C’était une de ces fois où Vitalic se demandait pourquoi. Pourquoi il fonçait toujours tête baissée, sans réfléchir aux conséquences. Pour l’honneur ? N’importe quoi. Pour la gloire ? Bof, couvert de sang, pas vraiment. Pour se distraire ? Ouais, mais sur le coup. Alors pourquoi ? Vitalic tamponna sa manche sur son arcade sanguinolente. Il ne se battait quasiment jamais hors du travail – des études plutôt – parce qu’il y avait son taux d’Adrénaline suffisant. L'adrénaline, son deuxième prénom. Se rendre intéressant ? Mais non, merde. Il se sentait un peu stupide. Oui, il avait infligé une belle dérouillée à ce sale type. Qui l’avait mérité, à parler de sa mère de la sorte. Oui, bon, tout était relatif mais Vitalic ne supportait pas qu’on s’en prenne à sa mère. Mais maintenant qu’il était dans la rue, assis contre cette arcade en pierre, dans la nuit, à éponger tant bien que mal le sang qui coulait lentement de sa tempe… il avait tout le loisir de réfléchir, seul avec lui-même. Parfois, il se demandait comment se supporter. Ça ne durait jamais longtemps, et croyez-moi, il ne se torturait pas non plus. Mais dans ces moments-là, il avait l’impression qu’il s’échappait à lui-même. Un jour, son instructeur, toujours plus las, l’avait soudain dévisagé longuement, avant de lui demander : « A quoi joues-tu bon sang ? » Vitalic avait haussé les épaules, une lueur de défi dans le regard. « Tu trompes peut-être ton monde, mais pas moi. Tu n’es pas un mauvais gamin, alors à quoi tu joues ? » Vitalic, cette fois, avait pris un air outré. « Arrête ton char Vitalic. J’ai pas dit que t’étais un monstre. Mais quand même, tu joues bien trop à l’enfoiré. Regarde, tu prends rien au sérieux. T’as failli faire foirer la mission. Comment mon meilleur élève peut-il être aussi le pire ? » Puis le silence était revenu et Vitalic avait prétendu n’en avoir rien à faire. Et à cet instant, dans cette rue sombre, le jeune Knight n’était plus certain de s’en foutre. Sa vie lui plaisait tant, il ne l’échangerait pour rien au monde. Seulement parfois, il se foutait dans la merde. Et à chaque fois qu’il était plongé dedans ? Il ne pouvait s’en prendre qu’à lui. Il avait un temps prétendu être un aimant à ennuis. Puis son meilleur ami lui avait fait remarquer que l’aimant subissait indépendamment de sa volonté, contrairement à lui. Il s’était franchement marré. D’ailleurs, qu’est-ce qu’ils avaient ri ce soir-là avec Léo. Si Vitalic avait bonne mémoire (et c’était le cas), ils avaient passé une soirée mémorable dans un pub moldu. C’est en se souvenant de cela que Vitalic transplana chez Léo. « Vit’ putain, tu vas tout dégueulasser, va dans la salle de bain ! » Bonsoir toi aussi, Léo. Vitalic lui adressa un petit sourire contrit en excuse et traversa le petit appartement de son ami. « Salut June », lança Vitalic en passant devant la chambre. Une chevelure rousse émergeait des couettes pour voir quelle était l’origine du bruit. « Deux heures du mat’ », grogna June en réponse en retombant dans les draps. « C’est quoi ça ? Tu t’es battu ? Sans moi ? Et tu viens me narguer alors que je suis tranquille au pieu avec ma copine ? Bordel Vitalic, y’en a qui bossent le lundi. » Et sur ces mots, Vitalic expliqua la situation. Mais il n’était plus sombre comme dans cette ruelle. Il plaisantait, racontait avec orgueil et panache comment il avait envoyé valser l’autre troll. Et Léo l’écoutait. Heureusement qu’il y avait des gens comme Léo. Quelques rares personnes devant lesquelles il relâchait sans même s’en rendre compte la pression qu’il faisait monter lui-même. Il s’endormit donc à quatre heures du matin sur le canapé de son meilleur ami, ses démons bien loin, évaporés. Oh ouais, qu’est-ce qu’il avait pris ce type ! « KNIGHT BORDEL IL EST DIX HEURES ! » Ah oui, je ne vous l’avais pas dit, Vitalic aussi, faisait partie de ces gens qui travaillait le lundi matin. C’est imperturbable, et avec un petit sourire, que Vitalic s’assit derrière son bureau en terminant son croissant (il raffolait des viennoiseries françaises). Il avait une tonne de défaut ça oui, mais il n’était pas méchant. Loin de là. « Vous deviez recevoir votre bonus pour votre exemplarité d’altruisme ! Franchement, on dirait une blague dans ma bouche, tellement ça parait irréel qu’on puisse vous décerner quoi que ce soit… » et bla et bla et bla. Vitalic sourit, non, il n'échangerait sa vie pour rien au monde.