Justifier une tâche ne la rendait pas plus supportable. C’était une conclusion à laquelle le chef des aurors était arrivé il y a bien longtemps. Vraiment très longtemps. Et si, d’ordinaire, le calme Enoch Lancaster arrivait à passer outre la très faible considération qu’il avait à l’intention des tâches bureaucratiques qui étaient devenues son quotidien, aujourd’hui, il n’en pouvait plus.
Alors la plume retrouve sèchement l’encrier. Le geste est plein d’une impatience rageuse, mais ne disperse aucune goutte d’encre sur le bureau. L’homme mesure sa rage même dans les moments les plus pénibles, car il sait que tâcher son rapport n’est pas du tout la bonne façon de calmer ses nerfs. Et pourtant, que n’aurait-il donné pour déchirer ce rapport et jeter les morceaux au feu, avant de sortir de ce bureau trop luxueux pour aller se mêler à la vie nocturne et arrêter quelques mages noirs.
Mais alors qui écrirait ce rapport à l’attention du ministre ? Qui dirigerait la brigade des aurors ? Le vieux Willis, incapable de faire la différence entre un minable revendeur de breloques d’un habile ensorceleur de moldus ? L’idée le répugnait tant qu’il restait toujours là assis à son bureau, à fixer le rapport à demi-écrit, qui n’attend qu’à être fini. Foutue dyslexie. Il aurait terminé cette chose depuis bien longtemps sans ça. Mais ce soir, il n’arriverait plus à rien.
Le regard clair se redresse, parcourant un court instant l’environnement dans lequel il se trouve. Les lumières tamisées de son bureau et les ténèbres de l’Atrium sont bien assez d’éléments pour lui signaler que les heures de bureau sont dépassées depuis longtemps. Dire qu’il n’avait pas remarqué le salut discret de sa secrétaire il y a deux heures aurait été mentir, mais de là à s’en soucier… Il a seulement noté le détail qu’elle laisse toujours la porte de son bureau ouverte lorsqu’elle vient lui dire au revoir, comme pour lui rappeler qu’il y a une vie dehors et que le surmenage est mauvais pour la santé. Comme s’il pouvait l’ignorer. Même d’ici, il pouvait entendre les quelques aurors en permanence discuter près de la petite cuisine où ils se droguaient au café. Parait que ça aide à tenir éveillé, cette chose infecte.
L’auror Lancaster n’avait nul meilleur endroit où se trouver ce soir, voilà tout. Mais s’il n’était plus bon à écrire ses rapports, il pouvait tout aussi bien se coucher, sauf si peut-être… Son regard tombe tout à coup sur la vieille pensine posée sur le coin d’un meuble. L’objet magique centenaire semblait appartenir à ce bureau depuis que son tout premier propriétaire l’y avait laissé, à sa mort. Elle était restée là, en guise de mémoire et en libre accès pour tous les occupants du bureau. Certains rechignaient à l’utiliser, trouvant peut-être malsain de glisser ses pensées dans un réceptacle ayant appartenu à un mort, mais lui-même ne faisait pas dans le sentimentalisme. Il avait investi le bureau comme si tout lui appartenait désormais, il ne voyait pas pourquoi il n’en ferait pas de même avec cette pensine.
D’ailleurs, l’un de ses souvenirs y flottait justement. Se levant de son siège et s’approchant du meuble craquant sous les documents, rapports et autre paperasse, il survola le nuage d’un coup de baguette pour révéler une rue engoncée dans les ténèbres. Était-ce un soudain élan de nostalgie qui le poussa à plonger son visage et ses pensées dans ce vieux souvenir datant de près de 10 ans ?
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En bas de l’appartement 457, Maverick Street, 17 janvier 1970
Le froid frappait l’Angleterre, sans épargner le côté moldu de Londres. Les rues pavées étaient rendues glissantes par le gel et le souffle des quelques personnes assez courageuses pour l’affronter dessinait de jolies volutes dans l’air glacé. Même quelques résidus de neige persistaient encore dans les recoins, malgré qu’il n’ai pas neigé depuis plusieurs jours : le milieu d’un hiver particulièrement froid était arrivé, et on pouvait le sentir jusqu’au plus profond de ses os.
