Shawn & Louison
beyond apparearances

Mon regard se perdit dans le vide un court instant, mes yeux se fermèrent sans même que je ne m'en rende compte, ma tête commença à s'élancer vers l'avant. Quant à ma plume, elle dérapa sur le parchemin sur lequel j'étais en train d'écrire.  Une fois de plus, j'avais manqué de m'endormir.

Cela faisait des années que j'éprouvais des difficultés à faire des nuits complètes, ne bénéficiant ainsi du sommeil réparateur dont j'avais besoin. Les pensées avaient toujours la fâcheuse habitude se s'entremêler dans mon esprit dès que je regagnais mon lit. C'est la raison pour laquelle je ne me couchais désormais que lorsque la fatigue ne me laissait d'autre alternative.

Ces derniers jours, la situation n'était que pire. Je gagnais rarement les bras de Morphée avant deux heures du matin. Les devoirs s'étaient accumulés sans réellement que je leur porte une réelle attention ; si bien qu'à l'approche des échéances, il avait fallu que je rattrape mon retard. Autant dire que la tâche était loin d'être évidente. Je reconnaissais sans mal être quelqu'un de perfectionniste, ce qui était assez incompatible avec mes tendances à la procrastination. Ainsi, je passais depuis une semaine le plus clair de mes soirées, voire de mes nuits, à travailler.

Ce rythme m'était devenu insupportable. Mes capacités de travail n'avaient jamais été exceptionnelles, il m'était impossible de le nier. Même si j'étais un élève consciencieux j'avais besoin de faire des pauses, de penser à autre chose. Et en ce moment je n'en avais plus vraiment l'occasion, le rythme était si intense que j'avais l'impression d'étouffer.  

Ainsi la bibliothèque, dans laquelle je ne me rendais jusqu'alors qu'occasionnellement, était aujourd'hui devenue comme mon deuxième dortoir. Au sens figuré comme au sens propre, puisqu'il n'était pas rare que je m'endorme quelques instants avant de reprendre mes esprits.

Je n'osais même pas imaginer les traits de mon visage, ni même l'importance de mes cernes. Chaque matin pourtant je m'efforçais d'être présentable, ce qui à mes yeux n'était pas quelque chose de négligeable. Je n'avais jamais vraiment apprécié mon apparence physique, si bien que je faisais tout pour en limiter les dégâts, en mettant en valeur mes atouts et en masquant comme je le pouvais ces éléments disgracieux qui me complexaient tant.

J'avais par ailleurs pris soin de me changer à la sortie des cours. L'uniforme des Serdaigle n'était ni vraiment  confortable, ni très esthétique, il fallait l'avouer. J'avais opté pour un ample tee-shirt noir, un Jeans gris troué et une grosse écharpe en laine de couleur rouge foncé, assortie à la couleur de mes baskets. J'avais également eu peur d'avoir froid, si bien que j'avais enfilé ma veste en cuir noir.  

Regagnant soudainement mes esprit, j'observai un instant mon parchemin. J'allais devoir, une fois de plus, tout recommencer. Je soupirai alors, arrachant en quatre ce que je m'étais tant appliqué à faire. Je sortis un nouveau parchemin, bien décidé à ne plus m'endormir afin de ne plus tâcher mon devoir par de telles ratures.

Je me replongeai alors dans le grimoire qui se trouvait devant moi. J'avais lu la page une bonne dizaine de fois, tout au moins pour ce qui était des premières lignes, sans néanmoins me concentrer suffisamment pour réellement parvenir à la comprendre ce qui était écrit. Les lignes se mélangeaient dans mon esprit. Les mots me semblaient si complexes qu'il m'était difficile de dégager le sens général du texte qui devait pourtant être un tant soi peu accessible. Ma concentration me faisait défaut, une fois de plus. Il me fallait néanmoins, cette fois, être efficace ; si bien que je m'efforçai de chasser toute autre pensée de mon esprit.

Comme il fallait s'y attendre, mes efforts furent vains. Alors que j'étais enfin parvenu à lire les cinq premières lignes du texte sans que mes pensées divaguent ou que mon esprit s'endorme ; j'entendis en effet une voix s'adresser à moi. Et bien évidemment, cela me fit légèrement sursauter.

Je n'eus pas besoin d'adresser un regard à mon interlocuteur pour reconnaître son identité. J'avais reconnu sa voix. Il s'agissait du nouveau bibliothècaire de Poudlard, M. O' Caroll me semblait-il. Un curieux personnage, qui de ce fait m'intriguait. Son caractère semblait être à l'opposé du mien.

