«Je l'ai dit ailleurs, et je le répète ici : quand on enferme la vérité sous terre, elle s'y amasse, elle y prend une force telle d'explosion, que, le jour où elle éclate, elle fait tout sauter avec elle. On verra bien si l’on ne vient pas de préparer, pour plus tard, le plus retentissant des désastres. » Emile Zola.
Juillet 1977 - Explosion.
Je m'étais rendue sur les lieux en ayant entendu tout ce vacarme infernale de la foule dans les rues. Les gens hurlaient, terrorisés parce ce qu'ils venaient d'apprendre. Et en effet, il y avait de quoi être choqué... C'était quelque chose d'invraisemblable qui venait de se passer en cette journée de juillet. Je n'arrivais pas vraiment à comprendre toutes les images qui étaient dessinées là devant moi. Tout était encore flou dans ma tête. Cette histoire me touchait déjà beaucoup.. Je n'étais pourtant pas si choquée - quoi que si, je l'étais quand même. C'était la première fois que j'assistais à une chose pareille. Il était même rare d'avoir ce genre d'accidents, bien que nous soyons dans les quartiers sud de Londres, connus pour la insalubrité. Les quartiers "abîmes", si je peux dire cela comme ça.
Ici venait d'avoir lieu un soit disant accident domestique des plus banales - adjectif que venait d'utiliser un journaliste de la Gazette. Et c'était l'appartement de la famille Gainsborough qui venait de partir en fumée..
Je prenais des notes, en silence, un peu en retrait des autres gens qui se trouvaient là soit pour faire courir des rumeurs, soit pour prendre des notes aussi, soit pour faire régner le calme et "nettoyer" l'endroit. Je m'approchais un peu quand des gens sortaient de la maison - tout du moins, ce qu'il en restait afin de voir ce qu'il se passait.
Il me semblait que l'accident avait fait une victime. La mère de famille, peut-être?
Je continuais d'observer la scène, la larme à l’œil. J'étais très émotive, c'est vrai. Mais j'avais perdu Maman il y a quelques semaines de ça, alors j'étais encore sous le choc de son absence et de son départ. Alors je me mettais à la place des enfants de cette femme - si elle en avait eu, bien sûr - et je comprenais leur douleur.
Cette histoire allait devenir presque une obsession. Je me posais des tonnes de questions sur les raisons de cette catastrophe qui venait de détruire des vies..
Voilà ce que s'était passé quelques jours plus tôt. Mais je n'étais pas convaincue par tout ça. ll fallait que je retourne sur les lieux pour comprendre. Et j'y étais retournée aujourd'hui.
Et c'est là que j'aperçus un jeune homme, fort éloigné des débris, le regard assez vide, presque sans expression. Il n'avait pas l'air étranger à l'endroit. J'arrêtais d'écrire sur mon papier les détails de la casse et j'allais vers lui.
Peut-être n'était pas un proche ni même un témoin mais quelque chose me disait qu'il y avait quelque chose de pas nette dans cette histoire. Et peut-être que ce garçon allait m'aider à y voir plus clair. Et si je me trompais, j'aurai au moins essayé.
« Jeune homme ? Est-ce que je peux vous parler quelques instants ? »
Au début, on croit mourir à chaque blessure. On met un point d'honneur à souffrir tout son soûl. Et puis on s'habitue à endurer n'importe quoi et à survivre à tout prix.
