WE DON'T NEED NO THOUGHT CONTROL. NO DARK SARCASM IN THE CLASSROOM
Acte I. Endure the present, and watch for better things.13 Juillet 1977" Là, tout de suite, je voulais surtout aller m'acheter un camion pelleteuse, creuser un trou dans le sol et m'ensevelir en attendant que le temps passe."
~ Apocalypse bébé.
« Merci... » Elle minauda d'une voix coulante, ses longs doigts osseux s'attardant sur les médicaments détenus par la main juvénile et salvatrice. Paupières lourdes et trop fardées, de longs cils parsemés de mascara filandreux, une large bouche, charnue et pleine, soulignée d'un trait carmin. Beauté fade et fanée, la gueule typique d'une pauvre hère n'ayant pas été épargnée par les coups de burin assénés par le temps et l'alcool. Lysander se redressa comme il toisa sa mère avec ce mépris au coin de l'oeil et ce dégoût en bord de lippe. Comme un goût aigre contre le palais, vomissure infâme, monceaux de faiblesse enfoncés loin dans la chair et l'âme. L'adolescent frissonna dès lors que leurs peaux se frôlèrent ; il ravala sa crainte, elle exulta. Pauvre conne. Persuadée de lire dans le regard du fiston tout cette velléité incestueuse quand il n'aspirait qu'à fuir.
« Je ne peux pas faire grand chose sans mes anti-dépresseurs. » La génitrice étira sa grande bouche dans un sourire abject, appelant à tous les vices, se dandinant d'avantage sur son fauteuil telle une truie en chaleur. Le gamin se contenta d'acquiescer, prêt à tourner les talons. S'extirper de cet enfer, éviter de dégueulasser le tapis au passage s'il venait à régurgiter son déjeuner. La succube alarmée le retint par le bras puis plongea ses yeux implorants dans ceux de sa progéniture, élevant de concert une voix grasse qui se voulait délicate.
« Ne te couche pas trop tard. » Un frémissement de nouveau lui parcourut l'échine tandis que l'étau de sa gorge se resserra d'avantage. Et il déglutit mollement, le pauvre quidam, de répugnance et d'horreur. Assailli par sa propre faiblesse, celle de ne savoir repousser la figure maternelle, il s'en serait frappé la tête contre le mur. Cogner encore, jusqu'à ce que la boite crânienne n'éclate enfin, que ce cerveau mort sous les affres des humiliations ne le délivre de ces cauchemars dantesques. L'agonie comme seule issue, vomir ses tripes à défaut de sa bile, puis se détacher de ces lambeaux de chair. S'extirper de ce corps qui n'était plus le sien, le mutiler à outrance. Pour ne plus qu'elle mouille, cette salope.
« Non. » parvint-il à souffler entre deux battements de cœur hargneux ; l'organe mis à mal scandait son désarroi mais se figeait, instantanément, lorsque la harpie venait réclamer son dû. Putain d'instinct de survie : ça préfère souiller la carne et l'esprit plutôt que de laisser crever la carcasse.
***
Sa pupille se figea au loin avant de mourir écrasée quelque part sur le mur fissuré. Cette bicoque insalubre suintait l'humidité, le whisky et le parfum adipeux de l'autre rombière. Puis, dès lors que l'on passait le seuil de sa chambre, des effluves de stupre dégueulasse encensées aux particules poussiéreuses venaient se loger dans les narines. Pot pourri pestilentiel de tout ce que la vie peut cracher de malsain. Ci-gît les reclus de la société, ceux que l'on moque, que l'on oublie, ceux dont on déleste toute dignité pour délit de sale gueule et de portefeuille dégarni. Et comme par un obscur truchement, tout ce qu'il y avait de délétère dans cette baraque se répercutait sur ses habitants : une mère incestueuse sous psychotropes, un fils acoquiné avec la vermine du coin, puis la petite dernière, Lindsay, physique ingrat mais esprit relativement affûté.
