C’était un jour chaud et humide, ce qui se fait de pire, avec un temps lourd, poisseux, qui fait coller les vêtements à la peau, un jour à ne pas transpirer, en faisant un footing ou, par exemple en accouchant. Mais si, ce 21 Juillet, à Sainte-Mangouste, Nathalie mit au monde le petit Morgan Basil Marlowe. Un bébé normal, dans un berceau normal, avec un cri normal, dans une famille normale, de sang-presque-purs normaux, qui n’aiment pas trop la racaille de moldus normaux, normalement, en somme. Morgan n’était donc pas prédestiné à un destin grandiose, grandiloquent ou grand-machin-chose, et d’ailleurs, vingt-trois ans plus tard, Morgan ne devint pas le plus grand mage noir de tous les temps, ni l’inventeur du sort qui fait pousser les gallions sur les arbres. Mais avant de savoir ce que Morgan devient à la fin du chapitre actuel, il faut remonter un petit peu. Peut-être qu’il n’était pas prédestiné à être un élu, mais son histoire, comme toute histoire, comporte son lot de péripéties. Des péripéties pas toujours jolies.
Un, deux, trois, nous irons au bois.
S’il fallait raconter une journée, dans l’enfance de Morgan – déjà, ce serait une nuit, parce que les conventions ça pue - pour comprendre comment, d’enfant simple bien qu’un peu trop cérébral et très peu raisonnable, il est devenu la personne tourmentée et torturée qu’il est, il faudrait remonter à la pleine lune de Février de ses douze ans.
Morgan et James courraient depuis déjà des heures à l’orée de la forêt de Dean quand le soleil s’était couché. Leurs mères étaient sœurs, et tous les deux avaient été élevés ensemble, passant d’une relation de cousins à celle d’amis et frères. Ces vacances dans le cottage familial n’étaient qu’une fois de plus dans leurs retrouvailles nombreuses. Un moment de plus à passer avec son meilleur ami, son frère de tout, sauf de sang, qu’était James.
Morgan se souviendrait toujours, - et il en rêverait toute sa vie -, de la dernière fois que Nathalie avait appelé les garçons depuis la colline sur laquelle était perchée le cottage, un peu plus en amont de l’orée des arbres. Elle riait, avait déjà bu quelques coupes d’hydromel à la cerise, et sommait les garçons de rentrer, maintenant que la nuit était tombée, pour souper en famille. Il était vingt heures et, en plein hiver, la nuit était déjà presque d’un noir d’encre.
Les garçons n’avaient pas obéi. Pas immédiatement. Il avait beau faire froid, la nuit était dégagée, claire, et les restes de neige de la veille qui trainaient entre les arbres étaient une excellente excuse pour deux gosses de rester trainer dans les bois, sous l’œil vaguement attentif de leurs parents…
Les étoiles brillaient donc haut et fort. Morgan aimait les regarder depuis qu’il était tout petit. Il avait toujours aimé cela. Et la lune… La lune quand elle est parfaitement ronde et scintillante. Ce soir-là était un de ces soirs. Magnifique.
« James, si tu manges cette boule de neige, j’te donne mon dessert ce soir ! » Dit Morgan en pointant un petit tas marronnâtre à leurs pieds. « Beurk, t’es dégueu ! J’veux bien manger celle qui est sous l’arbre là-bas, mais pas ça ! » Répliqua l’autre gamin, dont les cheveux étaient du même châtain clair que son cousin. Il pointait un tas de neige immaculé sous un chêne tortueux et Morgan eut une moue moqueuse. « Ok, alors j’le fais mais t’auras mon dessert que si t’arrives à grimper dans cet arbre, » ajouta James. « C’est d’accord ! » S’exclama Morgan, sûr de lui, en observant les branches de hêtre au-dessus de leurs têtes. Il tendit ensuite la main à James et les deux gamins échangèrent aussitôt une franche et désordonnée poignée de main dont eux seuls avaient le secret.
Ensuite, c’est le sang frais sur le sol d’un blanc pur qui illustre le mieux ce souvenir. La terreur, l’horreur, l’angoisse, les hurlements, la magie, et les larmes.
