Lysander Gainsborough et Rohesia Eisenberg LA CURIOSITÉ EST UN VILAIN DÉFAUT.
Il était là devant elle avec ses amis. Enfin c’est ce qu’elle supposait. Elle n’en savait trop rien mais il était souvent avec eux. Ça devait être ses amis. Lysander. Elle en savait très peu sur lui mais cela suffisait déjà à embraser sa curiosité. Elle ne savait pas pourquoi ni comment mais elle avait développé une certaine fascination pour sa personne. C’était quelque chose d’inexplicable. Elle-même n’était même pas capable de définir cette « curiosité ». Elle se surprenait à le chercher du regard constamment : dans la Grande Salle, dans le parc, les couloirs et comme aujourd’hui dans la cour pavée. Elle ne pouvait pas s’empêcher. Elle avait envie de l’observer. Elle le trouvait réellement fascinant. C’est comme si son regard avait développé un radar ou un capteur « Lysander Gainsborough ». Pourquoi lui ? Pourquoi elle ? Ca n’avait aucun sens, ça dépassait l’entendement. Ils n’avaient en aucun cas intérêt à devenir amis ou quoique ce soit d’autres. Il était un né-moldu ET un mauvais garçon. Elle ne pourrait que s’attirer des ennuis en se rapprochant de lui. Mais en avait-elle vraiment envie ? Elle aimait l’observer bien sûr. Elle le faisait trop souvent, nous avons convenu de ce fait. Mais de là à faire ou vouloir plus c’était différent. Cela ne risquait-il pas de briser le « charme » ? Elle faisait un peu voyeuse. Ce n’était pas ce qu’elle était, elle ne se considérait pas comme telle. Un voyeur c’était un pervers. Elle n’était pas un pervers. Elle regardait Lysander certes mais parce qu’il était mystérieux, qu’il dégageait quelque chose. Ça n’avait rien de pervers ! Elle rougissait rien que d’avoir de telles pensées. Elle chassa rapidement cela de sa tête. Et comme si elle avait un peu honte que quelqu’un puisse entendre ses pensées, elle recommença à rédiger sa lettre.
Elle avait beau couché sur papier son quotidien pour le raconter à sa mère, elle n’arrivait pas à se concentrer. Il fallait dire que la voix de Lysander lui parvenait de sa place. Son imagination commençait déjà à se demander si ce n’était pas fait exprès. Qui sait peut-être qu’il appréciait qu’elle le regarde et qu’il voulait de nouveau ramener son attention sur lui. Serait-ce si fou que ça en paraissait ? Des fois, les surprises étaient là où on ne les attendait pas. Elle résista deux fois à l’envie irrépressible de le regarder, encore. C’était comme l’envie de se gratter une piqure de moustique – la comparaison n’est pas des plus glorieuses, je le reconnais –. On ne pouvait résister. Il fallait qu’on le fasse même si l’on savait que ce n’était pas forcément bon pour soit. On a beau se dire qu’il ne faut pas, on le fait quand même parce que c’est comme ça. On en a besoin comme si c’était vital. Voilà ce qu’éprouvait Rohesia en ce moment-là. Elle leva donc les yeux. Juste un petit regard ça ne pouvait pas faire de mal, n’est-ce pas ? Elle avait tellement passé de temps à le regarder, de longues minutes sans détourner le regard une seule seconde. Mais au moment où elle le trouva du regard, il jeta un coup d’œil vers sa direction. Déstabilisée, Rohesia se dépêcha de se replonger dans sa lettre. Elle sentit son rythme cardiaque augmenter. Mince, elle s’était fait prendre. Oui prise en flagrant d’élit d’observation. Il est vrai qu’on pouvait se dire qu’elle avait eu de la chance que ça n’arrive que maintenant. Néanmoins, c’était toujours aussi stressant peu importe le moment. Elle était seule, en plus de cela, complètement exposée. S’il décidait de venir, elle n’avait aucun moyen de repli. Partir maintenant ? Elle n’était pas assez rapide. Se contenter de rester silencieuse ? Bien qu’elle puisse se faire toute petite dans quasiment toute circonstance, cela semblait assez hardi ici. Non s’il venait la voir, elle serait bien embêtée. Il y avait trop de monde autour. On allait se moquer d’elle à tous les coups. La disgrâce était au bout du chemin si elle ne se sortait pas bien de cette situation. Il allait très certainement la prendre pour une folle ou bien un dérivé. Elles étaient loin à présent ses belles pensées sur une possibilité qu’il apprécie qu’elle le regarde. Oh oui loin, très loin comme si elles n’avaient jamais existé. Pour savoir ce qui l’attendait, elle tendit l’oreille à la recherche d’indices. Elle découvrit avec effroi qu’elle ne l’entendait plus. Etait-il parti ? Elle avait envie de regarder mais elle avait trop peur qu’il la surprenne à nouveau. Une fois suffisait par jour. Elle n’était pas du genre à prendre beaucoup de risques, pour ne pas dire aucun. Elle n’avait pas été répartie à Gryffondor pour rien. Elle n’était pas courageuse, difficile d’imaginer qu’elle le soit un jour. Toujours rien. Enfin disons plutôt qu’elle ne l’entendait toujours pas. Pourtant, elle avait remarqué au fur et à mesure de ses observations qu’il pouvait être assez bruyant.
