« Bon sang, à quoi ça sert d'être voyante si je ne peux même pas avoir des visions sur commande ! Pestait Lycoris à voix basse, installée sur l'un des petits canapés devant le feu. »
L
es jambes croisées, la brunette portait un jean simple, noir, et un chemisier prune. Elle ne s'était pas préparée pour aller dormir, contrairement à ses camarades. Même si elle leur avait fait croire l'inverse, couchée dans son lit, sous les couvertures. Elle avait attendu une heure, puis deux, que tout le monde soit couché et endormi, avant de se relever. Sa crinière d'encre était parée de reflets d'or à la lumière des flammes, alors qu'elle s'était installée ici un peu plus tôt. Devant elle, sur la table basse, un livre était ouvert. Les pages étaient jaunies, mais le texte écrit en noir était encore net et lisible. Sur le bas des pages, on pouvait lire "Comprendre la voyance, chapitre sept". C'était un ouvrage qui n'était pas répertorié à la Bibliothèque de l'école, et pour cause : Il appartenait au professeur de Divination. Cette matière nébuleuse que peu d'élèves suivaient. Cette matière peu renommée que Lycoris avait choisi de prendre en option cette année, contre l'avis de ses parents.
E
lle avait dû ruser, et inventer une excuse, pour que ses parents ne se doutent de rien. Elle avait argué qu'il était toujours intéressant de connaître ce qu'on ne pouvait maîtriser, et que cela pouvait s'avérer être un point en plus en faveur des sorciers de sang-pur contre les sorciers nés de parents moldus. Qu'il ne fallait pas négliger les croyances de chacun, si l'on voulait pouvoir régner un jour. Elle doutait de les avoir convaincu, cela dit, mais ils ne s'étaient plus opposés à sa décision.
P
ar contre, la couleuvre n'était pas plus avancée qu'avant. Ce cours ne l'aidait pas vraiment à maîtriser ses visions. Lire dans les feuilles de thé, ou tenter dé déchiffrer quelque chose dans une boule de cristal n'avait pas grand chose à voir avec ça. Malgré tout, elle persévérait. Elle tentait de se montrer à la hauteur, d'avoir des bonnes notes, et elle interrogeait le professeur de temps à autres. C'est au terme de l'un de ses petits entretiens que lui avait été remis le grimoire. Ancien, et fragile, il était protégé par un sort de conservation. Mais ce n'est pas pour autant qu'il lui était très utile. « Allez, s'il te plaît... Un petite vision de rien du tout, ce n'est pas compliqué... Pas grand chose... Juste le menu du petit déjeuner... Allez... »
M
ais elle avait beau se concentrer, se détendre et essayer d'entrer dans une sorte de transe de méditation, rien n'y faisait. Les instructions de ce bouquin n'étaient pas très claires. "Maîtrisez votre subconscient, et ouvrez votre troisième œil : Les visions viendront à vous sans que vous n'ayez à vous fatiguer", disait-il. Foutaises. Dans un mouvement d'humeur, la jeune Rowle envoya valser un coussin du canapé derrière elle, réprimant un hurlement frustré. Elle s'efforçait de ne pas faire trop de bruit, pour ne pas réveiller ses camarades. Expirant un grand coup, elle décroisa ses jambes et, prise de remords, elle contourna le canapé pour aller récupérer le coussin.
E
n relevant la tête, le coussin serré contre son coeur, elle marqua un temps d'arrêt. Ses prunelles noisette s'attardaient sur une silhouette bien connue, près des escaliers. Face à elle, son cousin. Abraxas Hadès Rowle. Plus souvent appelé Hadès qu'Abraxas, d'ailleurs. Plus simple, et moins pédant, imaginait la demoiselle. Déglutissant rapidement, elle se demanda depuis combien de temps il était là. Est-ce qu'il l'avait entendue parler toute seule ? Est-ce qu'il avait entendu ce dont elle parlait ? Plus important encore : S'il avait entendu, qu'allait-il faire de cette information ?