Seulement quelques secondes après que Morgan se soit hissé sur la première branche, une silhouette monstrueuse et d’une rapidité effrayante fondit d’entre les arbres pour se ruer sur James, resté en bas. Morgan ne l’avait ni vu venir, ni entendu. Aucun d’eux. Ce qu’il entendit en premier, cette nuit-là, après leur poignée de main, fut le bruit de gorge immonde dans un cri étranglé que produisit son cousin quand le loup-garou lui déchiqueta la clavicule d’un premier coup de crocs. Le second hurlement serait celui de Morgan. Un hurlement accompagné d’un craquement sinistre et profond. Celui de la plus grosse branche d’arbre dans lequel il était perché. Branche qui s’animerait alors que le monstre plongerait ses dents pointues et écarlates à nouveau dans le cou de James pour lui en arracher la moitié. Branche qui s’abattrait avec violence sur la créature qui l’esquiverait de justesse.
Cette nuit-là, donc, le loup-garou fut mis en fuite par les pouvoirs d’un gamin qui se manifestaient seulement pour la seconde fois de sa vie. Et cette nuit-là, ce même gamin assista à la mort atroce et sanglante d’une des âmes qui comptaient le plus à ses yeux sur cette terre.
C’est après cette pleine lune que Morgan développa une peur panique de la mort, une angoisse permanente de ne jamais vivre chaque instant comme il le devrait. Une torture permanente d’avoir poussé James à ce défi. Et ce n’était pas ce petit garçon, déjà peu coutumier de la logique, à qui on ferait comprendre qu’il n’était pas coupable. Alors le petit garçon ne s’arrêterait peut-être pas de grandir, mais désormais, il le ferait en transformant ses relations humaines en perpétuels tourments. Ses relations fusionnelles en les agrémentant de possession, de trop d’attention, d’inquiétudes…
Morgan ne fit jamais son deuil, ne cessa jamais de sentir le poids de la culpabilité, d’avoir peur et de devenir toujours plus téméraire pour défier la vie. Il développa ainsi cet étrange complexe, se forçant inconsciemment à souffrir en pénitence, par les moyens les plus étranges possible parfois, mais toujours pour se sentir vivant. Vivant mais pas en paix. Et c’est naturellement qu’il choisit la voie qu’il a pris aujourd’hui, traquant inlassablement le monstre qui l’a fait passer de l’innocence de l’enfant à une fatalité des plus funestes.
Quatre, cinq, six, vivre un vrai supplice.Il y a peut-être moins à dire de ses années à Poudlard. Morgan y évoluait dans l'ombre, plus à l'image d'un serpent, qu'à celle d'un aigle dans la
maison desquels il avait pourtant été envoyé. Il fallait bien lui accorder une chose, le petit Morgan était extrêmement intelligent, vif et intéressé. Intéressé par tout, tout le temps. Et puis, même s'il sortait peu de l'ombre, il y avait toute une faune autour de lui qu'il passait son temps à observer, à mieux connaître, à manipuler pour mieux en comprendre les comportements.
En réalité, on pourrait qualifier les années à l'école de Morgan comme une immense expérience, de la découverte et des variables, - souvent des contraintes - mises bien souvent là par le garçon. Morgan n'y fut pas préfet, ni membre de l'équipe de Quidditch malgré le fait qu'il ait toujours été sportif. Morgan n'y fut rien d'autre qu'un élève souvent solitaire mais jamais seul, entouré de gens toujours plus différents.
Après avoir perdu James, la capacité à tisser un lien solide et durable avec une seule personne le terrifia suffisamment pour que soient terriblement rares les personnes qui suivent ses pas depuis des années. Et pourtant, il rencontra, côtoya et conçu des liens de divers natures avec un nombre de personnes phénoménales. Toujours parce qu'il avait besoin d'éprouver des sentiments, de vivre, d'observer, d'apprendre, de contrôler... Mais souvent en arrivant au même résultat: à une précipitation foirée, une solution qui tourne, un échantillon qui se brise...
Les gens n'aiment pas être contrôlés, suivis, observés, manipulés. Ils n'aiment pas devenir le centre d'attention d'une personne au point de se sentir épiés. Il n'aime pas qu'on les étouffe. Et pourtant, dans sa quête, Morgan, - évidemment dans ses relations amoureuses d'abord, mais parfois même amicales -, finissait toujours par devenir métallique mais trop présent s'il était dans une de ses périodes actives, ou à l'inverse trop dépendant mais perdant pieds totalement lorsque l'apathie le touchait.
