« Daisy Sheperd était une femme admirable, ma femme. Nous nous sommes rencontrés dans une rue de New York, elle y était pour affaires et ces grands yeux verts ont fait chavirer mon cœur, si bien que la semaine qui suivait, je déménageais à Londres pour vivre à ses côtés. Ses amis la connaissaient pour sa sagesse et son intelligence, j’étais amoureux de son esprit. Un esprit léger et doucereux pour lequel le poids de la vie était trop lourd. Je vous défends de dire un jour qu’elle nous a abandonné. Daisy s’est offert la liberté qu’elle méritait. » _____
La porte s'est ouverte sur une somptueuse femme. Sa silhouette élancée lui permettait de se mouvoir avec aisance entre les meubles trop présents de ma maison. Elle balayait la salle de son regard, un frisson me parcourut lorsqu'elle le posait sur moi. Il était noir charbon, si mystérieux, si envoûtant. Je ne baissais pas les yeux, je ne pouvais pas, la curiosité de l'enfant me chatouillait l'esprit avec malice. Un sourire vint se dessiner telle une merveille entre ses deux joues rosies par le froid. Elle s'approchait de moi, une main tendue vers mon visage, l'autre dans celle de mon père. Je découvrais un poignet dont la finesse aurait fait pâlir plus d'une femme, servant de jointure entre un bras et une main dotée de longs doigts tout aussi délicats. Sa paume fraîche vint effleurer ma tempe, puis de son index repousser une mèche de mes cheveux. Chaque point de contact entre ma peau et la sienne avaient méticuleusement imprimé mon épiderme, me procurant une sensation inconnue de plénitude, de sécurité et de chaleur. Je savais ce que cela signifiait, je l'avais lu dans un livre, je ne pensais pas qu'un jour, moi aussi, j'aurais droit d'avoir une maman.
« Winter-Rose, je te présente Marylin, elle va vivre avec nous maintenant, tâche d'être gentille avec elle. »Je répondais oui de la tête, le temps qu'il fallut pour qu'il en soit satisfait. C'était un homme exigeant mon père, c'était gravé sur son visage. Les traits tirés, les yeux dissimulés par de long cils bruns eux-même effrayés par une masse imposante de sourcils au-dessus de son arcade saillante. De sa puissante musculature, il n'eut aucun mal à me hisser jusqu'à pouvoir déposer un baiser sur mon front.
« Bonjour Winter ! » Un son sirupeux s'était extrait de la bouche de Marylin et raisonnait en moi comme le chant d'un verre en cristal. Une larme naissait au coin interne de mon oeil et commençait sa route sur ma joue, mais celle-ci était si ronde à l'époque que la goutte s'y trouva figée telle une perle de verre. D'une voix tremblotante je m'essayais à une réponse :
« Bonjour maman. »_____
J'étais en train de lire un exemplaire du « parfait maître des potions » écrit par Luncinda Young. Un livre passionnant et fortement enrichissant selon moi, bien qu'il aurait certainement pu se passer de ses dessins ridicules. On me l'avait offert pour mon treizième anniversaire il y avait deux semaines de cela. Pour certains cela peut paraître étrange, mais je souhaitais que l'on ne m'offre que des livres pour cadeaux, et si possible de seconde main. L'odeur du papier vieilli me plonge dans un univers de réflexion et de savoir dans lequel je me sens bien. Souvent, la seule couverture du livre suffit à éveiller ma curiosité et je me prends à rougir d'envie à l'idée que je vais bientôt pouvoir le dévorer. Une de mes tantes, Oprah, la soeur de mon père qui vit encore à New York et qui mène une vie que je qualifierais de débauchée, m'écrit souvent que « le savoir doit se différencier de la connaissance ». Selon elle je ne serais qu'une coquille vide d'exercice dont l'enveloppe érudite ne se compose que de mots savants. Elle dit que je ne connais pas, que je ne comprends pas la vie comme je le devrais à mon âge ou même à tout autre. Mon père parle d'Oprah comme une femme excentrique qui ne manque pas une occasion de croquer dans une nouvelle gourmandise - je sais que quand il dit ça, il veut dire qu'elle enchaîne les conquêtes - et j'ai personnellement bien du mal à associer libertinage et connaissance de mon côté.