C’est alors comme si alerté par un signal d’alarme, comme si une petite sonnerie avait commencé à retentir dans sa tête, elle sentit qu’il était là. Elle ne pouvait expliquer, peut-être avait-elle développé un sixième sens mais ça ne faisait aucun doute là-dessus. Elle savait qu’au moment où elle allait relever la tête, elle allait le voir en face d’elle. Elle ravala sa salive. Pour se donner du courage ? Peut-être. Ou alors peut-être était-ce seulement une action toute bête qu’on faisait comme ça sans explication. De toute manière, elle en connaissait trop peu sur le sujet pour pouvoir le dire. Elle souffla doucement entre ses lèvres et releva la tête très lentement. Ça ne manqua pas. Il était là à lui faire face pas du tout intimidé alors qu’elle était totalement tétanisée par la peur. Ouvrir la bouche pour dire quelque chose, tenter de s’expliquer ne lui venait même pas à l’esprit. A ce moment précis elle aurait voulu disparaître ou être tellement petite qu’on ne la verrait plus. Cette situation était extrêmement gênante pour elle. Elle se demandait à quelle sauce, elle allait être mangée.
Les dernières instructions du professeur annoncèrent enfin l'achèvement de l'heure de cours qui avait semblé interminable. Ce fut ainsi avec soulagement que Lysander et trois autres comparses – des garçons à la fière allure, au bagout certain et à la langue incisive – gagnèrent l'extérieur afin de souffler quelque peu. Loin des tumultes assourdissants des couloirs bondés, les jeunes hommes préférèrent respirer l'air vivifiant et profiter de la légère bruine matinale plutôt que de s'engouffrer directement dans la prochaine salle de classe. « Il y a entraînement de Quidditch demain au fait, vous venez ? » Quentin, un blond dégingandé un peu sec, s'empressa de s'enquérir auprès de ses amis quant à leur état d'esprit sur la prochaine séance de sport. Et dès lors, les quatre garçons n'eurent d'autres choix que de s'enflammer sur le sujet, parlant nouveaux balais et équipes nationales, abordant même la prochaine coupe du monde. « Apparemment, ça se passera en Italie. T'en penses quoi des italiennes Lys' ? » Allusion taquine en bord de lippes, Quentin lui octroya un coup de coude complice auquel l'intéressé répliqua par une réponse contournant le problème. « J'en dis qu'elles vont pleurer face à l'équipe d'Angleterre. Ils ont investi dans des Flèche d'Argent. La pointe en matière de vitesse et de stabilité. » Ah, les hommes et leurs manies de parler sport tout en s'embrasant frénétiquement. Les quatre jeunes garçons dialoguaient vivement entre eux, virevoltant entre stratégies de jeu et balais dernier cri, lorsque l'un des quidams se pencha à l'oreille de Lysander. « Hey. Y a la jolie petite brune là-bas qui n'arrête pas de te mater. » Lysander accusa la réflexion non sans toiser la demoiselle de ses yeux sombres et pénétrants, fustigeant la pauvre Poufsouffle de son regard inquisiteur. Car hélas, si le Gryffondor n'était pas insensible au charme féminin, il érigeait subitement un mur invisible autour de lui comme dernier bastion, dès lors que l'une d'entre elles tentait de le séduire. Réflexe absurde d'auto-défense qui put le rendre agressif, d'autant plus que ce n'était guère la première fois qu'il croisait le regard de Rohesia alors en pleine contemplation. Quentin par ailleurs s'amusa à en souligner l'anecdote : « C'est pas la même qui te dévorait des yeux au dîner avant-hier ? T'as une touche faut croire. » « Restez là. »