« Putain Lindsay, baisse le son ! » Lysander lança quelques coups rudes contre le mur de sa chambre, espérant vainement que le bruit sourd couvrirait la grande gueule du chanteur à nymphettes s'égosillant à la radio, avant de se laisser tomber sur son lit de fortune. Fourrageant ses cheveux de manière abrupte, réflexe auto-agressif lorsqu'il put s'agir de mater a minima l'avilissement qu'il sentait monter en lui, le garçon retint en sa gorge sèche quelques glapissements tacites mais puissants. Crise de nerf et d'identité oblige, lui qui se sentait désincarné face à la souillure du corps. Ne pas être réellement là lorsque l'autre matrone se glissera dans ses draps.
« FUCK OFF ! » Et l'adolescent de se relever soudain, fatigué d'écouter sa bête noire rugir tout contre son flanc et lui griffer la cage thoracique, ses pas prompts l'amenant vers la chambre de sa jeune sœur qu'il ouvrit à la volée.
Ses prunelles accrochèrent derechef la gamine de quatorze ans se trémoussant sur le plancher vétuste, pose sensuelle, déhanché aussi lascive que les péripatéticiennes du coin, l'élégance crade en moins.
« Coupe le son, c'est de la merde ton truc. » Lysander fronça les sourcils d'irritation, écrivant des traits assurés et autoritaires qu'il perdait d'emblée face à leur génitrice.
« C'est pas d'la merde, c'est Nick Lowe ! » qu'elle dégoisa, trop fière, comme elle poussa un peu plus le volume. Alors dépité, son aîné mit fin à la scène inhumaine en tirant sur la prise électrique. Le silence soudain vint planer sur leurs têtes, seulement rompu par les feulements d'une télévision mal réglée venant du salon.
« C'est bien ce que j'dis. » « C'est toujours mieux que tes Rolling Stones ou tes Pink Machin. » « Pink Floyd. T'es naze. » « Et toi t'es qu'un gros con. » « Viens on sort manger. » Lindsay se stoppa net, non pas qu'elle fut impressionnée par cette véhémence soudain tue (après tout le frère et la sœur avaient beau se lancer à corps perdus dans des joutes verbales quotidiennes, il subsistait entre eux une tendresse ineffable et puissante) mais elle considéra la mine blême de son frère.
« Ca va pas ? » « J'ai la dalle. » « Et t'as pas de thunes. » « Mais si. Ramène ton cul, on s'casse. » Un dernier sifflement comme injonction, et Lysander tourna les talons afin de se diriger vers le salon à pas feutrés.
La marâtre endormie dans son fauteuil rapiécé attira l'oeil retors de l'adolescent, lequel remarqua la bougie anti-tabac (ironie, quand tu nous tiens. Car le sol jonché de mégots trahissait une addiction à la nicotine bien prononcée). Il tiqua un instant, tiraillé entre sa lucidité et cette hargne patentée vociférant contre sa boite crânienne, puis convaincu que cette dernière voix dut être celle à entendre, se dirigea vers la cuisine étroite. Et d'allumer d'une main semi hésitante la bonbonne de gaz, sous les jérémiades de Lindsay :
« Je suis prêêêêête ! Bon ! On s'bouge ou tu te touches ? » « Raaah. Mais quelle conne, elle va tout faire foirer. » siffla le concerné avant de rejoindre sa cadette vers l'entrée, s'assurant d'un seul coup d'oeil que la génitrice dormait encore et ne fut pas réveillée par leurs braillements. Shootée à sa drogue médicamenteuse, elle bougonnait quelques palabres incompréhensibles entre deux inspirations profondes.
« Ca sent bizarre non ? » La jeune fille huma l'air goulûment, rejetant en arrière sa tête ronde, quand son frère plissa le front d'agacement.
« Quand j'te dis que tu dois te laver tous les jours. » « Pfff. T'es con. » Il ne releva pas, attrapa le blouson de cuir suspendu à un patère suranné et invita sa sœur à quitter la bicoque, refermant derrière eux une porte qui scellerait ses regrets.
