La lumière des torches suspendues aux murs allongeait les ombres sinistres sur le sol et les meubles de la salle de bain blanchâtre des serpentard, obligeant la jeune fille à se rapprocher du miroir pour observer minutieusement son visage délicat tandis qu'elle le nettoyait de la fine couche de maquillage qui le recouvrait. Après maints rinçages à l'eau glaciale pour entretenir sa peau quelque peu tiraillée, Aaren se recula d'un pas tout en resserrant l’élastique qui retenait ses longues mèches rousses dans une queue de cheval maladroite et observa son reflet l'air satisfait. « Je suis jeune il est vrai, mais aux âmes bien nées, la valeur n'attend pas le nombre des années » lui souffla-t-elle dans un français parfait, en citant par-là l'auteur Corneille, dont sa mère collectionnait les titres sans jamais les lire pour se donner l'air raffiné. La rousse, elle, les parcourait depuis qu'elle était en âge de les comprendre, en rêvant de posséder un jour un tel talent, et connaissait donc par cœur une partie des vers principaux. Elle s'offrit un clin d’œil complice, puis baissa les yeux sur ses affaires de toilettes éparpillées sur le lavabo, à la recherche de son dentifrice et de sa brosse à dent, qu'elle prépara après les avoir tous deux sortis de leur cachette. Un mouvement dans le miroir capta son attention et lui fit relever la tête brusquement. Elle n'était plus seule. L'ombre mouvante derrière elle entra dans le cercle de lumière tremblotante dessiné par la torche la plus proche, et Aaren frissonna. La silhouette lui avait paru familière, mais elle avait un instant tenté de se convaincre qu'elle se trompait. Malheureusement pour elle, ces longues mèches noires et ce regard envoûtant n'appartenait qu'à une seule serpentard, que la rousse fuyait habilement depuis quelques semaines, à nouveau confronté au doute. Elle soupira discrètement, ne sachant quelle attitude adopter. Majkalena était son amie depuis leur entrée à Poudlard, où les deux vertes et argents étaient passées de gamines qui se prétendaient adolescentes à adolescentes qui se prétendaient adultes en se supportant l'une l'autre dans ces nouvelles expériences déroutantes. Elle la considérait vraiment comme une proche amie qu'elle pensait connaître mieux que beaucoup, jusqu'à ce qu'elle rencontre le reste de la famille suédoise. Son frère et son cousin lui avait appris et prouvé certaines vérités sur son amie qui avaient permis au doute de s'insinuer en elle comme le serpent donc elle représentait la maison. L’égoïste rousse avait pris peur et avait décidé de s'éloigner d'elle. Son amie ne semblait plus être celle qu'elle prétendait, et lui semblait carrément dangereuse, voire malsaine. Pourtant, malgré toutes les mises en garde, la noiraude lui manquait trop pour qu'elle ne rompe complètement les liens qui les unissaient. Ainsi, depuis plus d'un an, Aaren zigzaguait entre amitié et rejet de Majkalena sans réussir à se décider de la bonne marche à suivre. Ce soir-là, à nouveau, elle ne savait que faire. Depuis toujours, elle choisissait des heures où la salle de bain était déserte, tant elle abhorrait se montrer au monde lors de sa toilette ou après, avec ce visage nu et propre et ces habits confortables. Si habituellement, sa technique fonctionnait et elle ne croisait jamais âme qui vive, aujourd'hui, son horaire lui jouait des tours, car elle se retrouvait seule avec la Ljungström, dans une ambiance gênante qu'aucune autre élève n'allait venir détendre. Sans se retourner, elle s'autorisa un faible sourire et adressa au reflet de son amie un simple et neutre bonsoir avant de fourrer sa brosse à dent dans sa bouche pour s'accorder une occupation. Pourtant, déchirée, elle n'arrivait pas à détourner son regard de l'image des prunelles étincelantes de la belle suédoise dans le miroir dont l'état délabré et sale jurait avec ce qu'il réfléchissait.
