La décoration pompeuse était étouffante. C'était comme si les hôtes avaient voulu étaler toutes leurs richesses dans une seule et même pièce. Sans doute était-ce plus ou moins le cas, d'ailleurs. C'était ainsi que les choses fonctionnaient, chez les nobles familles sorcières. Une compétition infinie pour savoir laquelle était la plus riche, laquelle devait être la plus respectée. C'était à vomir. Du haut de ses huit petites années, Louise suivait sa mère dans l'assemblée, saluant des gens qu'elle ne reconnaissait pas vraiment. Il faut dire qu'elle prêtait si peu attention à leur nom, trop occupée à détailler leurs tenues extravagantes, leurs manières trop exagérées et leur inépuisable hypocrisie. Sa mère, d'ailleurs, était très douée en la matière. Élisabeth était présentement occupée à critiquer sans retenue une femme qu'elle avait couverte de compliment à peine deux minutes auparavant. C'était tellement comique que, s'ils ne s'étaient pas trouvé au beau milieu de toutes ces familles respectables, Louise se serait sans doute laissée aller à rire. Mais là, elle ne pouvait décemment pas exprimer la plus petite mimique moqueuse. Pas même un sourire. Elle ne pouvait que garder ce visage impassible, son regard poliment intéressé posé sur cette femme à la coiffure extravagante qui n'en pouvait plus de jacasser. Sa mère finit par prendre congé, promettant de poursuivre cette conversation plus tard. Mais à peine avait-elle fait deux pas qu'elle se pencha à l'oreille de son mari pour pester contre l'arrogance de cette pauvre femme. Quelques secondes plus tard, elle saluait un nouveau couple. Rapidement, elle présenta sa fille. Louise, un signe de tête à l'appui, fit son possible pour faire disparaître toute ironie de ses paroles lorsqu'elle salua la charmante Madame Windester et son Oh combien réputé époux. Mais très vite, tout le monde se désintéressa d'elle lorsque Élisabeth plaça son fils aîné au devant de la scène. Ambroise qui faisait sa fierté. Ambroise qui venait de décrocher le premier prix du concours national de dressage d'abraxan, catégorie junior. Ambroise qui était tellement parfait. Fatiguée d'entendre sans cesse le même discours, Louise se désintéressa de sa famille pour se concentrer sur les invités. La danse des robes et des capes, l'hypocrisie manifeste dont personne ne semblait se soucier, les regards dédaigneux que certains posaient sur tout un chacun, le sourire niais des femmes qui se prélassaient dans un luxe qu'elles ne méritaient pas.

'' Par Morgane, tiens toi droite, Louise.| ''

La petite fille se renfrogna sous le reproche de sa mère. Malgré tout, elle redressa les épaules. Elle tenta de ravaler sa tristesse, mais la déception était bien là, violente, dévorante. Elle n'était pas à la hauteur, elle le savait parfaitement. Et sa mère ne cessait de le lui rappeler. Pourtant, elle essayait. Elle essayait vraiment de la rendre fière. Elle faisait tout ce qu'elle pouvait. Mais son caractère un peu trop emporté, son énergie dévorante, son dégoût face aux sang-purs et à leur univers tellement brillant en apparence, tellement noir à l'intérieur, tout ça faisait qu'elle n'y arrivait jamais. Comment aurait-elle pu rivaliser avec son frère ? Lui qui ne faisait jamais un pas de travers, qui savait toujours quoi dire, quoi faire. Lui qui suivait à la lettre l'éducation de sa mère. Heureusement que son père n'était pas aussi rigide. Seulement, Louise ne le voyait pas souvent. Brillant ensorceleur, il passait ses journées à jeter des sortilèges complexes pour le compte de diverses personnes. Il s'était fait une place de renom dans le milieu. Mais, contrairement à Élisabeth, la notoriété ne l'avait pas rendu invivable. Tant que sa fille se comportait bien en société, qu'elle était polie et obéissante, il se fichait bien de la voir se dérouler dans l'herbe du jardin, de l'entendre rire aux éclats, de la surprendre un paquet de bonbons à la main, courant dans les couloirs pour aller se cacher du regard inquisiteur de sa gouvernante. Au contraire, il aimait cette vitalité qui se dégageait de sa fille.