***
« Tu te jettes pas sur la bouffe, pour quelqu'un qui crevait la dalle. » La voix de Lindsay s'éleva parmi celles des badauds. L'air un peu débonnaire, un peu inquiet, elle planta sa fourchette dans sa plâtrée de frites. Avide de malbouffe, comme pour panser les plaies de son mal être. Lysander néanmoins ne l'écoutait que d'une oreille, car plongé dans les affres de l'angoisse il ne sut déloger sa pupille de la vitre opaque de la brasserie populaire, ses yeux hagards se perdant sur les silhouettes des passants fuyant la pluie londonienne à pas de course. Ne laissant aucun répit à ses poumons quémandeurs de nicotine, le garçon tirait sur sa clope comme s'il voulut tirer la Faucheuse vers lui. Inquiet non pas de la possible mort de la daronne, mais de ce qui adviendrait pour la suite. Taule ou pas taule ? Maison de redressement ou famille d'accueil ? Putain qu'il se sentait con, soudain. C'est qu'il n'avait pas même songé à la suite.
« Ouais ben, j'ai changé d'avis. » se sentit-il obligé de répondre comme il devinait le regard appuyé de Lindsay lui brûler la clavicule.
« T'as la jambe qui te démange ? » glissa la gamine d'un air suspect, avisant le pied de son aîné tapoter nerveusement le sol. Ce dernier souffla son dépit dans une volute de fumée.
« Ouais. Bon tu bouffes ou tu veux que je t'écrase la gueule dans l'assiette ? » La concernée haussa les épaules, lueur pensive dans le regard. Scrupuleusement affalée au-dessus de son plat, mèche de cheveux frôlant le steak spongieux, elle vint pelleter le contenu de son assiette en trois mouvements. Puis sur un ton de connivence, se leva soudain.
« J'vais aux chiottes. » Pour faire comme les dames. Semblant d'élégance qu'elle n'avait pas, quand ronde et engoncée dans un sweat trois fois trop grand, elle laissa Lysander seul avec son anxiété.
Cet instant esseulé, Emma le remarqua. Jolie blonde, fraîche et pimpante, l'âge de Lysander : seize ans à peine. Serveuse de cette masure pour brasser un peu d'argent et se casser à Hollywood. Le rêve d'une gosse qui finira probablement prostituée, à l'instar de ces aspirantes actrices.
« Hey, Lys'. » Sa voix lascive marqua tout l'intérêt qu'elle avait pour son ami d'enfance, lequel leva ses yeux d'ambre vers la nouvelle arrivante. Cette dernière se pencha au-dessus de la table, offrant à sa vue un décolleté plongeant qu'elle exhibait fièrement.
« Emma, tu me sauves. J'ai pas une thune pour payer la bouffe de ma frangine, tu peux m'avancer ? » La jeune fille plissa le nez dans une fausse réflexion, puis arborant son plus beau sourire vint convenir d'un deal :
« Offert par la maison. Mais ça te coûtera un rencard. » « J'vais voir Mike demain, si tu veux on... » « Non je voulais dire... juste toi et moi. » Le silence devança la stupeur ; pris d'une légère panique qu'il dissimula derrière une mine blême, le jeune homme entrouvrit les lèvres sans pour autant laisser s'échapper un seul son viable. Ce dégoût de ce corps maternel contre le sien lui collant à la peau, perspectives d'une autre nuit qui aurait du s'avérer incestueuse, le somma de repousser le sexe féminin dans un ultime réflexe de défense. Lui qui pourtant ne s'avérait guère timide sinon au moins audacieux avec les demoiselles, se braquait systématiquement lorsque la proximité des corps entrait en jeu. Et Emma, aussi belle put-elle être, se drapait d'un peu trop de lascivité malgré le désir qu'elle suscitait chez le jeune homme. Une envie sitôt muée en une répulsion involontaire. Avait-il le choix, cependant.