Et le cœur comme un tambour de s'emporter alors qu'il se dirigeait vers la jolie Poufsouffle. Aigreur, crainte, agressivité. Repousser la demoiselle pour ne pas qu'elle s'approche, pour ne pas qu'elle le menace dans son intimité. Réminiscences d'un passé trouble et limoneux dont Lysander voulait se défaire, lui qui à présent craignait autant la séduction féminine que leur nudité. Ainsi se posta-t-il face à Rohesia, mains dans les poches et air rembruni, attendant patiemment qu'elle ne daigne enfin les yeux vers lui. « Hey creepy girl. » Et lorsqu'il croisa sa pupille satinée, son cœur loupa un battement tant il demeurait farouche ; la peur de se sentir acculé et de ne plus savoir comment agir. Et si elle le draguait ouvertement, et si elle s'épanchait en sous-entendus ? Et si elle quémandait un baiser, un sourire une caresse ? Un haut le coeur vint saisir le jeune homme, confus et trouble, tandis qu'il vint marteler ses mots avec agressivité. La faire fuir afin de rester sauf. « T'as pas autre chose à foutre que de me reluquer ? Parce que ça devient franchement flippant. » Timbre suave mais sec, justifiant son acidité par la volonté seule de se défendre quand la pauvre jeune fille ne l'attaquait pourtant pas. Là où d'aucuns en auraient profiter pour s'adonner au jeu du flirt, Lysander brandissait l'épée pour l'escarmouche. Et diable qu'il souffrait de cette situation. Comme il aurait souhaité agir normalement, sans se sentir gibier menacé dans son intégrité. Comme il aurait aspiré au timbre amical plutôt que de s'égosiller avec colère.
Lysander Gainsborough et Rohesia Eisenberg LA CURIOSITÉ EST UN VILAIN DÉFAUT.
« Hey creepy girl. » Cette appellation peut valorisante lui était sans aucun doute destinée puisqu’il la regardait. « Creepy », elle ne l’était pas. Elle n’avait rien de terrifiant ou de bizarre. Enfin évidemment on avait tous notre part de bizarrerie mais là elle ne comprenait pas tellement. Etait-ce parce qu’elle le regardait ? Rohesia, réfléchis un peu, évidemment que c’est pour cela, pourquoi d’autres ? La demoiselle se sentait tout de même un peu offensée, pas tellement par les mots mais par le ton employé. Elle avait cette impression de rejet total de sa part comme si elle était une créature infecte et repoussante. Pourtant n’était pas belle ? N’était-ce pas ce que les garçons attendaient d’une fille dans un premier lieu ? Il lui semblait que ci mais soit, elle n’avait rien de fait mal. Elle ne l’avait pas insulté alors qu’elle avait de quoi du fait de sa condition. Elle n’avait jamais rien dit sur lui de toute manière, elle ne s’était contentée que de le regarder. Un regard ce n’est rien, ça ne vaut rien s’il reste seul, non agrémenté de paroles ou de gestes. Rohesia ne voyait là que quelque chose d’innocent mais pas lui de toute évidence. « T'as pas autre chose à foutre que de me reluquer ? Parce que ça devient franchement flippant. » Rohesia ouvrit la bouche pour répliquer quelque chose mais rien ne sortit. Elle était tellement décontenancée par ses mots. C’était si mal alors ? Elle ne comprenait pas. Quel étrange personnage ! Si de loin sa curiosité avait été attirée, de près elle n’en n’était que décuplée. Pourquoi réagissait-il ainsi ? Une répugnance d’une telle force face à un geste si anodin ça devait bien signifier quelque chose. Et ce quelque chose, Rohesia voulait le découvrir. Elle voulait savoir c’était plus fort qu’elle. Mais avant toute chose, elle devait répondre. Seulement elle était encore tétanisée. Elle se gifla intérieurement comme pour se réveiller et se donner un peu de contenance. Elle pouvait le faire, après tout elle n’avait pas de quoi avoir honte. « Je, euh, non. Je n’appellerais pas ça te reluquer. Oui je t’ai regardé mais pas de la manière dont tu l’imagines. » C’est vrai quand elle y pensait, c’est elle qui aurait des raisons d’être offensée. Reluquer, c’était un terme assez dur et dégradant. Une fille de son rang ne reluquait pas voyons. Mais en même temps, en quoi cela devrait l’étonner ? C’était dans la personnalité de Lysander, c’est tout à fait son genre, non ? Si, quoiqu’elle n’en n’était pas encore tout à fait sûre. « Je ne vois pas en quoi c’est mal. » Elle avait pensé tout haut. Tant pis, c’était fait, elle ne pouvait pas revenir en arrière à présent.