Tu l'avais suivie comme tu suivais autrefois tes cousines plus vieilles. Fascinée, pendue à leurs pas. Ce n'était pas ta faute, dès que son regard pâle s'était posé sur toi, se cheveux longs et rayonnants tombant dans son dos tu avais été fascinée par cette beauté venue d'ailleurs. Elle n'avait rien à voir avec tous ses yeux sombres avec lesquels tu avais grandis. Elle était resplendissante et tu t'étais dis qu'en étant près d'elle sa beauté refléterais sur toi. Tu étais devenue amie avec elle par intérêt, par admiration. Parce que si ton narcissisme te poussait à te contempler longuement dans les glaces, tu pouvais la regarder encore plus longtemps. Parce que la toucher serait indécent, du moins, c'était ce que les murmures disaient. Tu n'en pensais pas autant, mais tu ne t'y étais jamais risquée, tu ne voulais pas la perdre pour un jeu de quelques instants fugaces qui te porteraient préjudices. Pourtant tu étais dans l'ombre de la salle de bain, à la regarder nettoyer son visage, la regarder se regarder. Et même, faire ce qu'on faisait tous quand on étaient seuls, être vrai. Se parler à soi-même, chantonner, ne pas être à son meilleur. C'était d'autant plus fascinant de la voir ainsi. La vraie Aaren, celle qui se murmurait des vers de Corneille malgré la pureté du sang coulant sous sa peau diaphane. « Je suis jeune il est vrai, mais aux âmes bien nées, la valeur n'attend pas le nombre des années » Tu ne comprenais qu'à peine ses mots charmants, peinait à les identifier, tu ne savais même pas que c'était du français, mais c'était délicieux à tes oreilles. Comme si elle était une déesse venue de terre lointaine qui t'emporter dans un palais doré pour te souffler des mots auxquels tu ne comprenait rien. Tu aurais aimé qu'elle vienne te raconter des histoires le soir, des histoires dont tu ne comprendrais pas un mot, qui pourrait parler de putains et de morts et pourtant te tireraient vers les bras doux et cléments de Morphée. Elle se fit un clin d'oeil, resplendissante et ne se doutant pas que quelqu'un l'épiait de son souffle court à l'autre bout de la pièce. Elle se concentrait ensuite sur quelque chose devant elle que tu ne voyais pas. Tu te déplaçais légèrement, pour voir ce qu'elle faisait, la voir entièrement. Trop tard, elle te remarqua et leva la tête raidement tandis que tu te figeais. Tant pis, tes pas t'amenais doucement vers elle. Apparaissant dans la lumière pour lui dévoiler ton visage. Enfin, tu la retrouvais. Il te semblais qu'une éternité avait passée avant que tu ne t'approches d'elle, que vous ne faites plus que vous échanger un sourire en vous croisant. N'étiez-vous pas sensées êtres amies ? Tu ne comprenais pas ce qui se passait, ce qui c'était passé. Peut-être avait-elle eut vent de ton don de légilimencie ? Tu l'avais vu traîner avec Vilhem et pourtant, sans savoir ce qu'il avait pu lui dire, tu savais que c'était surement de sa faute. Ton cousin jouait à un jeu dangereux à tenter ainsi d'éloigner des gens de toi. Et lui, si les gens savaient ce qu'il faisait, l'aimeraient-ils autant ? N'auraient-ils pas peur d'être les prochains. Et Magnus n'était pas mieux, batifolant à gauche et à droite et traînant parfois Aaren à son bras. Même si ton ventre grognait de savoir qu'elle et ton frère se tournaient autour comme des tornades, tu étouffais cela, prétendant qu'ils étaient ridicules, mais tu étais jalouse. Jalouse et pourtant, la question demeurait, qu'est-ce qui te rendait jalouse dans sa relation avec toi Magnus ? Te faire voler ton amie, ou bien ton frère ? Tu n'y répondais pas, contentant d'être furieuse de tout cela. Elle t'adressais un sourire trop faible pour tout ce que vous aviez pu vivre et partager ensemble. Désormais tu t'étais solidement accrochée à Moa, mais Aaren te manquais tout de même. Elle te lançais un bonsoir presque vague avant de mettre sa brosse a dent entre ses lèvres pour s'empêcher de devoir converser plus longtemps.