« Ouais je... Un rendez-vous. Parfait. » « Super. Et mes parents ne sont pas là du week-end. » A la main tendue qui caressa délicatement sa joue râpeuse, Lysander sursauta soudain et balaya d'un geste abrupte ces longs doigts fins et quémandeurs. Le regard stupéfait de sa jeune amie l'acheva de devoir s'expliquer, quand bien même il tissait ses excuses dans un mensonge.
« Je ne suis pas... ce genre de mec. » La belle se redressa, sourire intéressé en coin de lippe. Le trouvant d'avantage charmant à le voir jouer les pseudos galants se refusant de forcer l'intimité d'une demoiselle lors d'un premier rencard. Du moins expliqua-t-elle son refus de la sorte.
« Mais moi je suis ce genre de fille. Demain vingt heures, chez moi. » Il ne pipa mot, se contenta d'accrocher sa pupille glacée à la silhouette qui déjà s'éloignait. Vint se maudire de ne pas annihiler la peur nichée dans ses entrailles, celle tissée d'un peu de chair et d'orgasmes.
« Hé, merde alors ! » La voix graisseuse de Lindsay éclata sa bulle léthargique, étayant avec elle toute l'appréhension de Lysander. Car il vrilla de concert son regard vers la fenêtre derrière laquelle passait tonitruant un cortège de voitures agitées, meuglant leurs sirènes sous l'air hagard des badauds.
« Ils se dirigent vers chez nous. » Timbre aussi inquiet que ses yeux humides, la gamine se tourna vers son frère au geste nerveux ; blouson endossé, cigarette au bord des lèvres, il se leva d'un bond avant de se diriger vers la porte.
« On s'tire. » « Mais j'ai pas fini... » « Lindsay. » Un regard dur se miroitant dans le sien et la fausse ingénue cessa enfin de feindre son ignorance. La nervosité de son frère, cette odeur de gaz embaumant le salon, et cette brasserie un peu crade mais bien située. Elle opina enfin du chef, prête à le suivre n'importe où. Pourvu que ce soit loin de leurs tourments.
Acte II. Fate will find a way.1er septembre 1979"Je faisais partie des gens mal adaptés que les situations de chaos remettaient paradoxalement en phase."
~ Teen Spirit.
« Je me sentais cradingue putain, cradingue et acculé... » Lysander cracha son dégoût avec la fébrilité qu'il ne sut retenir. Derniers frissons lui mordant l'échine, un regard qui divague et s'attarde sur une main tremblante. Ultimes réminiscences de souvenirs dégueulasses qu'il désirait enterrer en se confiant au vieux sorcier assis là à ses côtés, conduisant un bolide aussi fastueux que son costume. La quarantaine peut-être, le cheveu grisonnant, un air froid se lézardant à peine de sourires malgré toute l'affection qu'il éprouvait pour le môme. Son môme, à présent. Celui qu'il avait recueilli avec sa sœur depuis le décès de Maria. Parce que les liens familiaux ne lui avaient guère laissé le choix, en dépit de son mépris pour son cadet pourrissant en taule, Wolfgang Gainsborough coula un regard en biais vers Lysander. Rictus en coin de lippe, comme une fierté de voir ce bonhomme aux cheveux hirsutes mais à la dégaine assurée reprendre du poil de la bête malgré son âme défoncée. Plus encore, l'oncle et le neveu étaient parvenus à tisser un dialogue et un lien puissants : si Lysander avait mis du temps à s'ouvrir, il avait fini par vomir ses états d'âme comme on parle du temps qu'il fait dehors. La pluie battante pressant contre la vitre de ses appréhensions, sans jamais parvenir à laver ces putains de carreaux opaques.
« Cradingue. » qu'il répéta écoeuré, prêt à dégueuler ses tripes.
« C'est terminé à présent, vous êtes en sécurité. » Et ce timbre violemment tendre, son inusité à l'oreille du gamin, de le secouer un peu. Ce dernier se détendit alors, un peu trop peut-être. Car il s'enfonça sur son siège, pieds posés sur le tableau de bord comme il retira de son blouson de cuir un spliff préalablement roulé.