Elle passa une mèche de cheveux imaginaire derrière son oreille, geste purement nerveux. Il l’intimidait. Si ce n’était pas déjà évident au moins maintenant c’était dit. Elle avait l’habitude d’être la personne faible au milieu des autres mais là il n’était que deux alors c’était d’autant plus fort. Et pour le coup c’était vraiment dérangeant. Elle aurait voulu un peu de poids de sur ces épaules pour mieux respirer. Elle voulait se sentir mieux, cela était sûr. Pour que ça soit possible, il n’y avait pas beaucoup de solution. Elle devait reprendre le dessus sur la conversation et donc sur Lysander. Mais comment ? Telle était la question. Et soudain elle eut une idée. Cette idée se propagea doucement mais sûrement pour envahir tout son esprit, son cerveau et sa tête. Evidemment, cela ne mit pas longtemps à sortir de sa bouche. Elle ne contrôlait que très peu tout ce processus. « Et puis admettons, tu devrais en être flatté. Pourquoi es-tu énervé ? » Son ton était doux bien qu’elle était inquisitrice. Là aussi sa curiosité se manifestait cherchant satisfaction. Pourquoi ? Oui pourquoi ? Elle avait le droit de savoir puisqu’il était venu la confronter sur ses actions. Ce n’était que le retour de bâton. Peut-être qu’alors cela se retournerait contre elle, sûrement mais enfin elle serait obligée de le supporter. Peut-être qu’elle finirait par comprendre qu’on ne peut pas dire tout ce qu’on pense (ou presque). Ou alors peut-être qu’elle comprendrait qu’elle avait le droit, elle aussi de ne pas se contenter de faire toujours plaisir aux autres. Elle avait le droit de ne pas aller dans leur sens constamment. Cela pourrait changer. On pourrait aller dans son sens de temps en temps. Ce n’était pas une idée si farfelue après tout.
Une lumineuse sérénité irradiait de la demoiselle au visage poupon, halo éthéré se heurtant à l'aura sombre et corrosive du jeune homme. Et malgré ce regard poli à l'innocence et à la gêne, Lysander ne souhaitait guère en démordre ; il la toisait de son visage rembruni, un peu bougon, un peu défiant, affichant malgré lui une agressivité patentée assurant sa défense. Il n'était pourtant pas désagréable d'être la cible de si jolis yeux, de ces rétines rêveuses et de ces pupilles candides. Ce qu'il ressentait en l'instant n'était qu'un imbroglio de gêne et d'absurdité mêlé à une fausse hostilité qu'il érigeait comme dernier plastron. Il n'y eut en effet que Lysander pour assaillir de la sorte une si jolie jeune fille au doux tempérament et aux pensées ingénues. Hélas le jeune homme, s'il ne cautionnait pas réellement sa propre attitude, ne savait comment réagir autrement et préférait se laisser porter par sa pugnacité afin d'éloigner les demoiselles. « Je, euh, non. Je n’appellerais pas ça te reluquer. Oui je t’ai regardé mais pas de la manière dont tu l’imagines. » Le Gryffondor plissa les yeux de scepticisme à l'écoute de ce qu'il considéra comme une fausse excuse, pour autant Rohesia semblait sincère dans ses mots et dans son timbre poli au miel de l'indulgence. Il ne pipa mot pour autant, dévisagea la jeune fille comme il envisageait ses propos, et bien qu'il se sentit soudain stupide d'avoir réagi avec tant de zèle préféra dissimuler sa gêne derrière le masque de l'impassibilité. Quelque part sous ce voile postiche se creusaient pourtant quelques fissures, celles du véritable Lysander à l'âme écorchée vive se drapant dans ses derniers oripeaux. Et la belle de marteler encore et injustement sur la démesure dont Lysander put faire preuve, laissant le garçon aussi mutique que troublé. « Je ne vois pas en quoi c’est mal. » Touché.
