Le bruit de vaisselle lui parvenait avant même le fumet délicat qui s’infiltrait sous sa porte. Même à cette distance, Leah arrivait à décortiquer les odeurs, les séparer, les classer, de manière à ce qu’elles ne forment plus un ensemble délicat et alléchant, mais tout un panel d’aliments qui l’attendraient autant de temps que nécessaire dans un salon vide de sens depuis qu’il ne résonnait plus que de ses propres pas. Elle sentait le thé, son préféré, le darjeeling, elle reconnaissait le parfum délicat de croissants juste chauds, comme elle les aimait, des œufs aussi, soit pochés, soit brouillés, il lui faudrait utiliser un autre sens pour en décider, il y avait l’odeur de café chaud aussi, des fois que l’envie lui prenne d’ingérer un peu de caféine, et puis les effluves de pain toasté, ni trop, ni pas assez, juste parfait, comme si le personnel de maison sortait tout droit d’un camp d’entrainement spécial visant à ce qu’ils mémorisent et exécutent à la perfection les plats affectionnés par leur prochaine affectation. Elle aimait cette idée. Elle aimait l’idée d’une Elisabeth rampant dans la boue tandis qu’un adjudant-chef hurlerait des noms de plats et qu’elle répondrait par la cuisson voulue pour chacun d’entre eux. Un travail de titan hier, lorsque la vaste demeure grouillait encore de monde. Cuisson optimale pour tous. Chacun son propre festin. Lysander, café, œufs, bacon, et un grand verre de lait. Maggie, un thé, une rondelle de citron, et deux toast nappés d’un peu de gelée de coing. Jeremey, café noir et croissants. Camille, céréales et jus d’oranges fraîchement pressées. Camille... Aujourd’hui il n’y avait plus qu’elle, ses seules envies à se rappeler et à contenter. Et ça faisait mal. Ça faisait mal parce qu’Elisabeth y mettait tant d’ardeur qu’elle lui rappelait continuellement à quel point elle se sentait inutile, à quel point s’occuper d’un seul petit déjeuner était une offense envers une femme de sa qualité, une grand-mère en puissance, une anglaise qui ne vivait que pour contenter la terre entière et plus, si possible. Et parfois, quand le fumet lui parvenait, lorsqu’elle était encore à la frontière entre rêve et réalité, Leah se prenait à tendre l’oreille pour guetter les bruits de jadis, le pas lourd des domestiques, les éclats de voix de l’amorce d’une dispute, la voix atroce de sa jumelle détruisant méthodiquement les chansons d’Edith Piaf. Tout, plutôt que ce silence assourdissant. Et dans son inconscience lucide, elle savait qu’elle rêvait, elle savait sans savoir qu’elle allait bientôt ressentir la douleur aiguë de la lame, luisante et tranchante, de la réalité qui s’abattrait sur sa gorge, créant un nœud qu’elle devrait ravaler, déglutir, avant de pouvoir ne serait-ce que mettre un pied hors de ses draps et amorcer une nouvelle journée, sans lui, sans eux, sans elle. Elle en avait conscience, et pourtant elle faisait durer ces brumes qui brouillaient sa perception des choses et des évènements, cette amnésie douce et addictive, elle l’entretenait comme un feu follet, soufflant sur la braise avec frénésie, refusant que la flamme ne s’éteigne, jusqu’à ce qu’elle ne disparaisse complètement, malgré l’énergie du désespoir qu’elle avait mise à garder ses paupières soudées entre elles et à ignorer le froid qui se répandait dans ses membres. Et lorsque le couperet tombait, elle suffoquait. Un peu moins qu’hier, toujours plus que demain. Est-ce qu’un jour elle pourrait se lever sans même y penser, sans ce sentiment de manque cuisant ? Est-ce qu’un jour sa douleur serait autre, simple sentiment de culpabilité face à l’oubli ? Avait-elle seulement envie d’oublier ?
Comme prévu, son petit-déjeuner était juste fumant lorsqu’elle daigna faire son apparition dans la salle à manger, malgré les longues minutes passées au lit à courir après le souvenir fugace d’un passé pas si lointain que ça, et malgré sa douche de trois heures, comme si elle mettait un point d’honneur à vider tout le ballon d’eau chaude comme c’était d’usage avant. Leah supposait qu’Elisabeth devait jeter au fur et à mesure les plats devenus froids à la poubelle pour en préparer d’autres bien chauds, et ce jusqu’à ce qu’elle accepte enfin de se montrer, juste pour qu’elle ait le plaisir de manger frais et chaud, sans avoir à attendre. Un luxe dont elle devrait se réjouir. Sûrement. Mais elle n’y parvenait pas. Quelle jouissance pouvait-il y avoir à s’installer seule à une immense table peuplée de chaises vides, à se faire servir la même chose chaque matin, qu’il pleuve, qu’il neige ou qu’il vente, et à manger avec le rythme mou de sa fourchette grinçant contre l’assiette pour seul accompagnement sonore ? C’étaient des œufs pochés qu’on glissa devant elle. Elle remercia Elisabeth d’un sourire qu’elle imaginait suffisamment convaincant vu qu’elle le lui rendit, authentique chez elle, puis la jeune femme reporta son attention sur la chaise vide qui lui faisait face. 8 ans. C’était beaucoup, mais pas encore assez. Est-ce que les choses seraient différentes aujourd’hui si un taré n’avait pas décidé de jouer les tueurs un beau soir d’été ? Sûrement. Ou peut-être pas. Finalement, ils n’étaient pas plus heureux à cette époque-là. Leur vie était déjà moche. Mais c’était « leur » vie, et pas seulement « sa » vie. Il paraissait que c’était normal d’idéaliser le passé lorsqu’on perdait un proche. De sublimer les bons souvenirs, d’oublier volontairement les mauvais. C’était normal. Tout était normal. Elle était normale selon ce psy à 200£ la séance. Normal aussi de devoir louer son utérus à un couple gay afin de pouvoir s’offrir cette séance. Normal. Oh, ce n’était pas un problème pour elle, une Wellington n’avait pas de problèmes d’argent. C’était comme ça, c’était un fait établi. D’ailleurs elle n’avait même pas besoin de travailler, ça ne faisait pas partie des priorités de sa famille. C’aurait été au fils – s’il y en avait eu un – qui aurait hérité de tout ça. Et elle, elle avait hérité de quoi ? De la liberté. Une liberté tellement vaste qu’elle perdait son sens de l’orientation et qu’elle tournait en rond jusqu’à ce que quelqu’un daigne lui confier une boussole. Il était où le sens de sa vie ? Pas dans son assiette, en tout cas, où s’entassaient ses œufs qu’elle avait rangés d’un seul et même côté pour créer une illusion de vide, comme si elle y avait touché. L’illusion. C’était ça son métier aujourd’hui, elle était passée maître dans l’art de l’illusion. Elle était la plus grande illusionniste de Londres. Parfois, elle arrivait même à se tromper elle-même.