Craquement d'allumette éveillant la concentration de Wolfgang au volant. L'oncle coula un nouveau regard vers Lysander avant de s'égosiller :
« Non mais CA VA PAS ? » « Relax, j'allais t'en proposer. » dégoisa le jeune homme, l'air débonnaire, main tendue vers son nouveau tuteur. L'interlocuteur à la fois dépité et courroucé attrapa alors brutalement le joint et le jeta par la fenêtre sous les yeux hagards de l'apprenti toxicomane :
« Merde, Wolfy, merde ! Ca m'a coûté une blinde putain ! » Un sifflement s'épanchant sur ses lèvres agitées alors que Lysander se redressa d'une traite, regard pointé sur la route derrière eux. Comme si sa stupeur pouvait faire revenir le précieux butin écrasé quelque part sur le bitume et que son insolence brute couvrait les dégâts. L'oncle inflexible lui asséna un regard glacé, de ceux qui matent avant même que la fronde ne s'expose. Message reçu. Gêné et penaud, le jeune homme détourna les yeux dans un signe de rémission ; là où il vivait à présent, il n'y avait plus de place pour les rebuffades et le langage cru. Et que ça dit « merci », « s'il-te-plaît », « pardon », quand lui n'avait de politesse qu'un bref signe de tête en salutation. Dichotomie de deux mondes entrant souvent en collision, provoquant moins de ras-de-marées que quelques tremblements de terre : Lysander vacillait un peu, certes, mais se ressaisissait vite.
« Désolé. » « Je préfère. On en a déjà parlé pourtant. Tu souhaites vraiment finir comme ton père ? » Rire moqueur au bord des lèvres. Le jeune homme toisa la route défiler sans vraiment s'attarder sur les détails. Dans cette partie friquée de Londres, les prestigieux bâtiments côtoyaient le beau monde, les touristes dépensiers et les prostituées de luxe. C'était mirifique et désolant à la fois.
« Pas franchement. Il doit être en train de se faire enculer quelque part dans sa cellule de prison à l'heure qu'il est. » « Un peu de respect tu veux. T'as une drôle de façon de voir les choses. Tellement cru... » « La faute à qui. » qu'il souffla, résigné et las, sa pupille ne se délogeant pas des trottoirs impeccables défilant à toute allure. Wolfgang ne releva pas malgré la peine insufflée en son myocarde. Ce gamin le frappait par sa force et sa faiblesse, imbroglio de tourments exaltés comme position souveraine.
Et l'infini demeure, encrassé dans un silence sépulcral. Le gamin repense à sa mère, vite fait. Son cadavre surtout. Les autorités ont affirmé que l'autre salope est décédée des suites d'intoxication de fumée. Pas même un corps mutilé suite à l'explosion. Ca l'a un peu vexé, le môme, qu'il n'ait pas réussi à souiller le macchabée jusque dans sa dernière œuvre. Puis un sourire ourle sa lippe sèche qui craquelle sous les fissures de l'ironie lorsqu'il se remémore les derniers mots de ce putain de flic : simple accident domestique, cela arrive souvent et il en est désolé. Enfin c'est ce qu'il dégoise, mais en vérité il s'en carre. Tout le monde s'en cogne de ces prolétaires relégués dans les taudis ; ça fait toujours une bouche à nourrir en moins pour l'Etat. Tous des assistés.
« Nous sommes arrivés. » Les deux hommes sortirent du véhicule puis d'un coup d'un seul s'affaissèrent dignement sous le soleil de plomb. Lysander feignit une indifférence superbe, que rien ne l'atteigne ni ne le froisse en extérieur. Pas même un celsius de trop, celui qui vous colle à la peau et mouille votre chemise. Son regard neuf se posa sur les environs avec scepticisme, s'attardant sur un touriste ventripotent se hâtant vers la gare, valise encombrante à la main. Il soupira alors, truc d'adolescent pas bien fichu de partager l'enthousiasme passager des adultes. Wolfgang ferma sa précieuse voiture à clé, se toisa un instant dans le rétroviseur – il était vrai que le vieux sorcier irradiait d'un charme brut, typiquement anglais, chapeau panama couvrant sa tignasse grise – et vrilla ses yeux de jade sur le môme.