M
ême s'il était de la même famille qu'elle, Lycoris ne connaissait pas vraiment son cousin. Il avait toujours été cordial avec elle, jamais froid ou impoli. Mais... Mais il ne se liait pas vraiment, en fait. Il restait en retrait, se contentant de faire ce qu'on attendait de lui. Jamais plus. Malgré ses efforts, elle n'avait jamais pu briser cette carapace qu'il s'était forgé. Même à Poudlard, où ils étaient relativement plus libres que dans leur famille, il persistait à ignorer sa main tendue. Sans doute était-ce là le fruit de l'éducation sévère qu'ils recevaient tous, eux, les héritiers de sang-pur. Elle-même n'avait pas été épargnée, sous prétexte qu'elle était une fille. Cela l'avait rendue plus forte, peut-être. Mais heureusement, malgré la froideur et la sévérité de son père, elle avait pu bénéficier d'un peu d'amour. Sa mère était toujours là pour la soigner après coup, pour lui offrir de la chaleur et du réconfort. Tous n'avaient pas cette chance. « Attends, Hadès, souffla-t-elle en voyant qu'il se détournait. Ce n'est pas ce que tu crois... Est-ce que tu... Mh. J'espère que tu n'as pas pris trop au sérieux ce que tu viens de voir... Un rire gêné franchit ses lèvres alors qu'elle tentait de déguiser la vérité. Je... Je répétais pour... Enfin...
U
n soupir résigné salua la fin de sa réplique. Prise sur le fait, elle ne pouvait pas inventer de mensonge crédible. Elle n'aimait pas vraiment mentir, par ailleurs, et s'efforçait d'être honnête en toute circonstance. Sauf quand la situation l'exigeait. « Oui, bon. A vrai dire, c'est sûrement ce que tu crois mais... Tu ne veux pas venir t'asseoir un peu ?
Cela faisait plusieurs heures que je me retournais dans mon lit, demeurant dans l'impossibilité de trouver le sommeil. Bien plus que circonstanciel, cela était habituel et ce malgré mes efforts pour retrouver un rythme de sommeil ordinaire. Rien n'y faisait. Je ne parvenais pas à m'endormir tôt. Le soir était le moment où j'étais le plus vif, celui où les pensées avaient pris la fâcheuse habitude de s'entremêler dans mon esprit. Je finis par me résoudre à me lever, constatant non sans déception qu'une fois de plus, mes tentatives étaient vaines. J'enfilai un large pullover en laine. Celui-ci était noir, basique, mais je l'appréciais malgré sa simplicité. Je n'avais nulle envie de rester dans le noir davantage. Aussi avais-je pour projet de sortir de mon dortoir pour regagner ma salle commune et profiter de la chaleur de la cheminée.
En ouvrant discrètement la porte de mon dortoir afin éviter d'avoir à supporter les braillements de mes condisciples, je me rendis rapidement compte que notre antre était déjà occupée. Je mis quelques secondes à reconnaître la demoiselle qui était installée sur le canapé. Une élégante jeune femme brune, au teint clair. Elle n'était autre que Lycoris, ma cousine. Je me mordis la lèvre. Pourquoi fallait-il toujours que mon passé me rattrape ? Je n'avais nulle envie d'engager une quelconque conversation avec elle. Certes elle me semblait bienveillante à mon égard, mais j'avais appris à me méfier des apparences. L'image que renvoyaient les gens était souvent biaisée. Lycoris pouvait paraître moins inhumaine que certains des membres de notre famille, elle n'en était pas moins l'une des leurs, qui partageait leur idéologie, leurs convictions, celles que je ne pouvais davantage supporter.
J'ignorais ce à quoi elle était occupée et à vrai dire cela était la dernière de mes préoccupations. Je me tenais immobile, las, me demandant s'il n'était pas préférable que je regagne mon dortoir lorsque tout à coup, je l'entendis parler, comme à elle-même.
« Bon sang, à quoi ça sert d'être voyante si je ne peux même pas avoir des visions sur commande ! » Qu'est-ce que cela signifiait ? Etait-ce une nouvelle tendance ou une plaisanterie de mauvais goût ? Récemment déjà, l'exubérante Vesper d'Orléans m'avait signifié ses soi-disant visions à mon sujet, chose qui m'avait relativement agacé. S'il y avait quelque chose qui m'insupportait, c'était bien que l'on se mêle de ma vie sans y avoir été invité, et je pense le lui avoir fait comprendre. Voilà qu'à présent, ma cousine s'y mettait également. Je lâchai un discret soupir, ne parvenant à masquer totalement mon désarroi. Je n'avais jamais été quelqu'un de superstitieux, aussi intéressé ai-je pu être par la magie. Aussi, les prouesses de voyance ne m'avaient jamais convaincu.