Leah y parvenait assez souvent même, elle était assez douée pour ça. On se persuade que tout va bien, que notre vie est facile, belle, longue, et l’avenir radieux, et dans un sens on n’a pas spécialement tort, la vie est belle en soi, on n’est pas en train de crever de faim dans un pays de tiers-monde, ni mariée de force à l’âge de 12 ans, grand-mère avant ses 25 ans. Elle n’avait qu’à claquer des doigts pour obtenir ce qu’elle souhaitait, absolument tout ce qu’elle souhaitait, elle n’avait à me soucier de rien, on s’arrangeait pour qu’elle ait à en faire le moins possible, sans effort, tout était facile, à portée de main. C’était une vie simple, facile, sécurisée. Elle était jeune, belle, intelligente, on n’attendait rien d’elle, on ne misait pas sur elle, on la laissait libre. Elle aurait pu se distraire comme elle le souhaitait, fréquenter qui elle voulait, aller où elle voulait, vivre comme elle le voulait. Elle avait une famille aimante, des parents formidables, un agenda bien rempli, alors de quoi aurait-elle eu à se plaindre ? Rien. Elle avait été gâtée par la vie, elle lui avait tout offert, sauf le droit de s’en plaindre. Les gens n’avaient pas idée de ce qu’elle cachait en elle, de ce qu’elle protégeait en son sein, cette douleur sourde pas si enfouie que ça, habillement dissimulée sous un sourire et un rire communicatif. Ils n’en avaient rien à foutre, ils ne creusaient jamais. Et pourquoi faire ? Ils se contentaient de la surface, c’était tellement plus simple, et puis ça leur donnait l’impression de connaître l’autre dans un monde où on ne se connaît même pas soi-même. Elle était Leah, la blonde, la souriante, la pleine de vie, la jeune femme à l’humour corrosif, celle avec qui on était assuré de passer un bon moment. Et c’était très bien ainsi, c’était la facette qu’elle appréciait le plus aussi, celle qui lui permettait d’apprécier ce qu’elle avait, ce qu’elle n’avait pas, et ce qu’elle pourrait avoir. Mais quand il arrivait que son sourire se fissure et que son regard se fasse plus sombre, alors on ne comprenait pas. Leah la bondissante, triste ?! Impensable ! Ça ne pouvait et ne devait pas arriver dans leur joli petit monde des apparences. Et quoi, crétin ? Tu pensais qu’elle était née avec une atrophie du cœur qui l’empêchait de ressentir ce qu’un humain est en droit de ressentir ? Lorsque la musique se faisait plus profonde, que les lumières se tamisaient et les regards s’échappaient, c’était là, sournois et vicieux, ça s’insinuait en elle, glissant sous sa peau comme un serpent de glace, les idées noires l’assaillaient, et elle n’avait d’autre choix que de se laisser submerger. Son visage perdait de son éclat, son regard se vidait, elle observait les autres autour d’elle, leurs corps se mouvant au rythme d’une chanson insipide. Elle les voyait chanter, danser et rire. Elle enviait leur insouciance, leur candeur et la facilité avec laquelle ils abordaient cette vie. Elle oubliait que quelques instants plus tôt elle était eux, et que elle aussi elle chantait, elle dansait, elle riait. Elle oubliait qu’elle aussi elle avait sa part d’insouciance et de candeur. Elle oubliait tout. Elle s’oubliait, elle se perdait.Elle avait l’impression qu’en quelques secondes ils avaient eu le temps de dresser un mur infranchissable devant elle, une paroi de verre qui lui permettait de les voir mais jamais de les rejoindre. Comme le lapin d’Alice, elle se répétait qu’elle était en retard, en retard, toujours en retard. Personne ne l’attendait nulle part, et c’était sûrement ça le problème. Leah était seule. Dans cette vie, dans une autre, elle était seule. Elle avait toutes les cartes en main, et elle avait choisi de faire voler son jeu, juste pour le plaisir de les voir virevolter jusqu’au sol. Et maintenant elle n’avait plus le temps de les ramasser pour en choisir quelques unes. Les cartes ne l’avaient pas attendue, les bonnes cartes n’attendaient jamais. Alors elle fermait les yeux, et dans sa tête ils chantaient toujours, ils dansaient toujours, ils riaient toujours. Etait-ce pour la narguer ? Ca serait bientôt son anniversaire. Elle y pensait. Une année de plus. Une personne en moins. Elle n’avait que 29 ans. Qu’en serait-il lorsqu’elle en aurait 40 ? Elle avait l’impression que le monde se vidait autour d’elle, chacun devenant sérieux, adulte, époux, père... Et elle ? Elle, elle était restée figée dans le temps. « Quoi de nouveau dans ta vie, Leah ? » Toujours la même réponse : Rien. Jamais rien de nouveau. Elle n’évoluait pas, elle n’avançait pas, elle restait là et elle observait le train passer, en se disant qu’elle finirait bien par attraper un wagon, jusqu’à ce qu’il n’en reste plus aucun, et que le train ne soit plus qu’une tâche sombre dans le lointain. Finalement, elle ne servait à rien. Elle ne vivait pour rien. Elle n’était qu’un passé sans avenir. Elle se sentait vieille. Et puis, une main se tendait vers elle, une main qui avait franchi le mur de verre. « Danse Leah ! » L’ordre qu’elle attendait. Alors elle se levait, elle dansait, et elle oubliait qu’elle n’était qu’un passé pour se projeter dans un avenir immédiat. Elle n’avait pas pris le train, sûrement ne le prendrait-elle jamais. Mais en attendant, elle pouvait peut-être passer le temps avec le contrôleur.
Elle avait trouvé la parade. C’était assez simple en fait, d’une simplicité enfantine : ne jamais se laisser l’occasion de réfléchir. Elle comblait sa vie pour oublier à quel point elle était vide. Les gens pensaient souvent qu’elle souffrait d’hyperactivité, si seulement ils avaient su à quel point ils étaient éloignés de la vérité. Pourtant, dans les faits, ils n’avaient pas tout à fait tort, c’était vrai qu’elle était assez inépuisable, vivant sa vie à 100 à l’heure, sans jamais prendre le temps de s’arrêter pour observer la vue. Et prendre le risque d’apercevoir le train ? Jamais de la vie. Alors elle courait, elle courait jusqu’à ce que ses muscles lui crient d’arrêter, elle courait jusqu’à ce que sa respiration anarchique s'essouffle, et que son cœur menace de claquer. Elle courait pendant des heures, en pleine cambrousse. Contrairement à bon nombre de ses connaissances, elle ne voyait pas l’intérêt de s’épuiser sur un tapis de course avec pour seul paysage une baie vitrée donnant sur une avenue bruyante. Quand on avait la chance de vivre dans une ville qui avait fait de ses espaces verts son cheval de bataille, il aurait été vraiment stupide de ne pas en profiter. Parfois elle courait en pleine ville, c’était rare, mais elle aimait bien, ça lui donnait le sentiment d’être déplacée, anachronique et totalement vivante. C’était le cas aujourd’hui, son corps moulé dans une de ces tenues qui vous semble indispensable pour courir lorsque vous les apercevez dans les pages de Vogue, et que vous portez une fois, pour faire 500 mètres, cracher vos poumons crasseux de nicotine avant de la remiser au fond de votre placard et l’oublier pendant des mois, elle courait. Elle, c’était différent, elle avait fait de la course son défouloir, elle s’épuisait avant midi, et ce depuis des années. Griffée de la tête aux pieds, elle dépassait les bureaucrates en cravates, les familles en poussettes, elle faisait craquer les cous des bons pères de famille qui profitaient d’un moment d’inattention de leur chère et tendre pour suivre des yeux cette blonde au corps de danseuse qui courait comme si elle avait la mort aux trousses. Ce n’était pas la mort qu’elle avait aux trousses, c’était la vie. Et c’était bien plus flippant. Sa queue de cheval se balançait dans son dos au rythme de ses pieds foulant l’asphalte, les petits cheveux qui s’en étaient échappés se collaient à sa nuque perlée de sueur, ses joues rougissaient, sa gorge et ses poumons brûlaient à chaque respiration, ses muscles aussi. Et elle adorait ça. Elle se sentait vidée, elle puisait dans ses dernières forces pour combler les derniers mètres qui la séparaient de la maison. Sa vue se brouillait et se rétrécissait, elle ne voyait plus que cette ligne de bitume floue devant elle, sous son nez, un fil conducteur, juste ce dont elle avait besoin. 500 mètres, et elle tournait à gauche, docile et disciplinée, elle débouchait dans sa rue, celle qui l’avait vue grandir, puis fuir. Sa maison, celle de son enfance, la plus grande, la plus protégée aussi, s’imposait au milieu de toutes ces autres qui tentaient de rivaliser sans jamais y parvenir. Elle puisa la force nécessaire tout au fond d’elle, et les jambes en feu, elle poussa un sprint jusqu’à l’immense portail qui s’ouvrit devant elle, comme si on l’attendait depuis son départ, immobile devant l’écran de contrôle de la vidéo-surveillance, prêt à pousser le bouton sitôt qu’elle entrerait dans son angle de vue et qu’elle n’ait surtout pas à patienter pendant que le mastodonte en fer forgé grinçait sur ses gonds. Elle n’avait même pas besoin de s’arrêter, alors elle poursuivit sa course sur le gravier, elle dépassa une de ses voitures, et elle rejoignit Elisabeth qui venait de lui ouvrir la porte de la maison, un sourire aux lèvres. Ce ne fut qu’à cet instant, après avoir gravi les quelques marches menant jusqu’à elle, que Leah s’autorisa à s’arrêter, à reprendre son souffle, la tête entre les jambes, les mains sur les genoux, refoulant la nausée qui grimpait en elle comme à chaque fois. La vieille femme patientait, toujours aussi souriante, qu’elle eut retrouvé son souffle pour lui tendre un grand verre d’eau fraîche, sachant qu’elle aurait, comme à chaque fois, terminé sa bouteille depuis longtemps. Elle s’en empara, et le vida d’un trait sans profiter de ses bienfaits apaisants sur sa gorge irritée. Elle la remercia d’un sourire - sa marque de fabrique - avant de lui rendre le verre, et d’accepter l’enveloppe qu’elle lui tendait.
