C’était une belle journée annonciatrice du printemps, le soleil recommençait à faire son apparition et malgré le terrible vent qui secouait le pays, la chaleur commençait à se faire doucement sentir. En sortant de la boutique de l’apothicaire, Carlie exposa son visage aux rayons de l’astre, le laissant la réchauffer et distribuer sa vitamine D à travers ses paupières closes. Elle détestait se rendre chez l’apothicaire, cette ambiance sombre et tous ces bocaux remplis de choses gluantes et étranges lui fichaient toujours une peur bleue. Moins de temps passait-elle dans cette boutique, mieux elle se portait. Mais elle n’avait parfois pas le choix, comme ce jour-là, où elle avait besoin d’ingrédients pour s’entraîner à la confection de potions de soins pour sa formation à Sainte-Mangouste.

Carlie rouvrit les yeux et parcourut la grande allée de Pré-au-Lard du regard. Une dizaine de jours étaient passés depuis le drame du marché nocturne, et on sentait clairement le malaise qui régnait toujours dans le village. Peu de personnes parcouraient les rues, les boutiques étaient vides ou fermées, et les rares passants qu’elle croisait accéléraient le pas. On était loin de l’ambiance chaleureuse dont elle se souvenait lors de ses sorties à Pré-au-Lard à l’époque de Poudlard… La jeune femme se décida finalement à reprendre son chemin, tout en restant également sur ses gardes. Elle sentait sa baguette magique peser dans la manche de sa veste, prête à être dégainée à tout instant. Même elle se méfiait, alors elle comprenait que le sorcier lambda en fasse autant… Elle n’oublierait jamais cette nuit passée aux urgences de Sainte-Mangouste, à voir plus de morts que de vivants. De même qu’elle n’oublierait jamais les personnes qu’elle avait réussi à sauver. La beauté de son métier.

Il lui restait quelques courses à faire avant de rentrer chez elle, mais elle avait envie de profiter de sa journée. Elle n’avait pas eu une journée à elle depuis qu’elle était allée retrouver Willem dans ce café du Londres moldu, plus d’une semaine auparavant, et elle se sentait épuisée. Mais elle avait plus besoin de prendre l’air que de rester se reposer chez elle. Carlie en avait profité pour passer voir Lucas à sa boutique, son ami qu’elle n’avait pas eu l’occasion de voir depuis un moment, mais elle s’était vite éclipsée face à l’affluence de clients qui l’avaient soudainement débordé. Elle aurait bien aimé retrouver un certain joueur de Quidditch pour un verre, mais elle préférait chasser cette pensée. On ne mélange pas le professionnel et le privé. Et puis, il ne serait probablement pas intéressé, avec toutes ces groupies qui devaient lui tourner autour… Alors Carlie restait seule à se promener dans le village sorcier. Elle espérait rencontrer un visage connu, mais de toute évidence, elle était la seule personne à sa connaissance qui ne travaillait pas en ce jour. La tristesse d’une vie mangée par les études…

En sortant de la boutique de Honeydukes, où elle était allée remplir ses poches de friandises destinées à ses soirées de révisions, et celles de son père lorsqu’il était chez eux, une bourrasque glacée ramena ses cheveux bruns devant ses yeux, l’aveuglant un instant. Un instant suffisant pour qu’elle heurte quelqu’un de plein fouet, entraînant un chapelet d’injures. Elle manqua de lâcher ses sacs sous le choc, et dégagea vivement son visage. Elle regrettait de s’être emportée dans les jurons, sans savoir quelle était la personne qui lui faisait face. Par des temps pareil, insulter quelqu’un pouvait très bien être la dernière chose que l’on pouvait avoir la chance de faire… Elle se retrouva nez-à-nez avec un visage bien connu cependant. Une jeune femme aux longs cheveux bruns, une ancienne amie de Poudlard. Instantanément, un sourire franc étira les lèvres de l’apprentie guérisseuse.

« Salut ! Je suis désolée de t’être rentrée dedans… et de t’avoir insultée au passage… Ce vent est une véritable plaie… Je ne t’ai pas fait mal au moins ? »

La jeune femme laissa le temps à son amie de lui répondre, toujours souriante. Elle était heureuse de tomber sur un visage connu, même s’il avait pour cela fallu lui rentrer dedans. Comme quoi, le hasard faisait peut-être bien les choses, il n’était pas certains qu’elles se soient croisées autrement.

« Je suis contente de te voir, ça fait un bail ! Je meurs d’envie d’aller boire une bièraubeurre, tu as du temps pour t’installer dans un bar ? Ca nous permettra de parler un peu plus comme ça ! »

Carlie tenta une mimique implorante, comme pour convaincre Jaina de l’accompagner. Elles avaient été assez proches à l’école, trainant souvent ensemble. Mais comme toutes ses relations de l’époque, les nouvelles s’étaient faites moins fréquentes à cause de son emploi du temps surchargé. Mais elle était sincèrement heureuse de la voir. Finalement, cette dernière accepta, et elles se dirigèrent d’un bon pas vers les Trois Balais, où elles s’installèrent en terrasses, à l’abri du vent.