Des visages qu'il ne montrait qu'aux personnes qu'il essayait d'avaler dans son cercle de souffrance, montrant au reste du monde le même sourire doux et lointain du mec qui n'a l'air de rien d'autre qu'un premier de la classe en puissance mais qui ne veut pas en faire trop. Le mec sympas mais à qui on ne parle quand même pas trop. Le mec qui réussit ses ASPICS - et avant ses BUSES - en obtenant plus d'Optimal que de raison... Mais qui connait des désastres inexplicables dans d'autres aspects de sa vie.
Au fil de l'adolescence, de ses difficultés à établir des relations saines - trop rares dans ces sept années d'école -, et sans jamais parvenir à passer au delà de cette nuit-là, Morgan se mit à expérimenter fréquemment la dépression, vivant des heures sombres qui, violentes ou émotives, étaient toujours exacerbées par le climat de tension qui montait dans les couloirs de Poudlard comme dans le monde extérieur. Ce serait aussi un défouloir, plus tard, lorsque d'un simple mépris pour les moldus, et nés moldus, Morgan tomberait amoureux d'idéaux terribles et drastiques que sont ceux de la cause qu'il a embrassée en quittant Poudlard.
Depuis l'ombre, et sans qu'on le pointe du doigt pour ses névroses et son comportement, derrière un masque, il se trouva au moins enfin, ou du moins, accepta ce qu'il avait trouvé plus tôt.
Sept, huit, neuf, le bonheur n'est pas toujours tué dans l'oeuf.C'est un garçon cynique quand on le connait ; juste doué de beaucoup d'esprit mais discret pour les étrangers, qui devint chasseur dans l'unité de capture des Loup-garous, des années après. C'est l'année de ses vingt-trois ans qu'il devint un membre à part entière de l'escouade réputée de traque, après une formation éprouvante mais au combien grisante pour lui.
S'il a développé une peur de la mort, il n'en éprouva que plus de fascination pour le morbide. Et s'il est encore hanté par la disparition de James, il n'est pas terrifié par ces créatures de la nuit. Au contraire. Morgan aime toujours autant contempler la lune quand elle est pleine, et il aime encore plus qu'elle se teinte de rouge lorsque son devoir est accompli. Morgan s'y épanouit.
Il est l'un des meilleurs, surement le meilleur après le leader de l'unité dont il prendra surement la place un jour. Et c'est sans relâche qu'il passe chaque jour de sa vie à traquer, recenser et se faire un malin plaisir d'abuser de ses pouvoirs et de sa force, sur ces créatures de la nuit. Il les méprise, elles le dégouttent, peut-être autant que les moldus.
Pourtant, depuis quelques temps, il ne les côtoie plus seulement une baguette menaçante pointée sur le cœur. Après sa sortie de l'école, en effet, Morgan a embrassé la cause des mangemorts, arborant désormais la marque des ténèbres avec une dévotion profonde. Et le Lord sait toujours ce qu'il fait, connait l'utilité de tous ses soldats, même les plus insignifiants. Morgan est loin de l'être.
Désormais, et tout récemment, Morgan est investi d'une tâche. Bien qu'il ait du mal à la comprendre, il l'accomplit de son mieux, n'oubliant pas d'être aussi abjecte qu'il le peut envers les concernés. Il est chargé, lorsqu'il quitte sa couverture officielle au ministère, de renfiler officieusement sa blouse tâchée de sang pour traquer de nouveau ces monstres, mais, cette fois, pour les recruter pour son maître.
Non, vraiment, il ne voit pas pourquoi le Lord a besoin de cette vermine dans ses rangs. L'endoloris et les sortilèges de découpe font déjà un travail exemplaire sur les moldus, alors pourquoi lâcher sur eux des chiens enragés? Morgan ne sait pas. Morgan obéit simplement. Et qui sait... Peut-être que dans cette guerre, si guerre il y a, ces monstres ne seront rien d'autre que de la chaire à canon? En tout cas, il ne leur réserve jamais un traitement plus gratifiant que ça.
Aujourd'hui, donc, Morgan n'a rien révolutionné, parfois, c'est tout juste s'il arrive à se gérer, mais quand il ne souffre pas de dépression, Morgan est presque heureux, et satisfait de la vie qu'il a. Il n'est pas totalement seul, n'a pas exactement tout raté et réussi même très bien ce pour quoi il a gardé la rage de vivre. Parce que si une chose est certaine, c'est qu'il ne se contentera pas d'exister. Il vivra, jusqu'à tout consumer.