La porte d'entrée s'ouvre sur Marylin, je ne lève pas le nez de ma lecture, je lui ai déjà donné le bon jour ce matin. Le craquement du feu sur le bois me berce et j'ai beaucoup de mal à rester éveillée à cette heure tardive, mais j'aime passer du temps sur le canapé du salon en compagnie de mon père les soirs d'hiver. Nous avions pris l'habitude de ne pas nous servir de couverture mais de rester serrés l'un contre l'autre pour nous apporter un peu plus de chaleur.
« Mary... » J'analysais le ton de sa voix dans une réflexion rapide. J'y trouvais de l'inquiétude. Il se précipita vers sa compagne. Je daignais m'intéresser à la situation, bien que peu férue de mélodrames romantiques, surtout quand ils concernaient mon père et Marylin.
« Winter monte dans ta chambre immédiatement. » Je déteste les ordres et je les déteste encore plus quand ce sont ceux de mon père. Je ne bougeais pas et fronçais les sourcils. Il continuait :
« Ce n'est pas le moment Winter, je te jure que si tu ne montes pas dans ta chambre tu le regretteras. » Il cachait Marylin, je me trémoussais vers la gauche, vers la droite pour l'apercevoir mais il se déplaçait en fonction de mes mouvements. Résignée, je décidais de rejoindre ma chambre, ou presque. Je m'arrêtais en haut de l'escalier, m'allongeais à plat ventre sur le sol, la tête au niveau de la première marche afin de voir sans être vue. C'est ainsi que je découvrais Marylin, défigurée. Du sang dégoulinait de ses narines jusque sur ses lèvres et son nez semblait cassé. Son oeil droit était cerclé d'une auréole dont les couleurs se déclinaient du noir, au bleu et jusqu'au vert. Elle tremblait de tous ses membres, et mon père semblait la retenir pour ne pas qu'elle s'effondre.
« Bertran je dois t'avouer quelque chose. » Ses cheveux bruns trempés lui collaient à la peau, elle n'avait plus rien de la femme que j'avais rencontrée sept ans auparavant.
« Bertran, je t’ai menti » .
Je ne voyais pas mon père de là où je me trouvais, mais je n’avais aucun mal à imaginer son expression. Petite lorsque je mentais il pinçait ses lèvres si fort qu’il en faisait trembler sa mâchoire, puis il me punissait, souvent, il me privait de lecture. Étrangement, plutôt que de faire de moi un enfant honnête, cela m’a appris à faire du mensonge, un de mes nombreux talents. Perdue dans mes souvenirs, j’en avais presque oublié la scène qui se déroulait au rez-de-chaussée.
La bouche entrouverte, le cœur au bord des lèvres Marylin lâchait en un soupir :
« Je ne suis pas née dans une famille de sang purs, mes parents sont moldus… » Je savais ce que cela signifiait. Mon père travaillait au ministère, et même s’il n’était pas aussi respecté que les sang-purs anglais, on donnait à ses paroles plus de considération qu’un sorcier moyen. Et par les temps qui courent, s’il est certain qu’il ne fait pas bon naître dans une famille de moldus, il était d’autant plus dangereux pour un sang pur de côtoyer, s’amouracher d’un sang de bourbe.
« Tu vis sous mon toit depuis sept ans maintenant… » Il se retournait la main sur les yeux, puis sur le front. Il répétait sans relâche « ce n’est pas vrai, ce n’est pas vrai ». Et à mesure que les secondes passaient, sa colère augmentait, et sa voix se mettait à gronder, raisonner dans toute sa cage thoracique. On croyait avoir réveillé un lion qui ne tarda pas à se mettre à rugir :
« As-tu la moindre idée de ce que tu viens de faire Marylin ? »Je sentais mon cœur se serrer. De mémoire, j’avais lu une fois dans le journal que des extrémistes sangs-purs avaient abattu toute une famille dont le père était de sang pur et la mère née-moldu. Ils avaient trois enfants, dont un de mon âge. Morts. Eux aussi.