Sur ces mots d'une extrême justesse, le garçon décroisa alors les bras, lissa son regard austère d'un peu plus de douceur, et comme il détourna un instant son regard d'ambre de la jeune fille, chercha en son sein les réponses à cette tirade. Avant de sortir les crocs, sans doute aurait-il du se poser les bonnes questions : était-ce un crime que d'observer une tierce personne à la dérobée ? Allait-elle pour autant se lover dans ses bras et ronronner à satiété telle une chatte esseulée ? A l'instant, Lysander dut admettre que les demoiselles n'étaient pas, après tout, des répliques de sa marâtre de mère et n'aspiraient pas aussi intensément à violer son intimité. Il déglutit dès lors difficilement à cette pensée, accrocha à nouveau le visage opalin de Rohesia par sa pupille moins furibonde, et comme il demeura statufié dans son mutisme, la laissa parler encore. « Et puis admettons, tu devrais en être flatté. Pourquoi es-tu énervé ? » « Je... C'est bon j'ai compris. » Las de tant de questions et de répliques, le jeune homme s'était empressé de répondre par une offuscation qu'il ne put contenir en son gosier. Perturbé par la pertinence des propos féminins, Lysander cherchait ses mots et ses pensées sans pour autant y parvenir ; sa cuirasse était si épaisse qu'il ne sut s'en défaire si aisément, préférant jusqu'ici se barricader derrière une agressivité stérile afin qu'on lui fiche la paix. Ainsi allait-il pour rabrouer froidement la demoiselle, quand à la dernière seconde le garçon préféra changer de stratégie. Et pour cause, lui aussi avait une question à lancer à la concernée. « Ca me met mal à l'aise. » siffla-t-il d'une voix suave, se contentant du strict minimum bien que l'on ne pouvait le déposséder de sa tranchante sincérité. « Et toi alors, pourquoi tu me mates si ça n'a rien d'intéressé ? » Sa langue faillit fourcher sur quelques mots plus tranchants, néanmoins le jeune homme se rattrapa de justesse et vint, une fois n'est pas coutume, édulcorer ses propos. Avide de connaître la vision de la demoiselle et, le cas échéant, de s'apaiser quelque peu.
Lysander Gainsborough et Rohesia Eisenberg LA CURIOSITÉ EST UN VILAIN DÉFAUT.
[color:f943= #336666]« Je... C'est bon j'ai compris. » Oh, elle avait raison. Elle avait réussi. Elle avait renversé la tendance et de mal à l’aise, elle était passée à celle qui dominait. Même si en ce moment cela lui semblait bien trop exagéré. Non mais sincèrement, elle avait juste réussi à placer une bonne phrase au bon moment. Et puis de toute manière ce n’était pas quelque chose qu’elle appréciait mettre les autres mal à l’aise. Elle connaissait trop ce sentiment. Elle ne souhaitait cela pour personne. C’était beaucoup de stress et d’émotion pour une seule et même personne. Peut-être exagérait-elle mais là encore c’était dû à sa gentillesse maladive qui ne souhaitait que le meilleur pour tous. Vision naïve du monde mais quelques fois la naïveté avait du bon. Il n’y avait pas de quoi se moquer face à cette candeur ravissante qui voulait croire en quelque chose de beau à l’extrême. Certes ce n’était pas réalisable mais les rêves étaient là pour donner un peu d’espoir. Rohesia de l’espoir en avait à revendre. Elle pouvait en donner à bien des personnes pour peu qu’on lui donne un peu d’amour en retour. Elle n’était pas difficile à convaincre ou satisfaire. « Ca me met mal à l'aise. » Oh. Sa bouche s’ouvrit dessinant ce fameux « oh ». Elle était étonnée par sa franchise. Peu de personne reconnaissait leurs faiblesse et de manière générale c’était encore plus étonnant chez la gente masculine. Tout cela à cause de l’« ego », cette chose qu’on ne voyait pas, qu’on ne pouvait toucher mais qui était bel et bien présente. Elle ne doutait pas de la sincérité de cette déclaration. A quoi beau mentir ? Ils ne se devaient rien, ils n’avaient pas à « s’impressionner » donc il n’y avait aucun intérêt à mentir. « Et toi alors, pourquoi tu me mates si ça n'a rien d'intéressé ? » Toujours, il employait des mots aussi… quoi ? Vulgaires. Oui c’était sûrement le mot mais en même temps ça allait avec sa personnalité de mauvais garçon. C’est juste que c’était inhabituel pour elle. Peut-être qu’elle avait un côté « prout-prout » oui, on pouvait aisément le lui reprocher. Mais en même temps, on l’avait élevé ainsi. On lui avait conféré le caractère qui allait avec sa beauté. Elle ne pouvait décidément pas être vulgaire et grossière quand elle avait ce côté délicat et raffiné. Elle ne disait que très peu de gros mots. Oh bien sûr, elle n’était pas parfaite et commettait trop souvent des bavures surtout depuis qu’elle était à Poudlard et n’avait pas ses parents sur le dos. N’oublions pas qu’elle était une adolescente, la période où l’on se rebellait. Même si c’était moins violent chez elle, elle était tout de même en période de rébellion.