« Allez, s'il te plaît... Un petite vision de rien du tout, ce n'est pas compliqué... Pas grand chose... Juste le menu du petit déjeuner... Allez... ». De là où j'étais, je haussai un sourcil, perplexe. Je ne comprenais pas tout. Avait-elle réellement ce don ou cherchait-elle à l'acquérir en étudiant de poussiéreux grimoires ? J'osais espérer que ma deuxième hypothèse relevait d'une incompréhension de ma part.
La jeune fille, de toute évidence sujette à la colère, se mit à lancer un coussin. Je reconnaissais là l'impulsivité des Rowle, celle-ci se manifestant il est vrai de manière somme toute très relative à l'heure actuelle. Je restai là à observer la scène, perplexe. Il ne s'agissait pas de curiosité malsaine, non. J'étais simplement à la fois intrigué et las de l'émergence de ces prétendus dons au sein du château.
En relevant la tête après avoir ramassé l'objet qui fut la victime de sa colère, elle se rendit compte de ma présence. Je n'avais pas beaucoup avancé, je me tenais toujours à proximité des escaliers, me contenant d'observer la scène au loin, silencieusement. Si certains éléments demeuraient obscurs, je pensais avoir compris l'essentiel.
« Attends, Hadès, souffla-t-elle. Ce n'est pas ce que tu crois... Est-ce que tu... Mh. J'espère que tu n'as pas pris trop au sérieux ce que tu viens de voir... ajouta-t-elle avant de joindre un rire étouffé à ses dires peu convaincants. Je... Je répétais pour... Enfin... »
Son attitude ne laissa pas de place au doute. Lycoris mentait. Sa gêne se lisait sur son visage, dans son regard, elle s'entendait dans le rire nerveux qui avait accompagné ses hésitantes paroles. Mentir n'était pas quelque chose d'aisé, j'en savais quelque chose. Je ne répondis rien, me contentant d'esquisser un léger sourire, presque diverti dans la situation. J'avais, malgré moi, adopté certaines attitudes malsaines de mon paternel. A croire finalement que ses tentatives de me façonner comme il l'entendait n'avaient pas toujours été vaines.
« Oui, bon. A vrai dire, c'est sûrement ce que tu crois mais... Tu ne veux pas venir t'asseoir un peu ? » poursuivit-elle après un soupir. Au regard de la situation, je décidai d'accepter. Je me mis un instant à sa place. Si l'on découvrait l'un de mes secrets, j'aurais sans doute tenu à ce que cette mésaventure se solde par un dialogue. Que Lycoris se rassure, qu'elle soit voyante avérée, en devenir ou une sorcière ordinaire, je n'en ferais pas une affaire d'état, quoi qu'il en soit.
C'est alors que je pris place sur le canapé qui lui faisait face, avec ce silence qui me caractérisait tant. Je la fixai alors, sans laisser paraître aucune émotion sur mon visage. J'étais décidé à la tester, à voir si réellement elle était comme le reste de la famille ou si je pouvais attendre d'elle davantage que la propagande stérile à laquelle s'étaient livrés nos ascendants à notre égard. J'étais présentement en position de force, et cela n'était pas pour me déplaire.
« Ainsi toi aussi, tu aurais des visions ? » Lui demandais-je alors sur un ton calme, quoiqu'un peu hautain, un sourire de circonstance accompagnant mes paroles. Je n'étais pas vraiment attendri par la situation, je cherchais simplement à engendrer sa confiance. Je n'avais de toute manière pas l'intention de lui nuire. L'emploi du conditionnel exprimait mes doutes. Ma question faisait indirectement référence au don de mademoiselle d'Orléans. Peut-être Lycoris allait-elle faire éclater au grand jour la vérité sur cette prétendue faculté. Voyait-elle ? Et en cas de réponse positive, que voyait-elle ? Qui voyait-elle ? En quelle(s) occasion(s) ? J'attendais de sa part qu'elle développe, qu'elle m'explique. Peut-être aussi savait-elle des choses à mon sujet. Je m'efforçai de chasser cette effrayante idée de mon esprit, me contentant de lui adresser un regard impassible dans l'attente de sa réponse.
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Ven 1 Jan - 18:32