Louise était tranquillement installée dans le couloir, entre une porte que personne n'avait jamais réussit à ouvrir et le tableau d'une danseuse qui virevoltait dans son cadre. Elle discutait avec l'un de ses ami du dernier match de quidditch qu'ils avaient perdu. À cause d'un gardien trop peu réactif, selon Louise. À cause d'un attrapeur trop lent, selon son ami. Le débat faisait rage, et Louise était en train de passer en revue chacun des buts encaissés par son équipe, lorsque quelque chose de tout à fait incongru se produisit. N'était ce pas une main, qui venait de se poser avec fermeté sur son derrière délicat ? Ni une ni deux, Louise se retourna, colla son poing dans le nez de l'importun et plaça sa baguette sous son menton … avant de reconnaître un autre de ses amis. Il pestait, grommelait, maugréait, les mains plaquées sur son nez sanguinolent.

'' Putain, Louise, t'es complètement tarée. ''

Loin de s'excuser, la demoiselle, les yeux lançant des éclairs, enfonça un peu plus sa baguette contre le cou du garçon. Il était tout à fait hors de question qu'elle laisse quiconque avoir ce genre de geste envers elle. Elle détestait ça. Comme elle détestait les regards appréciateurs que certains de ses amis lui lançaient régulièrement. C'était ça, l'ennui, lorsqu'on passait plus de temps avec la gente masculine que féminine. On s'exposait à quelques plans dragues pas très agréables ni très simple à gérer. Louise n'arrivait pas à considérer un seul de ses amis comme un potentiel petit ami. À vrai dire, elle n'arrivait à considérer aucun garçon comme un potentiel petit ami. Elle préférait l'amitié, c'était plus simple. Nettement plus simple.

'' Recommence jamais ça, espèce de troll. ''

L'autre grommela quelque chose qui ressemblait à un accord. Alors, Louise daigna baisser sa baguette. Une respiration. Deux respirations. La colère était passée. Derrière elle, celui avec lequel elle entretenait quelques secondes plus tôt une discussion passionnante était tout simplement mort de rire. Louise s'autorisa un sourire en constatant l'étendue des dégâts. C'est qu'elle ne l'avait pas loupé, son stupide copain.

'' Et sinon, à part jouer au macho bien lourd, tu voulais quelque chose ? ''

Le garçon continuait à marmonner, pas tout à fait ravi se s'être fait exploser le nez par une fille. Mais le sourire de Louise et l'hilarité de son pote finirent pas avoir raison de sa mauvaise humeur. Après tout, Louise n'était pas une fille comme les autres. Il le savait et, à l'avenir, ne l'oublierait plus jamais.

À Poudlard, Louise avait trouvé sa place. Sa vraie place. Elle pouvait enfin être elle-même, loin des règles de bienséance imposée par sa mère, loin de l'hypocrisie des sangs-purs, loin des mensonges et des faux-semblants perpétuels. Ici, l'apparence n'avait pas tant d'importance. Ici, elle pouvait jurer comme une éleveuse de troll, courir autant qu'il lui plaisait, mettre son uniforme de travers, rire à gorge déployée, partir à l'aventure dans les couloirs obscurs, foncer à toute vitesse sur son balais, dire ce qu'elle pensait, exactement comme elle le pensait. Ici, Louise n'était plus le deuxième enfant des Snow. Ici, Louise n'était plus dans l'ombre de son frère. Oh, Ambroise avait un peu tendance à lui faire la morale, de temps à autre, mais en général, il s'appliquait à renier tout lien de parenté avec elle. Ici, elle n'était plus que Louise, aventurière, casse cou, amie de ces messieurs, ennemie d'une bonne partie du corps enseignant. Oui, sa place était ici, entre les murs de ce château, au milieu d'une foule d'élève tous plus intéressants les uns que les autres, et pas derrière la grille en fer forgée du manoir Snow, entre sa mère trop rigide, son père qu'elle aimait pourtant plus que tout et son frère qu'elle parvenait à haïr autant que lui la détestait.



