Au son de sa voix, je me rétracte, mal à l’aise. Je me mords l’intérieure de la joue pour ne pas laisser vie à cette envie de prendre mes jambes à mon cou. Je voudrais être aussi petite souris pour pouvoir m’enfuir dans un trou, me terrer pour qu’il ne puisse pas me débusquer. Un frisson me parcourt l’échine malgré moi lorsqu’il s’approche et par habitude, mécanisme, je baisse les yeux et fuit son regard. Je devrais probablement lui rendre sa salutation, mais les mots sont bloqués dans ma gorge. Je n’ai pas envie de parler, je n’ai pas envie de lui répondre. Il y a quelque chose qui m’interpelle dans cette façon qu’il a de me nommer. Meade. Je n’ai jamais aimé mon nom et je pense que je ne l’aimerais jamais. Il ne peut pas s’imaginer à quel point se voir ainsi hélé était la pire chose qui puisse m’arriver. Meade. Ces cinq lettres formaient le nom qu’on se passait de mère en fille depuis des générations. Jamais d’histoire d’amour possible quand on se nomme Meade. C’est comme être condamné à une vie de tristesse et de solitude sans fin. Je trouve ça horrible et je n’ai même pas la force de l’exprimer. Je voudrais qu’il ne m’appelle pas, qu’il m’oublie ou qu’il ait la décence d’utiliser mon prénom. Je n’ai pas l’impression que ce soit la lune, n’est-ce pas ? Elwan n’est pas méchant et je l’apprécie beaucoup. Sauf qu’il en exige trop de moi. Il suffit qu’une fois tout dérape pour que les gens pensent que vous êtes capable de tout. C’est faux. Je suis loin d’être ce qu’il attend de moi. Je n’ai ni courage, ni force, ni même l’envie de me battre. C’est un truc que je laisse aux gens fou, aux gens qui n’ont rien d’autre à faire. Je pense qu’on ne devrait pas laisser cette guerre absurde nous ronger et pourtant, c’est tous ce qu’on fait. Je frisonne au contact du bras d’Elwan autours de moi. Il y a quelque chose dans ce geste qui me dit que je vais le regretter, qu’il va encore me mettre à l’épreuve. J’essaie de retenir mes pas quand il m’entraîne dans les toilettes, mais je n’ai pas vraiment la force de lui résister. Il a toutes ces convictions que j’aimerais avoir, toutes ces convictions qui font de lui quelqu’un de courageux et sans peur. Je n’en ai aucune, il devrait me laisser trainer dans mon coin comme une espèce de vieille chaussette puante. J’imagine que c’est ce que ferait la moitié de Poudlard, de toute façon, alors il n’y aurait pas de raison. Quand il referme la porte derrière nous et qu’il sort sa baguette, je baisse les yeux, encore. Je voudrais lui dire que je refuse tout ça, que ce n’est pas moi. Mais je suis un peu reconnaissante envers lui, alors je garde le silence un moment s’en broncher. Et je me remémore cette fois où il s’est retrouvé à l’infirmerie pour moi. Je me pose des tas de questions sur ce qui peut pousser un gars comme lui à faire ça. Je m’imagine des tas de trucs sur la vie qu’il a pu vivre et puis je secoue vaguement la tête pour redescendre sur terre. Je lui offre une espèce de sourire navrée qui ressemble davantage à une grimace qu’autre chose. Je pose le plat de ma main sur sa baguette et je la baisse d’un geste doux. Je sais bien qu’il voudrait que je suis plus forte, plus combative… mais faut qu’il comprenne que je suis comme un petit oisillon tombé du nid. Je suis encore trop fragile pour déployer mes ailes. Je ne sais même pas si je pourrai y arriver un jour. J’ouvre la bouche, et la referme. On dirait un poisson hors de l’eau qui cherche à respirer. Je voudrais dire un mot, lâcher un son, mais je suis comme paralyser. Mes doigts se referment sur sa baguette alors que j’aspire un grand coup et que j’ose finalement : « Pas prête. Jamais prête. » Quatre malheureux mots, c’est la seule excuse que j’ai pour lui. Je ne sais pas trop ce qu’il attend de moi et j’avoue que j’ai peur de le blesser. Quand je commence à perdre les pédales, à ne plus savoir où je vais, je peux me montrer dangereuse et imprévisible. Je n’ai pas envie de ça. Pas avec ce héros. Il a encore beaucoup de gens à protéger, des gens différents de moi, des gens qui en valent la peine. « Tu sais bien que je suis pas faite pour ça, Elwhan… Je… Enfin, tu sais bien. » Les quelques mots éraillés que ma voix prononce péniblement après son silence continu me prouve que tout ça est stupide, que ça n’a pas de sens de se retrouver planquer dans des toilettes pour un duel, amical ou non. Je relâche le bout de bois et pose mes iris sur les siennes, un peu rêveuse, un peu triste. J’espère qu’il ne me provoquera pas, qu’il me laissera passer sans un mot, mais je n’y crois pas…