelles au sein de ce monde qui l’était lui-même si peu. Je déposai machinalement et en douceur mes mains au niveau des hanches de la demoiselle, la regardant danser au même titre que les flammes qui se trouvaient derrière elle. J’avais alors l’impression que tout dansait autour de nous, que tout suivait ce rythme tant abstrait qu’étrange, sur lequel je ne tardai à me laisser aller moi aussi. La jeune fille murmura alors quelques paroles à mon oreille. « I’m not in love. » C’était comme si elle avait chanté, comme si elle avait mêlé ce fredonnement à la musique qui imprégnait d’ores et déjà les environs. Je connaissais cet air, pour l’avoir déjà écouté, à maintes reprises. Aussi c’est sans la moindre hésitation que je fis écho à ce qu’elle venait de chanter, en lui répondant de la même manière, à l’oreille « I’m not in love. » Un sourire mutin se joignit à ces quelques paroles doucement chantées et étonnement juste. Le sourire ne tarda pas à s’élargir et un léger rire finit par lui substituer. Les percussions résonnaient désormais dans ma tête, c’était le moment de la musique que je préférais, et mes quelques mouvements que l’on pouvait sans doute assimiler à une danse s’amplifièrent un instant. Là encore je ressentis l’agréable sensation que j’allais m’envoler.

Une certaine proximité se faisait petit à petit sentir entre la mystérieuse inconnue et moi. En effet, la distance qui nous séparait était alors devenue mince, de telle sorte que nos corps étaient tantôt en contact, tantôt séparés d’un infime espace qui était comblé dans la seconde qui suivait, au rythme de nos mouvements plutôt coordonnés, et ce grâce à cet éternel rythme qui nous parcourait et nous liait. La jeune fille me sourit avant de prendre à son tour l’initiative de déposer ses lèvres sur les miennes, ce à quoi je répondis par un sourire. Ce baiser m’enivra d’une certaine chaleur, ce qui n’était pas pour me déplaire. C’est lorsqu’il prit fin que je répondis à son sourire en lui rendant la pareille. Malgré les flammes dansantes nous nous trouvions dans une relative pénombre ; que je préférais de loin à une forte lumière, peu propice à l’univers des soirées et au moment que nous partagions. Je passais alors une main dans ses cheveux afin de la décoiffer, laissant l’autre posée sur sa hanche. J’étais d’un naturel taquin, et d’avantage encore lorsque j’avais bu quelques verres ; même si, en l’occurrence, notre beuverie s’était faite à même la bouteille. Je ne connaissais pas la jeune fille mais assez pour savoir qu’elle était joueuse. Je ne pus m’empêcher de laisser échapper à nouveau un rire qui se voulait discret, mais à l’heure actuelle je n’étais plus vraiment un maître dans ce domaine et j’osais espérer qu’il en était de même pour ma partenaire. Je conclus cet acte de provocation par un baiser volé au coin de ses lèvres, comme pour me faire pardonner.