Le verdict allait tomber. Le Magenmagot était en train de délibérer. Louise croisa le regard de son père et la dignité qu'elle lu sur son visage lui donna envie de pleurer. Comment pouvait-il rester aussi stoïque, alors qu'il était là, enchaîné à cette chaise ? Comment pouvait-il ne pas hurler alors que son destin reposait sur les épaules de ces sorciers corrompus ? Comment pouvait-il ne pas pleurer alors qu'il était accusé d'un crime qu'il n'avait pas commis ? Louise n'en savait rien. Elle même était au bord de la crise de nerf. Ses mains étaient crispées sur son siège, ses yeux plein de larmes, ses dents serrées sur sa langue au point que le sang se déversait dans sa bouche. Elle voulait hurler, elle voulait courir vers lui, elle voulait leur dire, à tous, qu'ils faisaient une grave erreur. Mais elle ne pouvait pas. Elle le savait très bien. Rien de ce qu'elle ferait n'arrangerait la situation, bien au contraire.

Tout avait basculé tellement vite. Louise savait exactement ce qu'il s'était passé. Elle le savait parce que son père le lui avait expliqué, peu après son arrestation, alors qu'il était enfermé dans les cellules du ministère de la magie, là où l'on mettait les criminels avant leur jugement. Ils avaient voulu le convertir. Les mangemorts. Ils avaient voulu qu'il rejoigne leur cause. Après tout, il était un sang-pur, brillant ensorceleur, ils avaient tout intérêt à l'avoir dans leurs rangs. Mais il avait refusé. Il avait comprit, bien avant tout le monde, que ce groupuscule ne poursuivait pas une cause juste. Lui, n'avait rien contre les nés-moldus. Lui, ne jugeait pas les gens sur la nature de sang, mais plutôt sur leurs actes. Alors, ils l'avaient menacé. C'était ça, les méthodes des mangemorts. Si la diplomatie ne fonctionnait pas, ils utilisaient la peur. Et si la peur ne fonctionnait pas, ils frappaient. Et ils avaient frappé. Un coup monté. Un horrible coup monté. Des gens avaient commencé à venir témoigner contre l'ensorceleur, assurant qu'il avait réalisé des contrats frauduleux pour se hisser au sommet. On le soupçonnait d'avoir lancé des maléfices pour le compte de certains hommes puissants. Quelqu'un avait même assuré qu'il avait jeté quelques sortilèges impardonnables sous les ordres d'un homme du ministère. Les charges étaient lourdes. Corruption. Utilisation de la magie noire. Atteinte à la personne. On parlait même de meurtre. Il n'y avait aucune preuve, mais de toute évidence, personne ne semblait en avoir besoin. Ce procès était une mascarade, les membres du Mangenmagot étaient tous plus pourris les uns que les autres. La plupart devaient être du côté du Lord. Ou bien avaient ils été menacés à leur tour ? Soumis à l'imperium ? Peu importait. Le fait était là. L'issu du procès semblait écrite d'avance. Finalement, le juge se leva.

'' Très bien. Nous allons procéder au vote. ''

Louise sentit son cœur se serrer. La panique la gagna et, soudain, elle eu l'impression de ne plus pouvoir respirer. Elle s'accrocha au regard de son père, puisant sa force dans son calme.

'' Ceux qui sont pour une peine d'enfermement à vie à Askaban et une obligation à payer des dédommagements aux familles des victimes. ''

Les mains se levèrent. Beaucoup de mains. Trop de mains. Louise ne pu retenir le cri qui sortit de sa gorge. Désespoir, révolte, haine, tristesse se retrouvèrent dans ce hurlement douloureux. Le président lui lança un regard de reproche.

'' Miss, je vous demande un peu de calme, s'il vous plaît. Vous êtes dans une salle d'audience. ''

Elle ne se rendit compte qu'à se moment là qu'elle s'était levée, que la rage tordait ses traits. Toute sa belle dignité était partie en fumée mais, pour une fois, sa mère ne lui en tint pas rigueur. Élisabeth semblait au bord de l'évanouissement. Ambroise, à côté d'elle, avait posé une main secourable sur son épaule et jetait un regard empli de haine et de reproche à son père. Par acquis de conscience, le président fit lever la main de ceux qui étaient pour l'abandon des charges. Louise s'était laissée tomber sur sa chaise, abattue et elle regarda, la gorge nouée, les larmes brûlant au coin des yeux, son père se faire emmener par les détraqueurs.