« Alors, comment tu vas depuis le temps ? »

Tomber sur Jaina était une véritable aubaine. Elles avaient été de bonnes amies lorsqu’elles arpentaient toutes les deux les couloirs de Poudlard dans leurs uniformes aux armoiries des Poufsouffles. Et à voir le sourire qui éclairait désormais le visage de la jeune Greyback, Carlie comprit que leur complicité ne s’était pas perdue au fil des années. Elle lui rendit son étreinte, rit avec elle à ses paroles, et se mit en marche d’un bon pas à ses côtés. Elle appréciait que la jeune femme prenne le temps de boire un verre avec elle, bien qu’elle ait sûrement des choses à faire. Elle regrettait de ne pas avoir fait plus d’efforts pour entretenir leur relation, au milieu du tourbillon de sa vie. Mais elle était heureuse de voir que rien n’avait changé. Et Carlie comptait bien rattraper ce temps perdu. Elle sourit à son amie lorsqu’elle commanda pour elles deux, mais tressaillit légèrement lorsque Jaina lui prit la main. Elle n’oublierait jamais que les deux jeunes filles avaient échangé un baiser lors d’un pari, de même que l’étrange impression que ça n’avait pas eu la même connotation pour les deux étudiantes… Elle ne retira cependant pas sa main, et raffermit plutôt son étreinte, son sourire s’élargissant. Ce n’étaient que des impressions stupides.

« Hé bien j’ai… Intégré le Bureau des Aurors. C’est très récent tu sais alors je n’ai pas eu le temps… De reprendre contact. J’ai été très occupé en réalité. Avec tout ce qu’il se passe en ce moment… Oh, et mon père a rejoint ses ancêtres. Je ne vais pas dire que cela m’attriste. Au contraire. C’était un meurtrier… »

Le sourire de Carlie se fana légèrement face à la nouvelle de son père. Malgré son air détaché, et le fait que Jaina semble plus satisfaite de cette nouvelle que triste, Carlie ne put s’empêcher d’appliquer une pression un peu plus importante sur la main de son amie, dans un geste de soutien. Elle, pour qui la famille était une chose essentielle, n’avait jamais compris comment on pouvait en arriver à détester autant ses parents. Même si sa mère les avait abandonnés, leur infligeant une blessure qui ne cicatriserait sûrement jamais, Carlie savait que si elle apprenait sa mort, elle aurait du mal à s’en remettre. Certes, elle n’avait tué personne, mais elle avait tout de même détruit sa famille… Enfin, si ce que Jaina disait été réellement vrai, et que son père était effectivement un meurtrier, ce n’était peut-être que justice après tout.

Carlie sortit rapidement quelques pièces qu’elle déposa dans la main du serveur, une fois que celui-ci eût déposé leurs boissons devant elle. Carlie se saisit de sa bouteille de sa main libre, et trinqua avec Jaina.

« A ta future réussite chez les aurors alors ! Et ne t’en fais pas pour le silence radio, je n’ai pas été une meilleure amie, alors… Et je suis quand même désolée pour ton père… Mais que tu le vives bien, est le principal ! »

Elle prit une gorgée de bièraubeurre en souriant.

« Mais parlons de toi, je sais que tu as rejoints un cursus de Guérisseuse ? Tu t’en sors ? Et dit-moi… Tu as rencontré quelqu’un ? »

Carlie ne put s’empêcher d’éclater de rire à sa dernière question. Une façon d’éloigner cet étrange pressentiment qui refit son apparition à l’entente de ses mots. Comme si ce n’était pas une question anodine. Mais non, ce n’était toujours qu’une impression débile.

« Sainte Mangouste est une véritable fourmillière… Et les petits apprentis comme moi passent leur vie à trimer. Mais ça se passe bien, je fais ce que j’aime alors… Bon, par contre les journées de repos sont rares, ce qui explique pourquoi je n’ai pas non plus eu le temps de donner beaucoup de nouvelles » elle fit légèrement la moue, avant de sourire de nouveau. « Mais c’est vraiment passionnant ! »

Elle but une nouvelle gorgée de bièraubeurre, réfléchissant à ce qu’elle allait pouvoir répondre à la dernière question de la demoiselle. Le visage de Cailean McCalaghan ne cessait de s’imprimer dans son esprit, alors qu’elle savait pertinemment qu’il ne pourrait jamais rien se passer. Il était temps que cela cesse…

« Sinon, non. Je n’ai rencontré personne. Enfin un patient m’a pas mal plu dernièrement, mais c’est un patient, et moi son médecin alors… C’est une histoire qu’il vaut mieux oublier ! » Elle laissa échapper un nouveau rire, avant de reporter son attention sur son amie. « Et toi ? Quelqu’un dans ta ligne de mire ? »

C’était vraiment une belle journée.