Je sais également, que mon oncle, Michael fait partie de ces extrémistes.
« J’ai une fille ! Une fille ! Winter, tu te souviens de Winter ? » De son avant-bras il renversait les bibelots qui se trouvaient sur la commode de l’entrée. « Sais-tu ce qu’ils vont me faire ? Sais-tu ce qu’il va arriver à mon enfant à cause de toi ? ». Il peinait maintenant à respirer. Je ne le voyais plus beaucoup, ma vision s’était troublée, je ne discernais que des formes abstraites se mouvoir derrière une vitre opaque. Un voile humide m’empêchait de suivre le reste de la scène. Je m’ordonnais de me calmer, et je le fis sans mal, j’avais appris à contrôler mes émotions en même temps que le j’avais appris le mensonge. Lorsque la brume s’était dissipée, je concentrais de nouveau toute mon attention sur mon père. Pendant quelques minutes encore mon il a répété les mêmes mots en boucle, hurlant si fort que mes tympans commençaient à siffler.
Quelqu'un frappait à la porte. Marylin sursauta, et paniquée, suppliait mon père de l'aider, de la sauver, elle lui agrippait le bras, il le retirait, elle se mettait à genoux, il détournait le regard. Mais la sauver de quoi ?
La porte s'ouvrit sans attendre que quelqu'un autorise l'entrée des visiteurs. C'était Michael, le frère de mon père. Il semblait furieux. Tandis que deux autres hommes, que je ne connaissais pas, se saisissaient de Marylin, ce premier s'adressait à mon père.
« Tu ne savais pas Betran, il ne t'arrivera rien. Ni à toi, ni à ta fille. »Il marquait un silence. J'observais que sa veste était trempée, et qu'une flaque commençait à se former sur le parquet autour de lui. Ils avaient certainement passé un long moment dehors, et s'ils n'avaient pas eu le temps d'ouvrir un parapluie c'est qu'ils avaient dû courir. Courir pour attraper Marylin, pour la tuer.
« Mais pour elle, je n'ai pas le choix, elle t'a déshonoré, elle a déshonoré notre famille, notre nom. Je n'ai pas le choix. Ici et maintenant. »La lueur d’espoir qui faisait encore vivre le visage de Marylin venait de s’éteindre et les supplications faisaient place au silence. Mon père hochait la tête comme pour dire qu’il comprenait, sans un regard pour la condamnée. La main de Michael tira une baguette de sa robe, de sa pointe il visa le cœur de ma belle-mère et une lueur verte transperça l’air pour venir lui prendre son dernier souffle. Elle s’étalait de tout son long sur le sol, les yeux grand ouverts, dans cette position-là, de là où elle se trouvait, et si elle était encore vivante, elle aurait certainement découvert ma cachette. Je posais ma main sur ma bouche pour étouffer un gémissement. Je pouvais sentir mon cœur s’emballer et le sang s’écouler à un rythme effréné le long de mes veines. Je fermais les yeux pour le faire se calmer de nouveau mais il peinait à se taire. De nouvelles larmes vinrent rafraîchir mes joues, puis un torrent. Je sentais mon nez se boucher petit à petit et ma respiration se hacher. Étais-je moi aussi en train de mourir ?
Deux mains vinrent me sortir de ma torpeur. Mon père, il m’avait redressée sans que je puisse m’en rendre compte. D’une main il essuyait ma tristesse puis déposait un baiser sur mon front comme il en avait l’habitude. Le corps de Marylin avait disparu, avec lui, mon angoisse.