Mais ce n’était pas une excuse pour ne pas travailler, que ce soit en intérieur ou en extérieur, et encore moins pour les courageux Aurors, qui eux plus que tout le monde, savaient bien que le mal ne se reposait pas. Jamais.
Alors, en ce 17 janvier, deux aurors avaient été dépêchés. L’Auror Lancaster et l’auror McLeod allaient faire équipe en cette rude journée pour la première fois de leur carrière afin d’accomplir une mission : démasquer et arrêter un revendeur d’objets ensorcelés qui avait eu la négligence ou la mauvaise intention de revendre ses objets magiques à des moldus, enfreignant ainsi l’article 34 de l’arrêté du Ministère sur la Conservation du Secret de l’Existence du Monde Magique.
L’un de ces objets venait d’ailleurs d’être signalé dans l’immeuble au pied duquel Enoch attendait, l’air patient. Vêtu à la moldue, comme il l’était pratiquement toujours d’ailleurs, il portait un costume noir et simple sous un épais trenchcoat dont le col était remonté par-dessus ses joues. Mais enfoncées dans les poches, il observait la rue pratiquement déserte comme s’il attendait quelque chose. Quelque chose… ou son partenaire ? Il avait donné rendez-vous à Styx McLeod à cet endroit précis, à cette heure précise. Ou bien d’ici deux ou trois minutes. Enoch avait toujours de l’avance, parce qu’il détestait arriver en retard. Et le froid était trop mordant que pour qu’il ait envie de sortir les mains de ses poches pour regarder l’heure, malgré le sort réchauffant qu’il s’était lancé quelques minutes auparavant, à l’abri des regards.
Mais arriver en avance avait ce désavantage, après tout, de devoir attendre la plupart des gens.
Le regard de faucon observait la rue avec précision. Et quand un bruit se fit entendre par-dessus son épaule droite, il se retourna rapidement, pas trop sèchement, mais restant comme tout bon auror sur le qui-vive. Un sourcil se hausse lorsqu’il aperçoit enfin son nouveau et temporaire partenaire et il se tournera complètement vers son collègue.
« Auror McLeod, je présume ? »
S’il avait déjà dû apercevoir ce visage au ministère dans le bureau des aurors, l’homme, à l’époque, lui était encore inconnu. Enoch Lancaster n’avait jamais été friands des discutions autour d’un café au bureau ou de quelque liaison sociale entre collègues, même s’il avait toujours fait preuve d’un esprit d’équipe suffisant pour entrer dans le corps des Aurors. Il ne voyait juste pas l’utilité de connaître la vie de ses coéquipiers en détail pour partir en mission avec eux. La simple étude basique de leur caractère et de leurs aptitudes lui étaient suffisants.
Les aiguilles de ma montre indiquaient dix heures vingt-huit. Si je perdais encore deux minutes dans le labyrinthe londonien, j’allais être en retard pour le rendez-vous que m’avait donné l’auror Lancaster et la dernière chose dont j’avais envie, s’était d’arriver en retard pour ma première affaire. J’étais déjà venu à Londres par le passé, pour accompagner mon père au Ministère lorsqu’il essayait encore de m’initier aux pratiques du magenmagot pour que je perpétue la tradition familiale. Malheureusement pour lui, la carrière de juriste n’avait suscité aucun entrain chez moi et, à son grand désarroi, j’avais tourné le dos aux facilitées et aux portes ouvertes qu’offrait le renom que mon patronyme avait acquis dans le domaine de la Justice Magique au fil des siècles. Et, malheureusement pour moi, ces excursions, en plus d’une perte de temps conséquente, ne m’étaient d’aucune utilité pour l’instant présent puisque je n’avais encore jamais mis le pieds dans le Londres moldu. J’avais demandé mon chemin à des citadins par trois fois et pourtant j’avais le sentiment de me diriger dans la mauvaise direction. Je remettais la montre à gousset dans la poche de mon manteau où elle produisit un cliquetis métallique en percutant mon badge d’auror. L’air glacé avait déjà paralysé mon visage, la morsure de l’hiver brulait mes joues et mes oreilles et j’essayais tant bien que mal de me protéger du froid en rentrant mon menton dans l’écharpe noir qui me ceignait le cou. L’odeur de Seth l’imprégnait et des réminiscences de cette froide matinée me revenaient à l’esprit. En dépit de l’air grognon que j’avais adopté depuis quelques jours et de l’angoisse de faire quelque chose de travers qui faisait osciller mon humeur, il avait essayé de me réconforter du mieux qu’il le pouvait. Cela faisait moins d’une semaine que les nouvelles recrues avaient été déclaré apte au travail de terrain et nous avions tous reçut des affectations sur des affaires en court ainsi qu’un binôme avec lequel nous allions travailler. J’avais été déçut de ne pas pouvoir travailler avec Seth mais, comme il aimait à me le répéter, c’était peut-être pour le mieux. Travail et vie privé est un cocktail dangereux qui peut parfois être lourd en répercussions. Bien que je me fusse efforcé d’acquiescer à chaque fois qu’il me le rabâchait, je ne pouvais me défaire de ce sentiment qui me tordait les entrailles. Je préférais l’avoir prêt de moi et être sur de pouvoir le protéger quoiqu’il advienne. Qui plus est, ce Lebowski avec qui il fait équipe a les mains trop baladeuses et le regard trop libidineux à mon gout. Je chassais toutes ces réflexions de mon esprit en prenant une grande inspiration d’air glaciale qui me meurtrit les poumons plus qu’autre chose.