« Bonne course ? » lui demanda-t-elle comme chaque jour depuis plus d’une semaine. « Parfaite. » Leah répondit dans un sourire, comme chaque jour depuis plus d’une semaine. Elle se décala pour la laisser passer, puis trottina derrière elle, tandis que la jeune femme entreprenait de déchirer la belle enveloppe calligraphiée à son nom. La gouvernante s’arrêta au bas des marches, pas Leah, et elle gravit l’imposant escalier de marbre en tirant le carton de son précieux écrin. Elle savait déjà de quoi il s’agissait, une enveloppe de ce style, elle l’avait attendu avec une impatience grandissante depuis deux ans. Demain, demain serait le grand jour où elle rejoindrait Poudlard pour la seconde fois de sa vie. « Ca tombe bien, j’avais rien de prévu pour demain ! » Elle lança depuis la quinzième ou seizième marche. Ce fut le rire d’Elisabeth qui lui répondit. Toujours en bas des marches, appuyée sur le pilastre de la rampe, elle l’observait avec amusement. « Je ne sais pas comment vous faites, ni d’où vous vient toute cette énergie, mais j’en aurais bien besoin d’un peu si vous êtes d’humeur généreuse. » Ses reins craquèrent tandis qu’elle se penchait en arrière pour illustrer son propos avant de repartir en direction des cuisines. « « Toujours par monts et par vaux, cette gamine... » Marmonna-t-elle. « « Un vrai rayon de soleil... » Si seulement elle avait su ce qu’il en était réellement. Leah ébaucha un sourire. Elle était une éclipse. Une éclipse totale.
Se lever, s’habiller, sortir. Autant de rituels auxquels elle avait un peu de mal à se faire. La gueule en vrac, les cheveux déclarés zone sinistrée, Leah imaginait la tête du gentil petit domestique qui nettoyait ses étagères douze fois par jour s’il l’avait surprise dans cet état. Elle avait appris très jeune que l’attrait physique suscité chez autrui pouvait simplifier grandement les choses, et comme par un heureux hasard du destin elle était née avec les attributs physiques tant recherchés dans cette époque qui prétendait être sienne, elle n’avait presque rien à faire pour profiter de ce fait. Sauf que, retour de manivelle dans la gueule, on attendait d’elle qu’elle soit à tomber en permanence, parce qu’avec sa base de départ, c’était presque un crime lèse-majesté que de ne pas faire ce qu’il faut pour entretenir l’œuvre d’art de mère nature. Alors sous prétexte qu’elle n’avait pratiquement rien à faire, il faudrait qu’elle perde un temps précieux à le faire ? A en croire les quelques amants qu’elle avait eus, longtemps de cela, elle n’aurait jamais été aussi belle qu’une fois totalement dépouillée de ses fripes hors de prix, le souffle court et la peau perlée d’une fine couche de sueur. Mais quelque chose lui disait que les autorités professorales de Poudlard n’apprécieraient que modérément un attentat à la pudeur dans les couloirs de leur belle école, ce qui était assez ironique lorsqu’on connaissait la tendance des étudiants les plus âgés à batifoler aux quatre coins de l’établissement. La pièce qui lui servait de chambre était déjà baignée d’une lumière vive lorsque Leah posa un pied hésitant sur le parquet ciré avec un soin tout particulier, œuvre de son petit domestique personnel, celui-là même qui lui tournait autour comme un chien affamé en pensant qu’elle ne repérait pas son petit manège. Il était attendrissant, en fait, peut-être qu’un jour elle lui offrirait ce qu’il espérait tant afin qu’il cesse de la poser sur un piédestal et retombe rapidement du petit nuage où il s’imaginait qu’elle vivait avec mes copines les anges. Un jour… mais pas aujourd’hui, aujourd’hui elle avait d’autres projets. Transplaner à Pré-au-Lard, marcher jusqu’au château avec le vent printanier qui faisait claquer sa cape, surtout être à l’heure car il serait beaucoup trop inconvenant pour quiconque la connaissant de seulement l’imaginer être en retard. Si elle n’avait pas eu aussi peur des balais volants, elle aurait pu se rendre du village jusqu’à l’école par les airs, et c’eut été bien plus rapide, mais voilà, on ne contrôle pas ses peurs, et la jeune femme aurait préféré n’importe quoi plutôt que de monter sur un de ces objets magiques, qu’elle jugeait bien trop dangereux. Traverser le parc, pousser la lourde porte qui donnait sur le Grand Hall, laisser les souvenirs affluer dans sa mémoire, la griffer autant qu’ils la cajolaient. Penser à Charlotte, Maggie, et toutes les autres personnes qui comptaient, garder courage grâce à elle, penser à ceux qu’elle allait revoir, des amis comme des gens qui n’avaient aucune importance. Les yeux pétillants d’un sourire qu’elle tacha de lui rendre furent l’accueil du directeur, qui la mena prestement jusqu’à la salle des Professeurs afin de lui présenter ses nouveaux collègues. Ils croisèrent peu d’élèves, et elle se douta qu’en cette période de vacances et d’examens à venir, la plupart était soit retourné dans les jupons maternels, soit en train de réviser dans un endroit tranquille, comme la bibliothèque.