« Tu n'avais vraiment pas de veste sympa à te mettre ? » « Mon blouson de cuir est sympa. » rétorqua-t-il d'un ton faussement débonnaire, purement provocateur.
« Et tu crèves pas de chaud ? » « Nan. » Mensonge éhonté.
« Bon alors... Tu n'oublieras pas de te changer dans le train. » « Ouais. » Onomatopée typique des adolescents ; un mot pour un haussement d'épaules. Wolfgang ne s'en offusqua guère et toisa au contraire son neveu d'une oeillade protectrice, quand l'invitant d'une main à entrer au sein de King's Cross il se demanda si le môme parviendrait un jour à se dépêtrer de son marasme ambiant.
***
Sitôt arrivés sur le quai 9 ¾ , la pupille de Lysander accrocha les alentours avec la force tranquille de la fausse indifférence. Car en lui s'insinuait déjà, comme à chaque rentrée, une bouffée d'air vivifiante quant à la perspective de quitter le monde moldu. Certes il ne vivait plus avec sa marâtre de mère qui l'avait laissé difficilement partir pour Poudlard quelques années auparavant, mais l'école de sorcellerie était devenue au fil du temps sa véritable maison. Cocon protecteur, garde-fou avéré de sa psychologie fragile. Bien que l'intégration n'avait pas été des plus évidentes, au regard de sa culture sorcière inexistante.
« Ca va aller ? » Wolfgang avait parlé d'un ton bienveillant malgré ce timbre inquiet vrillant dans son gosier. Le regard nostalgique vissé sur le train fumant, il feignait ne pas voir les regards appuyés de quelques sangs purs à la tolérance bradée. Ainsi Lysander comprit la véritable portée de sa question, et à l'instar de son oncle choisit de s'exprimer à demi-mots.
« Tu sais, y a toujours eu des têtes de con à Poudlard qui se sentent supérieurs aux autres parce qu'ils ont plus de chances d'avoir des mômes présentant des symptômes de maladie congénitale. » Le quarantenaire retint difficilement un rire amusé, mais comme il convint qu'il était préférable de sermonner Lysander pour son langage inélégant, se contenta de l'étouffer aussitôt. Et ses remontrances avec.
« Essaie de te tenir à carreaux pour cette année. Evite d'accumuler les heures de colle. Contrôle ta colère. Révise régulièrement... » Un soupir las s'échappa des lèvres du jeune homme en dépit de sa satisfaction dissimulée ; celle de savoir que l'on put veiller sur lui.
« Ramène une petite amie, pourquoi pas... » « Nan je... » Enfin l'adolescent daigna réagir, quand laissant s'échapper des mots avant même qu'il ne puisse les retenir en otage, se sentit piquer un fard.
« Je... » Il déglutit difficilement d'une salive pâteuse et rare, sentit le myocarde malade s'emballer, commença à balbutier quelques palabres à peine audibles.
« Elles... enfin... Oh puis merde à la fin, arrête de te foutre de moi ! » Le brun ténébreux se rembrunit mais afficha néanmoins une moue bien plus amusée que courroucée. Et pour toutes salutations, tenta de jouer les flegmatiques par un bref :
« Le train part dans cinq minutes, j'me casse. Et je t'écrirai, t'inquiète. » scandé alors qu'il s'éloignait à grands pas, avant de se retourner de façon hésitante. Ses pupilles tannées à l'or chaud vrillèrent sur son oncle au sourire paternel, insufflant en Lysander une joie et une sérénité bienfaitrices. Alors et pour rompre sa pseudo figure austère d'adolescent traversant sa crise, le jeune homme se dirigea à nouveau vers son oncle, le prit dans ses bras et dans un murmure embaumé d'une reconnaissance intarissable lui souffla le plus doux des au revoir :
« Merci. »