« Je sais que tu l'aimais bien, mais elle nous a trahi, si nous n'avions pas fait ce qui avait à faire, les conséquences auraient pu être... Terribles pour nous. »Il me parlait sans ménagement, comme à une adulte. Il savait que je savais tout, que je n'avais jamais quitté la pièce, je le soupçonne même de ne jamais avoir cru que je pourrais ne pas être curieuse, c'est d'ailleurs certainement pour cela qu'il ne l'a pas tué lui-même, pour ne pas que je le vois commettre un meurtre. Pour qu'il reste mon modèle.
Je devais finalement me faire une raison, je n'aurai jamais de maman. Même Marylin n'en avait jamais été une, elle avait consciemment tenté de nous tuer moi et mon père en nous cachant ce secret.
« Je ne vois pas de quoi tu parles papa. »La page était tournée.
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Après y avoir réfléchi pendant quelques années, je me disais qu'Oprah avait certainement raison. Que la connaissance se différenciait du savoir. Je posséderai les deux.
« C'était vraiment cool, j'arrive pas à croire que j'ai fait ça avec la fille Sheperd. »Il passait une main dans mes cheveux.
« Si belle et si intelligente. »J'esquissais un sourire sarcastique tout en me rhabillant.
« Tu parles trop. »Le cagibis dans lequel nous avions mené notre petite affaire était relativement étroit, il n'y avait certainement plus assez d'air pour deux. Une fois habillée, je posais ma main sur la poignée pour ouvrir la porte. Il m'en empêchait.
« On sort ensemble hein ? On va se revoir ? »Je laissais échapper un soupir et posais mes mains sur ses joues. De mes yeux je balayais son visage et lui souriais. Je voulais lui faire croire que j'avais de la compassion pour lui.
« Tu mérites mieux que moi. On peut être amis ! »Je restais là, face à lui jusqu'à percevoir ce qu'il ressentait. Mais il ne bougeait pas et sa bouche s'ouvrait à mesure que les secondes passaient.
« Tu parais surpris. »J'enlevais mes mains et fronçais les sourcils, feignant d'être vexée par sa réaction. En vérité, je me fichais complètement de ce garçon. Il était plutôt mignon, bruns aux yeux sombres, comme j'aime les hommes. Mais il n'était pas intelligent, ni fin, ni talentueux pour quoi que ce soit, à part peut-être le sexe.
« Ce que tout le monde dit sur toi est vrai finalement. »Je me fichais bien de ce que les gens disaient sur moi, et je m'en fiche toujours. Voyant que la situation allait, selon toute probabilité, tourner au drame, je décidais de troquer mon masque de compassion pour celui de l'indifférence et sortais du cagibi sans un mot. Je savais pertinemment qu'il me suivrait, je ne me doutais simplement pas qu'il allait se mettre à hurler dans le couloir, en pleine heure de pointe.
« Tu t'es servis de moi. J'avais des sentiments pour toi Winter, tu n'es qu'une salle hypocrite ! »
Jusque là, tout allait bien, ce sont des choses que j'avais l'habitude d'entendre. Et les autres de dire.
« Et une salle chienne ! »
Un court silence, puis des rires. Ils ont immédiatement inondés les lieux. Certains des élèves me montraient du doigt tout en se courbant sous les poids de leurs éclats. Piquée à vif, je me retournais pour faire face à l'adversaire, j'avançais vers lui, je courrais presque. Arrivée à quelques centimètres de son visage j'enfonçais la pointe de ma baguette dans la peau de son cou, prenant le soin de ne pas laisser percer une quelconque once de colère sur mon visage. Petit à petit, le vacarme cessait. Aucun n'avait la moindre idée de ce dont j'étais capable, je le savais, mais savoir ce n'est pas suffisant. Il était temps d'expérimenter ma tolérance à l'injure, ma réaction à la colère. Le moment de « connaître » et non plus de savoir.
« Je t'ai déjà dit que tu parlais trop. »
La seconde qui suivait, je l'envoyais s'écraser contre le mur au fond du couloir, tournais les talons et quittais l'endroit, sous les murmures caractéristiques de ceux qui fondent les racontars.