Couleurs, chaleur; chaleur, couleurs. Il semblait à Leah qu’elle n’était plus rien d’autre que ses sens, plus qu’un corps et ses terminaisons nerveuses innombrables et électriques. Ses récepteurs sensoriels vibraient, débordaient; fourmillant de mille informations foisonnantes, changeantes et concentrées sur deux concepts simples et pourtant complexes: couleurs, chaleur. Couleurs, chaleur. Couleurs miroitantes et moirées, tourbillonnantes et animées d’un continuel mouvement disparate, insensé, sans but ni fin. Constante évolution dans les formes et les coloris bariolés; trajectoires insensées; étrange remous qui était pour Leah - si tant est qu’on puisse appeler Leah cet être fait de sensations brutes - une chose à la fois dangereuse et source de vie. Et chaleur. Chaleur qui découlait, lui semblait-il, de ce mouvement perpétuel et incessant. Chaleur relative et anormale, cependant, car, sans être extrême, elle ne s’accompagnait de nul sentiment de bien-être. Peut-être d’ailleurs n’était-ce que qu’une aigre tiédeur, ou même une simple moiteur, qui imprégnait chaque pore et chaque cellule de Leah, la baignant dans une aura molle et silencieuse. Couleurs, chaleur. Longtemps il n’y eût rien d’autre que ces perceptions, impressions fugaces et impalpables. Puis les contours des choses se précisèrent. Des bruits se firent entendre peu à peu; d’abord un bourdonnement désagréable et sourd, puis un brouhaha animé et de plus en plus clair. Des mots jaillirent de temps à autre, prononcés dans sa langue natale que Leah ne reconnaissait cependant pas, recouvrirent le bruit les conversations qui ne se devinaient alors, légères, qu’à travers une rumeur ou un murmure. Leah, qui commençait lentement à prendre conscience de son être et de son propre esprit, observait la scène sans se demander même où elle se trouvait. Elle contemplait, comme on regarde un film absorbant devant lequel on oublie son propre nom, la salle, illuminée par de douces chandelles. Elle ne prit conscience de sa personne que lorsqu’elle commença à analyser le spectacle, involontairement et d’un œil d’experte en dissimulation. Aussitôt qu’elle réalisa qui elle était et avant même que l’inévitable question (« Mais qu’est-ce que je fais là? ») ne puisse se poser, ce souvenir d’elle-même s’estompa soudainement et sans crier gare pour laisser place à quelqu’un d’autre, à une personnalité qui n’était plus tellement la sienne et pourtant fondamentalement semblable. Le temps d’un soupir plus tard, elle était une autre personne - autre passé, autre identité, autre histoire. Mue par un sentiment de malaise inexplicable et par une énergie invisible, elle s’extirpa alors du coin sombre de la pièce, duquel, plaquée dos-à-dos contre le mur, elle observait le discours. Ses hésitations n’étaient plus les mêmes: au lieu de s’interroger sur sa présence dans le château, elle était dans son univers mais semblait en revanche déchirée par un dilemme complètement autre et insurmontable. Elle se tordait les mains. Elle ne sentait pas ses ongles lacérer sa paume. Elle paraissait folle; peut-être l’était-elle. Son regard avait l’air d’être brouillé, vague, perdu dans l’horizon; pourtant ce n’était qu’une apparence, et si ses yeux verts incertains ne s’arrêtaient sur aucun point fixe, c’était parce qu’elle cherchait quelque chose. Ou plutôt quelqu’un. Un homme. Lysander. Son regard le cherchait mais ne le trouvait pas - ce fut son cœur qui le sentit. Sans qu’elle ne le voie, son instinct lui parlait aussi clairement qu’une voix; elle savait que Lysander était présent et qu’elle se rapprochait de lui, savait que le svelte brun se trouvait là, tout près. Leah sentait le danger comme on sent venir l’orage, une doucereuse lourdeur pesant sur l’air et le comprimant dans les feuillages. Elle l’aperçut soudain, assis au fond de la salle, à écouter distraitement le discours du professeur Dumbledore. Leurs regards se croisèrent. Elle lut le même effroi dans les yeux de son ancien amant qu’elle savait se trouver dans ses propres prunelles. Et pourtant elle ne fit aucun mouvement vers lui. Tel un animal qui se serait trouvé en travers de la route, alors qu’une voiture s’approchait dangereusement vite et s’apprêtait à le percuter, elle attendait une quasi mise à mort.
AVENGEDINCHAINS
Dernière édition par Leah G. Wellington le Mar 2 Fév - 17:43, édité 1 fois
❝Do you want me crawling back at you❞ Leah & Lysander
Tu sais ce que c’est, toi, l’amour ? L’amour. Le vrai. La rencontre par hasard au coin de la rue, le premier regard, le coup de foudre immédiat. Vient ensuite la passion brûlante, haletante, vivre à la vitesse de la lumière, vivre, aimer, exister. Mais inévitablement, le conflit vient détruire cette belle idylle. Les disputes, les cris, les déchirements, les portes qui claquent, les larmes qui s’écrasent sur le sol. La séparation, dure, brutale, violente. Le manque. Le manque d’elle, le manque d’amour, l’impression de ne plus jamais pouvoir être heureux. Et le lendemain, on croise cette belle inconnue au comptoir du bar d’à côté. Et tout recommence. Jusqu’à tomber sur la bonne, enfin, c’est ce que l’on croit, le temps de se marier, de faire trois gamins, d’acheter une maison avec une belle cheminée, un chat et un hibou. C’est ce que l’on croit jusqu’à ce que tout s’effondre de nouveau. Mais ce n’est pas ça, l’amour. Ça n’a rien à voir avec ces histoires qu’on nous raconte, ça n’a rien à voir avec une belle robe de princesse, une chaussure que l’on perd à minuit ou une citrouille transformée en carrosse. Il ne s’agit pas de se dire que l’histoire est terminée lorsque l’un des deux ose croire qu’il désire la séparation. L’amour ne s’éteint pas suite à une déclaration, une lettre d’adieu ou même un départ brutal, l’amour ne meurt pas parce qu’on l’a décidé, l’amour, ça ne se contrôle pas, jamais. L’amour, c’est ne jamais cesser d’y croire. Jamais. L’amour, c’est avoir envie de voir cette personne alors même que tu la hais de toutes tes forces. Oh oui, tu la hais. Tu n’as jamais autant haï de ta vie, au point de vouloir hurler à la mort quand tu l’imagines avec un autre, au point d’être victime de crises d’angoisse lorsqu’elle ne donne plus signe de vie, au point de vouloir t’arracher le cœur pour ne plus jamais rien ressentir. Tu la hais tellement que tu aurais préféré ne jamais l’avoir rencontrée. Et pourtant, chaque nuit, c’est d’elle dont tu rêves. Et pourtant, même lorsqu’elle te fait pleurer, tu as toujours envie de l’embrasser. Même lorsqu’elle t’a mis à terre, lorsqu’elle t’a bien fait mal comme il le faut, même lorsqu’il ne reste plus rien de toi après qu’elle t’a foutu la raclée de ta vie, ce n’est que contre elle que tu es capable de t’endormir.
Lysander avait cessé de croire en l’amour. Il avait court-circuité en plein vol tous ses rêves et ses espoirs, il avait tenté de supprimer tout sentiment en lui, comme pour se protéger, ne plus se rendre vulnérable. L’amour n’était pour lui qu’un tas de sottises depuis qu’elle était partie. Disparue. Envolée. Du jour au lendemain. Pas un mot. Elle était juste partie, et l’avait laissé là, avec son cœur en lambeaux au creux de ses mains. Il avait essayé d’y croire encore un peu par pur instinct de survie. Elle va revenir aujourd’hui. Elle va revenir. Ce soir, elle est dans mes bras. Et tout ça ne sera qu’un mauvais souvenir. Les jours passent. Les semaines. Les mois. Les années. Lysander avait eu comme le sentiment de s’être fait arracher le cœur et d’avoir nourri le désespoir avec. Et jamais, au grand jamais, il ne voulait revivre ça. Il avait fermé les vannes, s’était relevé et avait décidé d’affronter la vie ainsi, loin de ces conneries d’amour.
Cependant, elle venait toujours hanter ses nuits. Lysander s’était pourtant essayé à l’occlumancie, mais sans grand succès la concernant. Elle était toujours là, la nuit, son visage aussi net que s’ils s’étaient quittés la veille, la voix aussi claire que si elle lui parlait à l’oreille. Elle était là, et il ne pouvait se défaire de ce fantôme. Ce matin-là, le jeune professeur toucha à peine à son petit-déjeuner. Il avait rêvé d’elle, de façon encore plus intense que d’habitude. Il avait senti sa présence, là, tout près. Son cœur battait tellement fort qu’il s’était réveillé en sursaut.