« Tu ne dis rien depuis qu'on est partis de la morgue. » « Qu'est-ce que tu veux que j'te dise. » Au timbre bienveillant de son oncle sorcier, Lysander lui cracha son fiel délétère. Le regard perdu au loin, pupille accrochant de façon vagabonde les buildings défilant sous ses yeux, le gamin respirait la crainte et le soulagement. Ce rictus en coin de lippe, complètement impromptu mais témoin de sa libération, peinait seulement à s'évaporer tandis que dans son crâne résonnaient les crimes qui purent lui être inculpés. Homicide volontaire. Même à son âge, ces deux mots ricochaient contre son crâne comme le glas du désespoir. « Et j'risque quoi, à 16 ans, s'ils m'attrapent ? La taule des moldus ou Azkaban ? » Le môme vrilla son regard d'ambre sur son oncle, lequel avait la gueule figée, un peu blême, un peu austère. Son cœur en miettes s'inscrivait sur son visage, puisqu'il lui était impensable de livrer son neveu aux autorités, quelles qu'elles soient. « Ne dis pas de bêtises Lys, il ne t'arrivera rien. » Lysander acquiesça mollement, reporta son regard sur la vitre de la voiture, puis comme il imposa un silence tendu se noya dans ses songes. Il se remémorait ce corps calciné à la morgue, morceaux de chair putride et noire accrochée à la carcasse méconnaissable. La graisse avait fondu de la dépouille maternelle ; étendue là en une silhouette à la fois longiligne et informe. « T'as toujours voulu ressembler aux mannequins. T'y es parvenue maintenant. Mais qu'est-ce que t'as l'air con. » avait soufflé le jeune homme lorsque, en tête à tête avec le cadavre de sa mère déposée sur une table froide de la chambre mortuaire, il l'avait observé de sa pupille glacée et revancharde. Un soulagement frappant son cœur, un courroux investissant son estomac. Car Lysander aurait souhaité la voir éparpillée ici et là. La disloquer jusque dans la mort, et laisser ces atroces souvenirs partir en fumée. Sa jeune sœur Lindsay s'était défendue de l'accompagner en prétextant un mal de crâne sournois dans un haussement d'épaules, avec ce ton débonnaire qu'ont les adolescents afin de feindre une attitude relaxée. Elle voulait paraître cool, Lindsay. Dans ses fringues toujours trop grandes pour elle, ce sweet shirt informe accentuant ses rondeurs. Mais elle s'était réfugiée dans un coin pour vivre son deuil en tête-à-tête avec elle-même ; tenter de pleurer alors que les larmes ne venaient pas. Leur mère lui avait salement pompé son fluide lacrymal. Et ça la débectait, Lindsay. De ne pas chialer pour la marâtre alors que la société lui imposait la tristesse et la noirceur.
« Tu m'écoutes ? » La voix de son oncle éclata ses bulles songeuses, et avec elles, toutes ses pensées tournées vers la morgue et le cadavre s'évanouirent. « Non. » avoua Lysander comme il se redressa dans le siège de cuir sous le soupir las du sorcier. Lindsay, assise à l'arrière, pencha sa tête ronde vers le siège du passager et prit le relais : « On doit retourner à la maison parce que les flics ont dit qu'ils nous interrogeraient là-bas. » « Quelle maison... » siffla le jeune homme avec cynisme, conscient que seuls des débris devaient balayer le terrain vague. Quand portée par sa fouge adolescente, cet élan un peu con que l'on a à douze ans, sa jeune sœur crut bon de le piquer au vif par amusement mortifère. Une provocation stupide de plus, soufflée pour piquer et faire son intéressante sans penser aux conséquences : « Celle que t'as fait exploser. » « Mais ta gueule Lindsay putain ! » Lysander se retourna avec véhémence, agité et nerveux, son regard noir pénétrant la pupille de sa sœur. Cette dernière rentra la tête dans ses épaules mais soutint son regard, à la fois penaude et fière – ce qui lui conféra une étrange posture – et voulut répliquer par provocation. En vain. « T'es con ou quoi ? Si tu dis ça devant ces abrutis de flics... » « Vous ne direz rien. » coupa leur oncle comme il activa le frein à main, enfin garé devant le terrain vague. « Ne parlez pas aux journalistes. Quant aux policiers, dites seulement le minimum. » Les gamins acquiescèrent puis, happant goulûment l'air dans leurs poumons crispés par le stress, sortirent enfin du bolide.
Une terre de désolation s'offrirent à eux. L'ancienne bicoque n'était plus ; seules les fondations tenaient encore en place. Quelques murs s'érigeaient encore, salement amochés. La chambre de Lysander. Le jeune homme la reconnut au premier regard, dès lors qu'il perçut ce morceau de poster de Radiohead ayant échappé à l'appétence du feu. Et tandis qu'il s'approcha seul vers les décombres, Lindsay et son oncle furent interpellés par quelques policiers errant dans le coin, laissant le garçon en proie à ses pensées. Seul. Diable qu'il était soulagé de voir ce passé déblayé, de sentir cette putride odeur de la mort tout autour de cette bicoque infâme. Prison physique et psychologique où il ne retournerait plus jamais. « Jeune homme ? Est-ce que je peux vous parler quelques instants ? » Une voix féminine le coupa de ses songes et attira les pupilles chocolat de l'adolescent. Ce dernier toisa d'un œil méfiant la jeune femme rousse s'approchant de lui et le carnet qu'elle tenait en mains. Propre sur elle, jolies fringues, un regard ému qui en disait trop. « J'parle pas aux journalistes. » argua le garçon de sa voix froide et suspicieuse, la pupille un peu agressive pour mieux se préserver.