C'était un homme extraverti, avenant, bien que très maladroit. Certaines rumeurs prétendaient même qu'il avait déjà tenté de séduire des élèves de Poudlard, évidemment en vain. Je trouvais cette attitude relativement puérile et pathétique, et d'autant plus de la part d'un enseignant. Je reconnaissais par ailleurs éprouver des difficultés à m'entendre avec les personnes qui se mettaient ainsi en avant, qui me mettaient mal à l'aise par leur aisance naturelle, à mille lieux de mon mal-être et de ma timidité. Aussi il m'était sans doute arrivé d'être assez froid à son égard dans mes réponses, sans pour autant lui manquer de respect.

Le temps passant, je m'étais néanmoins surpris à réviser mon point de vue. La moquerie de certains élèves à son égard m'incitait à chercher au-delà des apparences. Je n'appréciais pas vraiment le mépris sous prétexte de la différence. Je n'aimais ni la moquerie, ni la méchanceté. Après tout, j'avais sans doute moi-même fait une erreur en le jugeant ces sur quelques à priori. Malgré ses défauts ; on ne pouvait d'ailleurs pas retirer à cet homme son dévouement. Je fus en effet surpris de constater qu'à chacune de mes visites il soit venu me proposer ses conseils... Conseils que j'avais pourtant systématiquement refusés. Et pourtant à chacune de ses visites, il se montrait disponible et serviable. Cela m'incitait à me montrer moins sauvage, peut-être plus agréable. Après tout, il ne m'avait rien fait.

Néanmoins, il restait ni plus ni moins qu'un professeur. Aussi n'avais-je jamais envisagé d'engager un quelconque dialogue avec lui sur d'autres thématiques que l'école ou la littérature. Je ne lui avais jamais d'ailleurs adressé plus que quelques mots. Et puis, aujourd'hui, ce n'était vraiment pas le moment. Je n'avais ni le temps, ni l'envie de m'attarder à ce genre de conversations studieuses.

Je me contentai de lever les yeux de mon livre, pour lui adresser un regard quelque peu hagard, écoutant ce qu'il avait à me dire.

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Shawn & Louison
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« Shawn. Tu vas bien ? » Ces paroles étaient des plus banales. Il s'agissait de la manière la plus habituelle d'engager une conversation. Et pourtant, elles me surprirent un peu ; lorsque je compris qui en était l'auteur. Le bibliothécaire ne m'avait, il est vrai, jamais demandé comment j'allais. En vérité il n'avait même, me semble-t-il, jamais prononcé mon prénom. Et aujourd'hui il se comportait comme s'il souhaitait engager une discussion.

Mon regard était désormais porté vers mon interlocuteur. Contre toute attente, le bibliothécaire prit place face à moi, s'installant sur l'une des chaises inoccupées qui se trouvait autour de la table à laquelle j'étais installé. Mes sourcils se froncèrent légèrement. Que voulait-il ? J'avais toujours tendance à me montrer méfiant en présence d'inconnus. Je l'avais déjà croisé à maintes reprises, je ne le niais pas. Nous avions déjà échangé quelques mots, je le reconnaissais. Mais je ne savais rien de lui, de ses intentions, de sa personnalité au-delà des rumeurs qui courraient à son sujet.
Il est vrai aussi que je m'étais promis d'être plus aimable, mais je savais qu'à l'heure actuelle je ne pouvais feindre la sociabilité. La fatigue me donnait mal aux yeux, et je savais que dans ces situations d'épuisement, mon regard était étrangement rouge, trahissant ainsi le manque de sommeil que j'avais accumulé. Je n'eus pas le temps de lui répondre que le bibliothécaire poursuivit, m'indiquant ainsi la nature de son intervention. « Je ne veux pas t'embêter, mais la bibliothèque va fermer. »

Evidemment. Un vague sourire illumina mon visage alors éteint. C'est alors que je compris et me souvins de ce qui m'avait réveillé. Je n'y avais pas fait attention sur le moment, car encore trop endormi pour comprendre de quoi il s'agissait. Un léger son, que j'entendais pourtant tous les soirs en ce moment. Celui qui signifiait que la bibliothèque fermait ses portes, et qu'il était temps pour moi de regagner la grande salle pour aller dîner. C'était du moins ce qui était spécifié dans le règlement intérieur de l'école. Il n'était pas rare que je manque quelques repas. J'aimais voir mon corps changer. J'avais l'impression de contrôler au moins une chose dans cette existence qui semblait chaque jour un peu plus m'échapper. En ce moment j'avais le prétexte de la charge importante de travail que j'avais chaque soir, et il s'agissait d'ailleurs d'un fait. Même en me remettant directement au travail dans ma salle commune, il m'arrivait de n'arrêter de travailler qu'à une heure avancée de la nuit, lorsque mon corps ne suivait plus.