- Tu ne te sens pas bien ? lui demanda un de ses collègues prenant place à ses côtés. Tu as vraiment mauvaise mine. - Mauvaise nuit, grommela-t-il. J’ai la nausée. - Force-toi à manger, ça ira mieux après.
Lysander répondit par un grognement et abandonna définitivement l’idée d’absorber quelque chose de solide. Il parvint à peine à avaler une gorgée de café. Furieux contre lui-même d’être aussi affecté par un stupide rêve, il quitta la Grande Salle et se dirigea vers la salle des professeurs. Dumbledore avait annoncé une réunion à laquelle tout le corps enseignant devait assister, Lysander y serait en avance mais il ne supportait plus l’odeur matinale de nourriture. Il se posa à peine la question de savoir le but de cette réunion. Sûrement encore une bricole à propos de danger qui rôde, de sécurité, de blabla du genre. Au moins, cela ne lui demanderait pas trop d’effort intellectuel. Sur le chemin, il songea à aller voir Ebony, la jeune infirmière, afin qu’elle ne lui donne une sorte de remontant. Il détestait se sentir dans cet état-là, il haïssait plus que tout l’idée d’être affaibli – encore plus lorsque la cause de ce mal être n’était rien d’autre qu’une ribambelle de sentiments à la con. Il n’avait qu’une hâte, que cette journée se termine. Demain, tout irait mieux.
Assis au fond de la salle, Lysander entendait vaguement la voix du professeur Dumbledore, mais il n’écoutait pas les mots. Il avait plus que jamais envie de vomir, cette boule au ventre le tordait de douleur, et il ne comprenait pas pourquoi. Les images de son rêve lui revenaient en tête, mais ça ne pouvait pas être ça, on ne se tord pas de douleur en plein jour à cause d’un cauchemar. Mais il faisait tout pour garder son calme, malgré le très mauvais pressentiment qui l’envahissait depuis la seconde où il avait ouvert les yeux. Quelque chose n’allait pas. Il le sentait jusque dans ses tripes. Des Mangemorts allaient-ils débarquer de nulle part et lancer une attaque surprise ? Le château allait-il exploser ? Qu’est-ce qui n’allait pas, bon sang ?!
Croyant devenir fou, Lysander regarda autour de lui pour retrouver son calme. Et tout s’effondra.
La sensation de tomber. La chute libre à l’intérieur de moi, sans jamais heurter le fond. Tomber. Happé par le désespoir, violemment propulsé dans le vide, pas le temps de se rattraper.
Un regard, une seconde. Et tout lui revint en pleine face.
Le manque de toi. Toujours. Tu me manques à l’instant où tu détournes les yeux, où tu franchis la porte, où tes mains se détachent de moi, tu me manques à l’instant où je ne suis plus contre toi, où tu te glisses hors des draps, à l’instant où tu allumes la lumière. Tu me manques en permanence, comme le sang dans mes veines, comme l’air dans mes poumons, comme les battements de mon cœur. Tu me manques en permanence, ça ne s’arrête jamais, j’en deviens fou, il n’y a plus qu’un trou béant à la place de mon cœur mais je ne sais pas comment faire pour le combler, je ne sais pas ce qu’il faut que je fasse pour cesser l’agonie, pour arrêter de ressentir toutes ces choses, pour que ça devienne moins violent et que ça arrête de me faire chuter. Je sais pas quoi faire pour me défaire de toi, t’es en moi, t’es dans ma peau, dans mon cœur, tu t’en vas jamais et c’est l’apocalypse à l’intérieur de moi, tu sais, chaque mot, chaque regard, chaque geste est une bombe en moi que tu fais exploser. Tu fais toujours tout exploser. Regarde, regarde mon cœur et mes tripes en lambeaux, regarde ce que t’as fait de moi, des petits bouts de rien, des morceaux d’amour et d’espoir réduits au néant.
Lysander refusait d’y croire. Et pourtant, c’était bien elle, Leah, juste là, à quelques mètres de lui, c’étaient bien les mêmes grands yeux qui l’observaient.
Fuir. Il fallait fuir. Instinct de survie. Foutre le camp. Lysander bondit de sa chaise et sortit précipitamment de la salle sans se préoccuper des dizaines de regards interrogateurs rivés sur lui. Une fois dans le couloir, il se mit à courir à toute vitesse, il détalait tel un lapin fuyant le prédateur, il courait comme si sa vie en dépendait. Il atteint son bureau en un temps record, se glissa à l’intérieur et referma violemment la porte en tentant d’ignorer les bruits de pas qui le poursuivaient. Ses bruits de pas. Comme dans son rêve, comme des années en arrière, les souvenirs aussi clairs et vifs que s’ils s’étaient quittés la veille. Oui mais c’était bien là le problème. Ils ne s’étaient pas simplement quittés la veille.
Adossé à la porte d’entrée, Lysander ferma les yeux et lutta de toutes ses forces contre l’envie de vomir et de hurler en même temps. Il allait se réveiller d’un instant à l’autre. Ce n’était pas possible. Ce n’était pas réel.
Je ne saurais trop vous dire comment les choses se sont passées. Ni de quelle manière je l'ai rencontré. Je crois que je me suis simplement retournée, et il était là. Si je l'avais rencontré ailleurs, à un autre moment, dans d'autres circonstances ; je n'y aurais peut-être pas prêté attention. Sûrement pas. Un jeune homme d'environ mon âge qui se serait noyé dans la foule de tous ces gens que je croisais chaque jour. Ignoré avant d'être connu. Pris pour l'inconnu qu'il ne serait jamais plus à mes yeux. En quelques mots, quelques gestes, il avait su brisé ce miroir de brume dans lequel je vivais. Alors je lui avais fait face. Et je l'avais vu. Non pas de la manière dont je voyais le monde autour de moi. Mais tel qu'il était véritablement. Non plus comme un gamin perdu, mais comme un homme à la recherche de quelque chose. Ce quelque chose que je ne comprenais pas, que j'ignorais. Ce fut peut-être ses paroles étranges qui captèrent mon attention ; ou bien la lueur que je voyais briller dans ses yeux. Son simple « je n'en sais rien », totalement désemparé et honnête ; ou qu'il m'eut tourné le dos comme jamais personne ne l'avait fait. Au fond, moi non plus je n'en savais rien. Je me rappelle m'être simplement approchée de lui, et d'avoir saisi sa main comme je l'aurais fait d'une simple valise. Sans arrière-pensée, ni réelle intention. Dans le seul but de m'accaparer de ce joyau qui scintillait dans la nuit. Mais le problème, c'est que lorsqu'on trimballe partout sa valise avec soi, on en vient à ne plus vouloir s'en séparer. On la remplit de souvenirs, de choses personnelles, de choses indispensables. Elle devient indispensable. Alors on ne veut plus la perdre, on en vient à en prendre soin. Et finalement... A l'aimer. Lysander, c'était tout ça et bien plus que je ne saurais le dire.