«Je l'ai dit ailleurs, et je le répète ici : quand on enferme la vérité sous terre, elle s'y amasse, elle y prend une force telle d'explosion, que, le jour où elle éclate, elle fait tout sauter avec elle. On verra bien si l’on ne vient pas de préparer, pour plus tard, le plus retentissant des désastres. » Emile Zola.
Juillet 1977 - Explosion.
« Je ne parle pas aux journalistes. » Wow, c'était toujours violent d'entendre ça de la part de quelqu'un alors que vous faites tout simplement votre boulot. Bon, dans ce genre de circonstances, je comprenais ces réactions. La perte d'un proche cher, de toute une vie dans un endroit qui regroupait tous nos souvenirs.. J'avais moi aussi perdue ma mère et ça, c'était la pire chose qui ne me soit jamais arrivée. Je ne me voyais pas vivre sans elle et pourtant, c'était ce que je devais faire maintenant chaque jour en me levant. Mais c'était mon travail de récolter des informations et je savais pertinemment que personne n'aimait les journalistes mais sans eux, il n'y aura pas autant d'informations sur la vie quotidienne, sur tout ce qui se passe, sur les accidents, les événements, les choses de la vie..
Mais dans ces moments là, dans ce genre d'enquête, je me sentais toujours coupable, même si je devais faire mon boulot pour gagner ma vie. Écrire, c'était une vocation pour moi mais je ne voulais en aucun mettre les gens mal à l'aise ni même leur faire du mal. Le journalisme, c'est une seconde nature chez moi alors je sais que je peut paraître dégueulasse et irrespectueuse aux yeux des gens mais je ne faisais que mon travail.
Je ne faisais que mon travail, est-ce cela que j'aurai du lui répondre ?
Le jeune garçon me regardait d'un air méfiant, voire méchant et froid. Et je le comprenais parfaitement. J'étais une ennemie pour lui. Une femme sans cœur qui s'acharne sur la vie des autres pour gagner la sienne. Oui, j'étais horrible de demander ça à un garçon qui venait de perdre sa mère. J'étais une sale personne, en effet. Cela me faisait vraiment mal et je dirai même que c'était ça, l'aspect qui me déplaisait le plus dans mon métier mais je devais faire avec. Je devais faire face à ce genre de situation pour y arriver, pour comprendre aussi. Parce que si je m'étais lancée dans le social, ce n'était pas pour rien. Moi, tout ce que je voulais, c'était faire comprendre aux gens le respect, la tolérance et surtout faire changer les choses dans ce monde de brutes.
Si j'aidais ce garçon, cela serait plus visible. Ma mission serait alors accomplit pour cette histoire malheureuse d'accident domestique. Et je devais comprendre ce qui s'était passé. Et si ce garçon avait des secrets, je serai alors son journal intime et je ne dévoilerai rien. Mais la mort de ma mère m'avait beaucoup trop marquée pour que j'abandonne de comprendre cet accident si triste..
« Je ne suis pas une journaliste comme vous l'entendez à proprement parler. Je suis spécialiste, si vous me comprenez ainsi. Je tiens vraiment à vous dire : toutes mes condoléances. Je ne suis pas là pour vous faire du mal ni même pour enfoncer le couteau dans la plaie. Je suis là en tant que.. Je.. J'ai moi aussi perdu ma mère il y a quelques semaines de cela. Alors l'histoire de cette femme dans cet immeuble me touche. Je n'ai pas eu le droit à connaître les raisons de la mort de la mienne alors j'essaie juste de comprendre ce qui s'est passé ici. Mais vous savez, je comprends votre point de vue sur nous, les journalistes. Enfin, ce qui était là le jour même de l'accident. Eux, ce sont des rapaces. Mais nous ne sommes pas tous pareils, vous vous en doutez. »
Je ne savais pas si cela allait marcher, d'être ainsi sincère mais il fallait bien que je lance la conversation.