Tant pis, tu n'avais pas besoin qu'elle parle, pas maintenant. Ton regard fixait le sien dans le miroir, soutenant le sien alors que tu t'approchais encore dans son dos. Vêtue de ta longue nuisette noire aux épaules transparentes de par les tissus élégants qui s'y joignaient en laissant tes bras découverts. Ton buste joliment couvert de dentelles noires. Rien de moins, parce que ta mère ne te laissait jamais ne pas avoir l'air absolument parfaite, en tous moment, en tous endroits. Elle en venait même à râler, encore aujourd'hui, si elle découvrait en remontant la fermeture éclair de ta robe que tes sous-vêtements n'étaient pas coordonnés ou encore s'ils étaient plus confortables que jolis. Voulant contrôler tout et faisant passer les prétendants chez-toi pour te trouver un fiancé, du moins, il t'en fallait un avant la fin de tes études. Tu avais encore le temps, et heureusement, parce qu'il fallait la perle rare. Tu t'en fichais à cet instant pourtant. Ta mère était bien loin et heureusement. Tu laissais cette étrange envoûtement, que la jeune femme te faisais subir, te dévorer tranquillement alors que tu t'approchais un peu plus, ton visage se posant au dessus de son épaule dans le miroir. Tu la fixais encore un moment pourtant alors que tes doigts n'osent glisser dans ses cheveux roux et doux. Tes doigts s'y mêlant dans une longue caresse jusqu'au milieu de son dos, jusqu'à la mort de sa crinière. Tes doigts effleuraient même le reste de son corps, retrouvant pourtant tes côtes pour éviter de glisser sur ses courbes qui t'étaient interdites alors que ton frère ne se gênait certainement pas.
« Comment tu vas me fuir maintenant ? » Lui demandes-tu, ton regard affrontant de nouveau le sien, sans être certaine de ce qui lui fait peur. Ce qu'elle détient contre toi et qui pourrait se propager comme un venin poison. Tu t'approches encore, ne laissant qu'un faible espace séparer vos corps, sans savoir si ce presque contact la rend mal à l'aise. Vous vous êtes pourtant serrées dans vos bras de nombreuses fois, elle a embrassé tes joue, tu as noué ses cheveux, vous avez pris un bain de minuit ensemble. La lune reflétant sur vos corps encore juvéniles sans moindrement le cacher. C'est pourquoi ta main remonte dans sa interminable crinière, qu'elle passe dans sa chevelure pour en libérer l'une de ses épaules. Jetant le reste de la crinière sur l'autre. Tu n'es pourtant pas venue en ennemie et c'est ainsi que tu poses un doux baiser sur la joue de la jeune fille. Pour renouer avec votre passé, votre amitié lavée par les mensonges et la jalousie. « Dis-moi que tu ne crois pas un mot de ce qu'ils ton dit... » Lui souffles-tu dans un murmure douloureux, tes mains glissent vers ses bras alors que tu l'incites à se retourner doucement vers toi, comme dans une danse que tu mènes. Tes doigts se resserrent doucement contre ses bras, se voulant rassurant, pas oppressants ni agressifs. Tu laisses cela à Vil et Mag. Tu es venue te lavée de tes pêchés une bonne fois pour toute. Parce que si tu n'es pas une sainte, aucuns Ljungström ne l'est d'avantage.
Lorsque Majkalena était apparue, c'était comme si le temps lui-même s'était ralentit, presque arrêté, que seules les deux serpentards continuaient de vivre, dans un doux silence qui les recouvrait comme un voile. Même leurs gestes paraissaient plus lents, comme si elles se mouvaient dans l'eau. Aaren avait oublié son action initiale et ne bougeait sa brosse à dent que par intermittence, plus occupée à scruter son amie qui glissait, plus que marchait, vers elle, avant de poser son menton sur son épaule. Leurs regards, tout proches maintenant, tournés vers le miroir, dévisageaient le reflet de l'autre. Elles étaient si différentes. Roux flamboyant contre noir d'ébène. Flamme française contre glace suédoise. Deux étranges étrangères. Chacune une réputation portée par des murmures qui parcourent continuellement le château. Et une amitié trahie par ces rumeurs vengeresses. Plongée dans cette contemplation, Aaren ne put retenir un frisson de surprise lorsque qu'elle sentit la caresse de la main dans ses mèches, avant d'adresser un sourire tordu par la brosse à dent au reflet calme, car elle appréciait le geste d'affection. Elle savait combien ses cheveux, qu'elle chérissait, étaient sources de fascination pour les hommes, tant ceux-ci le lui avaient répété. Longs, flamboyants, doux, soignés et toujours propres, ils courent dans son dos et se balancent autour d'elle lors de ses mouvements, attirant le regard par leur éclat. Mais elle adore en retour quand quelqu'un passe ses mains dedans comme le faisait son amie à ce moment, joue avec ou les coiffe. Pourtant, le geste l’embarrassait, car il lui montrait une fois encore combien la noiraude et son affection lui manquait. De plus, en l'acceptant, elle ne pouvait pas par la suite l'éviter à nouveau comme elle le faisait ces derniers temps.