Elle n’avait même pas réfléchi. Appelez cela instinct de survie ou synchronisation des âmes sœurs, comme vous le souhaitez, mais aussitôt que Lysander avait passé la porte, elle avait compris – non, elle avait senti – qu’il allait chercher à fuir. Elle avait ôté ses chaussures à talons, les avait confiées à Ezra – le plus proche de la porte – et, sans un mot pour ses nouveaux collègues hébétés de cette scène insolite, elle s’était élancée à la suite du professeur. Elle ne savait même pas pourquoi elle le poursuivait, et ce qu’elle ferait si elle le rattrapait. C’était purement instinctif. Si elle ne saisissait pas cette chance, elle avait le sentiment que jamais plus l’occasion ne se représenterait. Alors elle courait, comme si sa vie en dépendait. Parce que, d’une certaine manière, sa vie en dépendait. Bien sûr, personne n’aurait pu un jour imaginer Leah Wellington, pieds nus, en train de courir à travers les couloirs de Poudlard. Elle savait trop bien ce qu’on ressentait lorsque l’on fuyait. Elle entendit le claquement de la porte, se retrouva nez à nez avec une plaquette indiquant à quel professeur appartenait le bureau. Elle n’était même pas essoufflée, et ses cheveux légèrement échappés de son chignon quasi parfait étaient les seuls témoins de sa course. Mais cette porte… cette porte réveillait des souvenirs qu’elle aurait préféré garder enfouis au plus profond de son âme.
-- Flashback --
Qui aurait dit qu’elle redouterait un jour de pousser cette porte ? Qu’elle n’aurait pas envie de rentrer « chez eux » ? Qui aurait parié que Leah Wellington aurait peur de ne pas être à la hauteur ? Elle doutait d’elle-même, d’être capable de le faire, de lui dire. Elle se savait incapable de lui faire du mal, mais pourtant par son attitude, son « état » actuel, elle le blessait déjà, cela faisait partie des dommages collatéraux qu’occasionnait un projet de vengeance, on finissait toujours par faire du mal aux autres. Mais elle savait que ce soir elle lui ferait plus mal que jamais. Elle le savait, elle savait ce qu’elle avait à faire, elle le savait mais n’arrivait pas à s’y résigner. Pourtant, c’était ce qu’il y avait à faire, la meilleure chose pour lui, pour elle, pour eux, pour tous ceux que cette histoire impliquait. Il le fallait.
Elle replaça nerveusement une mèche de cheveux derrière son oreille alors qu’elle posait le pied sur la marche qui menait au hall d’entrée de leur immeuble. Ce matin elle avait clôturé les derniers détails pour la réservation de son vol aux Etats-Unis, et c’est le cœur lourd de son projet qu’elle poussa la porte de l’immeuble après l’avoir déverrouillée avec sa clé. Ses jambes semblaient peser des tonnes, tout comme son corps, était-il possible qu’en se nourrissant trop aléatoirement ces derniers mois son corps ait décidé de le lui faire payer ou bien était-ce le poids de la culpabilité qui l’entraînait ainsi en arrière ? Lorsqu’elle arriva sur le palier elle réajusta sa veste, un nouveau signe de sa nervosité, chercha ses clés dans son sac et les inséra dans la serrure, mais la porte d’entrée n’était pas verrouillée. Elle savait qu’il attendait. Dès qu’elle s’absentait sans lui dire où elle allait, il s’inquiétait. Il avait peur de ce qu’il se passait dans sa tête. Elle poussa la porte d’entrée et entra, refermant la porte derrière elle. Elle prit une longue inspiration, aperçut son air hagard dans le miroir, ce qui n’était pas étonnant au vu du peu de sommeil qu’elle avait emmagasiné ces derniers temps, puis traversa le couloir menant au salon tandis que les battements de son cœur s’accéléraient. L’instant de vérité était en train d’arriver à grand pas.
Elle devait le faire.
C’était mieux ainsi.
Pour tout le monde.
Quelle heure était-il ? Quatorze heures ? Seize heures ? Elle n’aurait su le dire, elle avait perdu le décompte des heures, des minutes depuis des mois déjà.
Elle se devait de le faire n’est-ce pas ? C’était ce qu’il y avait de mieux pour eux. Pour lui. Elle jetterait un sort d’oubli à Lysander, ferait disparaître toute trace de son existence dans l’appartement. Il fallait juste qu’elle trouve en elle le courage nécessaire à son acte.
Intérieurement elle poussa un soupir triste, mélancolique, combien de personnes allait-elle blesser en agissant ainsi ? Beaucoup, ses proches qui seraient abattus, les proches de Lysander qui le verrait oublier la femme qu’il aimait, sa propre meilleure amie qui ne supporterait pas de la voir ainsi, disparue, effacée de la surface terrestre… Beaucoup de gens allaient souffrir de ce qu’elle s’apprêtait à faire. Mais celui qui comptait le plus, celui qui allait le plus souffrir, celui qu’elle avait toujours désiré protéger du mal qu’elle faisait à ceux qu’elle aimait, dardait sur elle un regard inquiet, angoissé. Il se leva, quittant la pièce lorsque la porte claqua derrière elle, allant se réfugier dans la chambre qui était la leur. Il aurait été si simple de le laisser s’en aller et de revenir en arrière, mais elle ne le pouvait pas. Aussi après s’être débarrassée de sa veste elle le suivit dans la chambre.
Tout avait été si vite ! Elle ne s'était pas attendue à cela. Elle savait comment cette rencontre allait se terminer, bien sûr, ou du moins, se rappelait-elle ce qu’elle s’était promis de faire, mais elle n'avait pas imaginé une fraction de seconde que le désir se ferait si fort, si incontrôlable, qu'ils se retrouveraient tout les deux dans l'incapacité d'aller plus loin sans... aller plus loin... Elle n'était pas une novice en la matière, et d'ordinaire, elle contrôlait mieux les pulsions que lui. Son plan était inchangé, elle pensait toujours à l’ensorceler. Un plan parfait, bien rodé, mais rien ne semblait se dérouler comme elle l'entendait, avec Lysander. Il avait l'art de rendre impuissantes toutes ses meilleures stratégies, la poussant au-delà de ses retranchements. Dans un premier temps, elle avait même pensé que c'était ça qui l'attirait chez lui, cette façon qu'il avait de lui résister, et de développer en elle des réactions insoupçonnées. Mais il fallait se rendre à l'évidence, c'était bien au-delà de cela, il avait un pouvoir sur elle, qu'elle ne s'expliquait pas. Et le mal était fait, le jeune homme avait ébranlé les résolutions qu'elle avait mis tant de temps à prendre, et chaque nouveau baiser fissurait un peu plus l'édifice de sa volonté. Pourtant elle s'efforçait de ne rien montrer, de rester celle qu'elle avait toujours été, sauvage, dominatrice, et insoumise, mais le masque vacillait bien trop souvent à son goût, laissant transparaitre ses émotions, son ressenti, son abandon pendant de trop longues minutes. Instants pendant lesquels, il avait l'avantage.
Il lui fallait alors redoubler de courage afin de reprendre les commandes, et de se donner l'illusion de ne pas bafouer toutes les règles. Car des règles, elle s’en était bien évidemment fixée. Avait-elle perdu la raison ? Ne se rendait-elle pas compte d'où elle mettait les pieds ? Si, elle le savait, mais elle ne pouvait lutter contre cette attraction surnaturelle qui envoyait valser toutes ses bonnes résolutions sur son passage. Elle le voulait lui, et qu’importent les répercussions de ses actes dénoués de sens.
Pour être tout à fait honnête, elle n'avait cessé de penser à lui. Evidemment, elle ne pensait pas à lui de la même façon qu'une midinette amourachée, mais de la façon d'une femme qui venait de connaitre le grand frisson, et qui ne se l'expliquait pas encore. C'était tout cela qui avait occupé ses pensées quand elle s'autorisait à penser. Pourtant elle refusait tout cela en bloc, s'obligeant à mettre des mots dessus, afin de mieux pouvoir les éjecter de sa vie et reprendre ses décisions, bonnes ou mauvaises. Seulement quand elle l'avait vu, elle n'avait pu se retenir. Et, comme une débutante, elle replongeait... pour le meilleur et pour le pire.