Je m'apprêtai alors à acquiescer et à ranger rapidement mes affaires, de manière à laisser le bibliothécaire quitter les lieux et aller manger avec le reste de l'équipe professorale. Je pensais ainsi connaître la raison de sa visite, pensant simplement qu'il était venu me rappeler qu'il était temps que je quitte les lieux. Et c'était légitime, cela ne me froissait en aucun cas. Après tout, cela me permettrait de faire une pause, le temps de regagner ma salle commune.

Pourtant, je me trompais. M. O' Caroll ne s'arrêta pas sur ce simple discours protocolaire. « Shawn … Y-a-t-il quelque chose qui ne va pas ? Tu peux en parler, tu sais. Je ne suis pas là pour te juger. » Mon visage trahit sans doute mon étonnement devant ce qu'il venait d'ajouter. Mon regard devint hagard encore davantage. Il était évident que mes cernes très marquées y étaient pour quelque chose dans les dires du professeur, et sans doute dans les hypothèses qu'il devait envisager à mon sujet.

Je ne savais que répondre, et j'étais en vérité assez troublé devant cette question en apparence si banale. Elle ne l'était pourtant pas. Mes amis me demandaient chaque jour comment j'allais lorsque je les croisais. Et à chaque fois je leur souriais et leur répondais par la positive, feignant un moral au beau fixe. Aucun ne prenait jamais la peine d'insister.

En ce qui concernait les enseignants, ils ne se montraient pas beaucoup plus concernés, bien au contraire. Ils se contentaient de me reprocher mon inattention, ma tendance à m'endormir. Quant à moi, je me contentais de les haïr pour ça.

Mon regard jusqu'alors perdu dans le vide se posa à nouveau sur le bibliothécaire. Je n'avais encore rien dit. Je n'avais pourtant pas le choix. Il me fallait lui répondre. Que dire ? Je n'en avait aucune idée. J'avais cependant déjà passé bien trop de temps à rêvasser pour y réfléchir davantage. « Je suis désolé, je vais y aller, je n'ai pas fait attention à l'heure... » et je n'ai pas entendu votre signal sonore car j'étais sur le point de m'endormir, pensais-je intérieurement. Je poursuivis après une courte pause « Ne vous en faites pas, tout va bien, je suis juste un peu fatigué... » ajoutais-je avec un sourire un peu incertain, mais néanmoins reconnaissant. Je n'avais pas utilisé l'habituel ton frigide que j'utilisais pour répondre aux inconnus. Il est vrai que le contexte ne jouait pas en ma faveur. L'attitude qu'adoptait cet homme me touchait. Elle n'avait rien d'extraordinaire, c'est vrai. Mais rien ne l'obligeait à me poser ces questions, à s'inquiéter pour moi comme il semblait le faire.

Je commençai alors à ranger mes affaires, en prenant soin de fixer mon parchemin entre deux manuels pour ne pas que celui-ci s'abime, ce qui m'inciterait à recommencer mon travail, une fois de plus. Mon matériel était à présent rangé. Plus aucun objet n'était désormais sur ma table. Je balayai un instant la pièce du regard. La bibliothèque était vide, de toute évidence. J'étais donc l'unique retardataire. Je m'étais assez attardé. Ne voulant déranger plus longtemps M. O'Caroll, je commençai alors à me lever. Avant de quitter la table en de prendre ainsi la direction de la sortie, je lui adressai un regard quelque peu hésitant. C'est alors que j'ajoutai, la voix un peu tremblante, toujours à mille lieux du ton sec avec lequel je m'étais souvent adressé à lui  « En tout cas, merci. » Oui, je lui étais reconnaissant de m'avoir posé la question. Rien ne l'y obligeait. Et même si je ne lui avais rien dit, cela m'aidait de savoir que quelqu'un s'en était inquiété, et que je n'étais peut être finalement pas si invisible aux yeux des autres.

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