« Comment tu vas me fuir maintenant ? » murmura son amie comme si elle avait lu dans ses pensées. Aaren haussa les épaules. Elle ne savait même pas si elle souhaitait vraiment la fuir. Elle ne savait pas ce qu'elle voulait. Croire en ses rumeurs et s'en protéger, ou garder son amie auprès d'elle. Cette question, elle la tournait et la retournait dans sa tête depuis plus d'un an, sans jamais lui trouver une solution. Et indubitablement, elle les faisait souffrir toutes les deux. Se rapprochant toujours plus, la noiraude souleva la masse des cheveux roux pour les jeter sur l'épaule droite d'Aaren, les laissant onduler sur sa poitrine et son abdomen, avant de lui déposer un simple baiser sur la joue gauche. Cette gentillesse émut Aaren, qui voyait dans ses gestes les souvenirs qu'elles partageaient, leurs câlins et embrassades. Ce soir, Majkalena venait tenter de réparer les pots cassés. Pourtant, Aaren le savait pertinemment, c'était elle-même qui les avait brisés. « Dis-moi que tu ne crois pas un mot de ce qu'ils t'ont dit... » Souffla-t-elle dans son oreille, bien qu'elles étaient entièrement seules dans la pièce. Aaren déglutit, avant de se retourner sous la poussée de son amie, qui lui tenait affectueusement le bras, sans tenter de la menacer ou de lui faire du mal. Elles se faisaient face maintenant, la rousse acculée contre le lavabo de marbre, qui dévisageait la noiraude, un peu plus petite qu'elle, tenant encore sa brosse à dent d'une main tremblante. Elle se sentait faible et maladroite, car elle savait qu'elle ne contrôlait pas la situation, ce qu'elle détestait. Personne ne contrôlait quoi que ce soit, son cœur ignorait sa raison et la bouleversait complètement. Mais elle savait par contre que, par respect pour son amie mais aussi pour ce qu'elles avaient vécu, elle lui devait une réponse franche. Elle inspira, se retourna, prenant le temps de se rincer la bouche du dentifrice qui s'était liquéfié entre ses mâchoires, puis de laver sa brosse à dent, avant de se placer à nouveau face à elle. « Ils sont très convaincants, tu sais. Je ne veux pas te mentir Maj, ils m'ont foutu des sacrés doutes à ton sujet. » Elle regarda ses yeux, deux infinis dans lesquels n'importe qui pouvait se perdre, comme si elle cherchait à y trouver la vérité. Finalement, elle recula et se décala sur le côté, marchant vers un autre lavabo avant de se retourner à nouveau vers Majkalena. « Ils ne m'en parlent pas souvent, tu sais ... » Souffla-t-elle sans trop savoir pourquoi elle disait ça. Peut-être pour ne pas les accuser. « Et Hem, en particulier Hem, je ne lui vois aucune raison de me mentir. Mais j'ai besoin de preuves pour être convaincue, tu me connais. » Elle se détourna à nouveau. Elle ressentait le besoin de bouger, d'agir même, pour enfin, après tant de temps, connaître la vérité, sur laquelle elle avait plusieurs fois enquêté pour en savoir plus, sans grand succès. Cette vérité qui effacerait ces doutes qui rongeaient une amitié autrefois précieuse. Elle pensa au garçon qu'elle avait cité, son cher Poufsouffle qu'elle méprisait au début de leur rencontre, et qu'elle avait appris à connaître. A sa tête d'ange et à ses plaisanteries idiotes. Elle était absolument certaine qu'il ne cherchait pas à lui faire du tord lorsqu'il lui parlait de sa cousine. Si elle doutait, c'était parce qu'elle se demandait si peut-être, ce en quoi Hem croyait fermement était faux, et ne le lui avait pas été raconté par quelqu'un qui en voulait à Majkalena. Son grand frère, par exemple, seconde source d'information d'Aaren. Au fond, malgré sa relation ambiguë mais très proche avec ce-dernier, elle connaissait si peu les secrets qui semblaient empoisonner cette famille.