Elle avait toujours dit qu'elle se fichait de l'argent de sa famille. Qu'elle se fichait de la réputation des Snow. Que le regard des autres la laissait de marbre. Elle comprenait désormais à quel point c'était faux. Encore une fois, elle était en retenue. Censée réfléchir à ses actes. Oui, elle avait cassé la figure à une de ses camarades. Oui, la pauvre fille s'était retrouvée à l'infirmerie, pas mal amochée. Mais Louise ne le regrettait pas. Elle aurait frappé encore, si on ne l'avait pas retenue. Et elle était prête à recommencer, si l'autre la cherchait à nouveau. Elle était devenue la risée des sangs-purs. Elle, sa mère, son frère. Même si Ambroise avait un peu moins de mal à se faire respecter. Tout le monde savait qu'il ne fallait pas emmerder Ambroise. Et rares étaient ceux qui avaient envie de le faire. En revanche, Louise et son impulsivité, Louise et sa joie de vivre, Louise et son expansivité, étaient une cible de choix. Même si elle cognait fort.

Louise frotta plus fort la tâche qui ne voulait pas partir du trophée. Elle se fichait des retenues. Pour tout dire, le travail qu'elle avait à faire avait le mérite de l'occuper et de lui faire penser à autre chose. Même si ça allait lui prendre des heures, d'astiquer chaque trophée présent dans cette pièce. Tout c'était écroulé. Dés lors que son père avait été condamné, s'en fut terminé de la gloire des Snow. La quasi-totalité de l'argent avait été prélevé, pour donner aux familles. Le coffre, autrefois empli d'or, était vide. Désespérément vide. Et si le manoir était encore la propriété de la famille, il était clair que ce ne serait plus le cas, dans peu de temps. Écrasés sous les dettes, contraints de vendre leurs biens les plus précieux, ils n'avaient désormais plus rien à faire dans les cercles mondains. La tache ne partait pas. Louise reposa le trophée sur l'étagère, dans un geste violent qui résonna dans toute la pièce. Peu importait, elle était seule.

Elle n'en voulait pas à son père. Contrairement à Ambroise qui estimait clairement que, si l'ensorceleur avait rejoint les mangemorts, ils ne seraient pas dans une situation si compliquée aujourd'hui. Quant à Élisabeth … elle tenait le coup. Mieux que ce que Louise aurait pu penser. Le drame qui s'était abattu sur eux aurait du resserrer les liens familiaux. Ce ne fut pas le cas. Pas du tout. Ambroise avait décidé de tout faire pour racheter la faute de son père, et Louise le soupçonnait de s'intéresser de très près aux mangemorts. Elle aurait tellement voulu pouvoir lui ouvrir les yeux. Mais Ambroise ne l'écouterait pas, quand bien même elle tenterait de lui parler. Il ferait ce qu'il avait décidé de faire, et elle savait qu'il n'hésiterait pas à l’évincer si elle se mettait en travers de son chemin. Il le lui avait dit. Ils appréhendaient tous la situation d'une manière différente. C'était exactement ce qui ferait qu'ils ne s'en sortiraient pas. Ambroise tentait de regagner le respect des familles nobles. Louise se faisait un plaisir de réduire leurs visages moqueurs en bouillie. Chacun sa philosophie, après tout. Mais les deux se rejoignaient sur un point. Le manque criant d'argent les faisait souffrir plus qu'ils ne l'auraient pensé. Finalement, on s'habituait facilement au luxe et aux belles choses. Ils avaient tous les deux sentit leur cœur se serrer lorsque les abraxans que la famille élevait depuis des années, ceux là même avec lesquels Ambroise avait gagné des concours, avaient été vendu. Ils avaient tous les deux serrés les dents lorsque leur mère avait du acheter des uniformes et des manuels d'occasion. Et tous les deux étaient bien décidé à trouver des gallions, par n'importe quel moyen. Louise ne savait pas ce que faisait Ambroise, pour palier leur pauvreté soudaine, mais elle ne loupait pas une occasion de soutirer de l'argent à ses camarades. C'était un bien maigre butin, mais au moins était ce déjà ça.