Il n’empêche qu’elle n’avait toujours pas répondu à Lysander. Elle se disait qu’elle devait faire preuve de la même franchise qu’il avait eue tantôt. C’est donc pourquoi elle lui dit tranquillement : « Tu m’intrigues. » Il allait la prendre pour une psychopathe, une folle, une hystérique. Elle n’aurait récolté que ce qu’elle avait cherché de toute manière. Mais en même temps, au moins elle lui aurait dit la vérité et c’était tout à fait admirable. Néanmoins elle n’avait pas tellement envie que cela s’arrête là. Juste un court échange aussi long qu’un bonjour, au revoir. Elle se disait que peut-être en développant plus, en s’expliquant mieux, il comprendrait et quoi ? Elle n’en savait rien du tout. Elle n’avait jamais été douée pour prévoir les choses et ce n’était pas son intelligence fulgurante qui l’aiderait. De tout manière prévoir les choses trop l’avance n’était pas forcément une bonne idée car l’histoire avait bien trop souvent montré que ça ne se passait jamais comme on l’avait prévu. « Je veux dire que tu es très différent des personnes que je connais. » Et voilà maintenant il allait s’imaginer qu’elle le considérait comme un phénomène de foire. Ce n’était pas cela, enfin d’une certaine manière si mais elle n’avait pas cette image en tête. Ah quelle curiosité ! Ou la bêtise aussi de s’être fait prendre. Pourquoi n’était-elle pas plus douée ? Elle se posait souvent cette question en réalité. « J’essaye de comprendre qui tu es, de te comprendre. » Oui elle en était encore très loin de cet objectif. Quand elle pensait faire une avancée, quelque chose la ramenait au point de départ. C’était très frustrant mais en même temps excitant à la fois. C’était un jeu qui ne semblait avoir de fin et qui était terriblement enivrant et addictif.
« Tu m’intrigues. » La franchise de la demoiselle le laissa pantois, autant qu'il ne put s'attendre à telle réponse sans fioritures. Le jeune homme néanmoins se contenta d'arquer les sourcils mais de ne piper mot, reléguant toutes ses pensées au statut de silence retenu sur ses lèvres mutiques. Lysander pouvait néanmoins comprendre en partie les dires de son interlocutrice ; après tout il n'avait jamais été bien bavard quant à son passé et sa personne, oeuvrant avec une attitude tout à fait inusitée et éveillant autant la surprise que la suspicion. Ce Gryffondor aux airs rembrunis de mauvais garçon, aussi sociable que revêche, était autant connu pour ses frasques que les interrogations qu'il laissait dans son sillage, notamment en ce qui concernait la gente féminine. Lysander ne sut néanmoins que répondre, probablement acculé, très certainement déconcerté par le fait établi qu'elle affirmait sans détour. Sans doute s'était-il drapé volontairement dans un halo mystérieux afin de préserver ses secrets, une aura ténébreuse lui permettant d'entretenir l'énigme qu'il était, mais de là à intriguer les jeunes filles, voilà qui lui paraissait nouveau. A moins que le pauvre quidam n'ait jamais réellement remarqué les donzelles attirées par le mystère qu'il était, ce qui n'était guère à proscrire. « Je veux dire que tu es très différent des personnes que je connais. » Cette fois l'intéressé se contenta de ne arquer qu'un sourcil, témoignant de son scepticisme patenté. Ne sachant trop s'il fallait prendre sa remarque comme une attaque déguisée, quoique Rohesia ne sembla ni vile ni mesquine, il put ressentir aussitôt le fossé qui les séparait : elle, se tenait droite et ourlait sa lippe de mots bien policés. Lui, s'exclamait avec une certaine vulgarité, buvait comme il haïssait le monde (avec ardeur), et n'était jamais qu'un pauvre prolétaire appréciant sa musique, ses cigarettes et sa veste de cuir élimée. « Faut dire qu'on