Je relevais la tête afin de voir où je me trouvais. Une plaque vissée en hauteur, sur le coin de la rue, indiquait Fleet Street. D’après les indications que les moldus m’avaient données, le point de rendez-vous se trouvait à l’embranchement de cette ruelle, dans Maverick Street. Je pressais le pas en prenant garde de ne pas déraper sur les pavés couverts de gel et de verglas. Je m’engageais dans la rue et mon regard se posa sur une personne qui me tournait le dos. Un homme, de toute évidence, emmitouflé dans un long manteau noir au col relevé, les cheveux légèrement agité par la brise froide. Je m’avançais d’un air naturel, encore incertain sur l’identité du personnage car, pour le moment, je n’avais pas encore établi de contact avec Enoch. Alors que j’arrivais à quelques mètres derrière l’inconnu, les semelles de mes chaussures s’enfoncèrent dans les reliquats de neiges au sol, produisant un son granuleux. Le son avait du alerter l’autre puisqu’il fit volte-face. Il se contenta de me dévisager de ses yeux perçants et haussa un sourcil. « Auror McLeod, je présume ? » C’était donc lui, Enoch. Son visage me disait quelque chose, finalement. Peut-être quelqu’un que j’avais du croiser dans les couloirs du Ministère, ou plus probablement au Bureau des Aurors. Il arrivait parfois que Seth et moi ne nous croisions pas, les allées et venues étaient fréquentes et nous étions parqués dans des box avec nos bureaux lorsque nous n’étions pas sur le terrain. Je me raclais la gorge avant d’opiner brièvement du chef. « Auror Lancaster. » La politesse aurait voulu que nous nous échangions une poignée de main mais au vu des conditions climatiques et des relations encore inexistantes que lui et moi partagions, j’en ais déduit que cette poignée de main n’était pas nécessaire. Etant donné que nous allions démarrer notre enquête sans s’être concerté au préalable, je préférais m’assurer que nous avions les mêmes renseignements sur l’enquête. Prudence est mère de sureté. A défaut de donner une mauvaise impression et une image de control freak, je sorti un calepin de la poche intérieur de mon manteau. Calepin sur lequel j’avais griffonné quelques éléments en rapport à l’enquête. « Bon. D’après les fichiers du Bureau, l’homme que nous allons voir est un moldu, James Coleman. 53 ans, antiquaire. Il aurait acquis deux objets ensorcelés au cour des deux dernières semaines. Une bougie qui « ne s’éteint jamais » et une maquette d’un avion modèle Spitfire qui « aurait de véritable cartouche » selon les dires de l’individu. » Je refermais le calepin avant de le remettre dans la poche intérieur de mon manteau. « Je n’ai pas d’autres informations mais pour le moment l’affaire semble être davantage du ressort service des détournements de l'artisanat moldu si vous voulez mon avis. » Je regardais Enoch en attente de son point de vue à propos de l'enquête et d'une confirmation des renseignements que j'avais à dispositions.
Envie de s'évader dans un vieux souvenir... ¤ Styx & Enoch ¤ Pensine ¤