Pourtant, elle ne lui montrait rien, ou du moins pas plus que ce qu'elle ne parvenait à retenir. Il la faisait 'danser', et malgré la frustration que cela engendrait en elle, elle se laissait faire. Il lui offrit l'opportunité de rebondir, en lui demandant si elle pensait être à la hauteur. Oui, dans un sens elle l'était. De là à dire qu'elle méritait tout ce qu'il lui promettait, non, mais en bonne petite fille gâtée, elle était habituée à recevoir plus que ce qu'elle n'offrait. Et son partenaire lui offrait énormément, peut être n'en avait-il même pas conscience. Elle donnait aussi, sans compter, jamais elle n'avait autant offert d'elle-même, bien qu'elle soit loin de l'admettre. Elle était négligente, et se laissait trop emporter, contrôlant à peine ses gestes, refreinant trop peu ses ardeurs, le provoquant par ses dires, tout en se contredisant des ses baisers. Il voulait passer aux choses sérieuses, et tentait, par un habile subterfuge, de lui demander son avis. Son avis était le même que le sien, comment aurait-il pu en être autrement, mais elle devait se ressaisir, et suivre le schéma tracé d'avance. Elle allait ouvrir cette porte, elle allait effacer sa mémoire puis l’endormir, et pour finir elle partirait et disparaîtrait de sa vie. Malgré cela, et bien qu’elle y ait mis la meilleure volonté du monde, elle ne résista pas à l'envie de jouer un peu avec ses nerfs, frôlant son anatomie avec nonchalance, lui démontrant qu'elle était en position de force, tout en sachant intérieurement que ce n'était que poudre aux yeux. En jouant avec ses nerfs, elle jouait avec les siens, elle se frustrait, se torturait. S'autoriser à être si proche sans réellement avoir la possibilité de l'être encore plus était de l'ordre de la démence. Son corps, brûlant, en devenait fébrile, ses doigts tremblaient de désirs, sa respiration devenait incohérente, comme son esprit, elle était comme malade, et il était sa maladie. Les baisers qu'il lui rendait étaient d'une fougue sans précédent, il était presque aussi sauvage et animal qu'elle pouvait l'être en de rares occasions. Il lui montrait une partie de lui, qu'elle n'avait fait qu'effleurer les fois précédentes. Elle le découvrait un peu plus, alors que la passion avait semblé monter d'un cran par rapport à leurs précédentes expériences communes. Il lui fallait partir vite, avant qu'il ne soit trop tard. Mais la porte, refusant de s'ouvrir, semblait souhaiter le contraire. Laissant sa frustration prendre le pas sur sa raison, elle l'ouvrit violemment, avant de retomber dans ses bras, au propre comme au figuré.
La voie était libre maintenant, et elle aurait pu, elle aurait dû s'y engager. Mais elle en était tout simplement incapable. Ses bras étaient trop tentant, y rester, trop grisant, elle ne pouvait se faire à l'idée d'être privée de son contact. Elle ne pouvait plus bouger de cette chambre, théâtre d'une énième séduction. La prochaine fois, elle l'embarquait directement, sans même prendre le temps de tenter une chasse. La prochaine fois ? Elle se surprenait à l'envisager, alors qu'elle savait ne pas pouvoir se l'autoriser. Elle s'était finalement brûlée les ailes, mais ne semblait pas en souffrir... pour le moment... Elle se retourna, lui faisant face. Si elle avait encore eu un tant soit peu l'intention de se montrer raisonnable, tout cela venait de s'envoler, à la simple mais néanmoins irrésistible croisée de son regard. Elle n'avait plus aucune volonté, à part peut être celle de le toucher toujours un peu plus. Et sous le feu de son regard, sous le joug de son souffle chaud, et saccadé, qu'elle sentait contre son visage, elle s'employa a déboutonner lentement sa chemise, couvrant de baisers cette peau qui était sienne à présent. "Que fais-tu, petite sotte ?", lui hurlait son cerveau. « Emmène-moi là haut... » Répondaient ses lèvres. Elle-même fut surprise par son timbre chaud, et la puissance de ses mots, mais aussi par le ton presque plaintif de sa voix, alors qu'une nouvelle fois, elle en montrait trop d'elle-même. Elle savait qu'il avait noté cette faiblesse dans sa voix, comment aurait-il pu passer outre ? En bon observateur, il allait forcément noter que quelque chose différait des autres fois, et afin d'éviter cela, elle coupa court à toute tentative en capturant ses lèvres. L'empêcher de parler était le meilleur moyen d'oublier cette faiblesse dont elle faisait preuve, mais aussi de combler sa frustration. Cet homme était dangereux, très dangereux ! Pour elle, comme pour sa santé mentale. Et le baiser qu'elle lui offrait était bien trop franc, pour celle qui avait l'intention de lui cacher le trouble qui ravageait tout en elle.
Il la fit alors reculer, et, petite poupée de chiffon, sans volonté autre que ses baisers, elle se laissa faire, jusqu'à sentir la porte dans son dos. Ainsi l'avait-il refermée ? Après tout le mal qu'elle s'était donnée pour l'ouvrir, elle aurait dû se sentir ne serait-ce qu'un tout petit peu contrariée, mais au contraire, elle se surprenait à espérer qu'elle ne s'ouvre plus jamais, qu'elle reste bloquée ad vitam aeternam ! Quand il la saisit par la taille, elle se laissa faire, une fois de plus, enroulant ses jambes autour de sa taille, dès qu'il lui en fournit l'occasion, glissant ses mains sous sa chemise, les glissant jusqu'au col, pour dégager toujours un peu plus de peau offerte... L'odeur qui s'en dégageait était proprement enivrante, et ses lèvres n'avaient de cesse que de vouloir ajouter le goût en plus de l'odorat. Mais ce fut son ouïe qui fut sollicitée, alors qu'il lui demandait, tout en jouant avec le lobe de son oreille, si elle était sûre de vouloir faire ça maintenant... Sa voix était comme emportée par de violentes secousses, alors que sa respiration témoignait de son état d'excitation. Quand bien même aurait-elle répondu qu'elle souhaitait attendre, il n'aurait pas été apte à attendre jusque là...
« A moins que tu ne t'en sentes pas capa... » Lança-t-elle avec cette pointe de provocation dans la voix, avant d'être coupée nette par la suite de sa phrase, au timbre plus chaud, plus bas, plus faible.
« J'ai envie de toi, comme jamais je n'ai eu envie de quiconque »
Son cœur eut un raté, elle oublia de respirer, et un silence, uniquement rompu par leurs respirations haletantes, s'installa. Le même silence immobile, impassible, comme arrêté dans le temps, qui précédait toujours un violent orage. Figée, elle n'osa battre des paupières, réfléchissant aux mots employés, comme au ton, mais aussi à l'écho que cette simple phrase trouvait en elle. Elle se devait d'être satisfaite, et elle l'était, mais au-delà de ça, elle était... heureuse ? Etait-ce possible que cette simple phrase, qu'elle avait pourtant déjà entendue, puisse lui provoquer une si vive émotion ? Elle eut envie de fuir. Pas à cause de lui, mais à cause d'elle. Ses mots à lui pouvaient être pensés sous le feu de l'excitation, et vite être oublié sitôt l'instant achevé, mais les effets qu'ils avaient produits sur elle et en elle, lui firent peur. Et si ça ne s'envolait pas ? Et si ça restait, comme ancré indélébilement à la surface de sa peau, même après qu'elle aurait disparu ? Elle ne devait pas prendre le risque ! Elle ne pouvait pas se l'offrir, elle avait trop peur d'elle-même, et de ses réactions qu'elle n'imaginait même plus pensables. Elle voulut redescendre de ses bras, elle amorça même le geste, presque imperceptiblement. Mais, certainement alerté par la catatonie dans laquelle elle se trouvait depuis de trop longues secondes, il ramena son regard fiévreux jusqu'au sien. En une seconde elle oublia toutes ses craintes, toutes ses appréhensions, toutes ses pseudos décisions. Elles n'avaient pas lieu d'être en cet instant, pas entre eux. Et elle posa ses lèvres sur les siennes, doucement, bien trop tendrement, comme pour effacer la douleur qui suivrait. Mais cela pouvait s'apparenter à une nouvelle tentative de frustration de sa part, il pouvait n'y voir que du feu. Cela dit, était-il aveugle à ce point ? Le baiser n'en fut pas un, ou alors valable dans la catégorie 'cours de récréation', mais ses mains virent encadrer son visage, glissant jusqu'à ses cheveux, repoussant en arrière quelques mèches qui tentaient une percée, alors que son regard sondait le sien. Elle y cherchait quoi ? Quelque chose qui la pousserait à rebrousser chemin, à reprendre ses esprits, et à fuir au loin, mais ce ne fut que pure perte, elle n'y décela rien d'autre que du désir, et ce désir là, elle le partageait avec lui.