vient pas franchement du même monde. » s'entendit-il dire de sa voix suave, repensant à la bicoque poussiéreuse lui ayant servi de maison, quand la jeune fille avait sans doute connu de logis plus fastueux et accueillant. « J’essaye de comprendre qui tu es, de te comprendre. » Et soudain Lysander la toisa de sa pupille pénétrante, laquelle ne fut ni menaçante ni inquisitrice, mais qui brilla d'une lueur presque affolée. Bien sûr qu'il ne désirait pas qu'on lise en lui tel un livre ouvert, bien sûr qu'il désirait ardemment que la jeune fille ne change de cible et ne le laisse tranquille. Moins par gêne que par crainte d'être mis à nu (et décidément le Gryffondor le craignait au sens propre comme au figuré dans sa vie de tous les jours avec la gente féminine). Il entrouvrit alors les lèvres, prêt à lui demander d'en rester là et de se contenter de gratter légèrement à la surface, lorsque soudain les voix rieuses de ses amis s'élevèrent derrière lui. « Hey Casanova, on va être en retard ! » Quelques rires victorieux éclatèrent en fond ; ses comparses persuadés que Lysander s'épanchait en flirt ou autre activité boutonneuse du genre, toisèrent la scène avec un intérêt certain, ce qui irrita quelque peu le Gryffondor. Alors pour se défaire des oeillades trop curieuses et appuyées, voilà qu'il décida de mettre un terme à la conversation : « Ecoute... Rohesia c'est ça ? » Son prénom, il l'avait récupéré au vol lorsque ayant remarqué les regards trop insistants de la demoiselle, il s'était discrètement renseigné sur cette dernière. Histoire de savoir à qui il put avoir affaire, ne pas se sentir déstabilisé le moment venu. « J'dois y aller. On a qu'à en reparler ce soir autour d'un verre, disons vers dix-neuf heures aux Trois Balais. » Car il ne sut supporter l'idée qu'elle continuerait ainsi de tenter de le percer à jour, Lysander préféra, même dans l'urgence, noyer la curiosité de la jeune fille afin d'assurer ses arrières. Il ne lui laissa guère le choix par ailleurs, se montra involontairement catégorique, et alors qu'il commençait à tourner les talons stoppa aussitôt son élan afin de renchérir, un peu confus : « C'est pas un rencard. » Tel un réflexe auto-défensif, malgré tout le désintérêt que Rohesia put exprimer honnêtement à son encontre. Cette simple phrase sonnait comme rassurante pour le jeune homme aux airs sombres.
~*~
Dix-neuf heures tapantes... ou dirons-nous avec une bonne dizaine de minutes de retard, Lysander qui n'était guère de nature ponctuelle passa les portes du bar afin de retrouver la jeune fille. Et tandis que son regard eut balayé la salle d'un seul mouvement, il la vit là déjà assise, planté dans un décor qui ne la ressemblait pas. La Poufsouffle semblait mirifique tant l'environnement alentour mettait en exergue sa beauté lumineuse assortie à une trop grande candeur. Cela n'empêcha guère le jeune homme de s'allumer une cigarette sitôt assis face à elle, cravate semi-défaite et chemise quelque peu froissée. « Je vais pas y aller par quatre chemins. » Peu amène et sans ambages, Lysander parlait pourtant d'une voix à la fois suave et rassurante. Etrange contraste qui ne faisait que sublimer les paradoxes ronronnant en son sein. Et, tandis qu'il s'exprimait sans détour, leva la main à l'adresse du barman qui approuva d'un signe de tête. Le jeune homme venait de passer commande pour eux deux, taciturne et assuré, sans même demander son reste à la jeune fille. « T'as l'air d'être une fille bien et sans histoires... Mais moi des histoires, j'en ai. Et j'aimerais bien qu'on les laisse tranquilles. » Lysander planta derechef ses yeux noisettes dans les siens, ne cillant pas même lorsqu'arrivèrent les deux bierraubeurre sur la tablée.