« Alors fais-moi l'amour comme tu ne l'as jamais fait à quiconque... » Glissa-t-elle en se rapprochant de ses lèvres, afin de les capturer de nouveau dans un baiser furtif mais dont la séparation traîna en longueur... « Et ne dis plus jamais des choses pareilles, si tu ne les penses pas vraiment. Tu n'as pas besoin de ça pour m'avoir. » Ajouta-t-elle sans réellement s’en rendre compte.
Il s'agissait plus d'une réflexion pour elle-même, qu'un fait dont elle souhaitait lui faire part. Elle se demandait s'il ne s'agissait pas d'une phrase répétée mainte fois pour enjôler sa proie, pour la mettre en confiance. Il n'avait pas besoin d'user de cela avec elle, elle lui était déjà complètement acquise. Mais, elle aurait préféré qu'il ignore ce fait, et se retrouva surprise d'avoir parlé à haute voix. Se mordant la lèvre inférieure, quand elle comprit son erreur, elle colla son front contre le sien, fermant les yeux un instant, comme pour fuir son regard.
« Empêche-moi de parler... » L'implora-t-elle. « Je t'en prie... »
S'il avait rendu les armes, elle, elle signait carrément l'armistice ! Elle se sentait comme à nue devant lui. Elle avait trop parlé, elle en avait trop dit, et il fallait qu'il accapare ses lèvres pour l'empêcher de renouveler l'expérience. Ramenant ses lèvres contre les siennes, elle ne tarda pas à les entrouvrir, retrouvant rapidement la fougue et la passion, mêlée, toutefois, à la confusion de ces derniers instants. Il n'en était que meilleur, plus savoureux, plus chaud, plus puissant, elle en frissonnait de plaisir. Presque gauche, ses gestes se firent maladroits, alors qu'elle tentait de reprendre les choses où elle les avait laissées, glissant ses mains le long de ses épaules pour gagner quelques centimètres carrés en plus, de sa peau brûlante.
Elle l’observait dormir. Il était beau, là, assoupi, inconscient que sa vie allait changer. « Lysander… Je suis désolée » Pourquoi sa voix était elle si rauque ? Si éraillée ? Si emplie de culpabilité, de froideur aussi. Sa voix était trop sincère, trop authentique, mais elle ne culpabilisait pas pour ce qu’elle allait confesser, c’était mieux ainsi. « Lysander s’il te plait…. Il… Je… Je m’en vais Lysander, ne me cherche pas. C’est mieux ainsi, je ne t’apporte rien de bon… C’est ce qu’il y a de mieux pour toi…. Je te quitte Lysander… » Il dormait toujours, mais cette confession lui avait comme retiré un poids du cœur. Elle se leva, prit sa valise et ne se retourna pas.
-- Flashback --
Cette nuit-là, je n'entendis pas la porte se refermer derrière moi. J'écoutais seulement les battements sourds et puissants de mon cœur qui venaient à s'affaiblir peu à peu. Et depuis cette même nuit jusqu'à aujourd'hui, je n'ai jamais ouvert de nouveau cette porte ; comme je n'ai jamais écouté mon cœur une seconde fois. Parce que l'amour ce n'est guère plus qu'un tour de manège. Il vous enivre et vous donne le tournis, mais finit toujours par s'arrêter un jour et repartir sans vous. Alors vous vous retrouvez seul. Seul et blessé. Irrémédiablement blessé. L'amour, c'est cela ?
« Lysander. » Seigneur, comme cela lui avait manqué. Si le simple fait de prononcer son prénom la mettait déjà à l’agonie, elle n’osait imaginer ce qu’il se passerait s’il ouvrait la porte. Apposant une main contre le bois, elle fixa un point devant ses yeux, un point invisible, cherchant que dire, ou faire. Elle avait eu des années pour y réfléchir, elle avait mis au point tout un discours au cas où la situation se présenterait. Et à présent, elle ne savait pas quoi lui dire. « Je n’ai jamais voulu… Je suis tellement désolée. » Il y avait pourtant tant à raconter. Tant à se faire pardonner, si tant est qu’il accepte un jour de l’écouter. « Je comprends. Je veux dire… Si j’étais à ta place, moi non plus je ne voudrais pas me parler, encore moins me voir. » Elle laissa échapper un rire qui sonnait faux, qui sonnait triste et désillusionné. « Je ne… j’ignorais que tu travaillais ici. Je n’aurais jamais… Je ne suis pas là pour… » Elle butait sur ses mots, n’arrivait pas à formuler une phrase qui fasse sens à ses yeux. Elle soupira. « Je t’en prie, sors de là. Il faut qu’on discute. » Tu es papa Lysander, tu as une fille qui s’appelle Charlotte, et qui me rappelle chaque jour qui passe la double trahison que j’ai commise. Je ne sais pas comment rattraper mes erreurs, je ne suis qu’une femme égoïste, qu’une sœur égoïste qui n’a jamais pensé qu’à panser une blessure qui ne guérira jamais réellement. « Je sais que j’ai tout gâché, tout brisé. Je devais renoncer à toi, je le devais. J’avais l’intention de t’effacer la mémoire, mais je n’ai pas pu. J’aurais dû. Peut-être qu’aujourd’hui tout pourrait être réparé si je l’avais fait. » Elle avait fini dans un murmure. Et c’est la voix affaiblie, presqu’un chuchotement, qu’elle continua. « Dis-moi ce que tu veux que je fasse. Je ne sais pas quoi faire pour t’éviter tout ça, je suis perdue Lysander, cela fait huit ans que je ne fais que prendre les mauvaises décisions. » Leah ferma les yeux, son front vint se poser contre la porte. Un nouveau choix, encore plus douloureux que les autres. « Tu ne me croiseras pas. Je ferai en sorte que cela n’arrive pas. Que ta vie continue comme si je n’avais jamais été là. Je te promets que je vais passer le restant de ma vie à ne plus jamais interférer dans la tienne. Si c’est ce que tu veux… » Elle nourrissait le secret espoir qu’il ne voudrait pas cela ; on ne fuyait pas quelqu’un pour qui on n’éprouvait plus rien. Et même s’il la haïssait, la haine restait un sentiment fort. C’était toujours mieux que l’indifférence. Mais rien. Pas un mouvement esquissé de l’autre côté de la porte, pas un seul bruit qui ne se fasse entendre. « Très bien. » Elle rouvrit les paupières, sa vue brouillée, ses yeux emplis de larmes qu’elle refusait de laisser couler. Le sanglot dans le son de sa voix était à peine perceptible. Elle ravala sa fierté, son orgueil qu’elle venait de déposer aux pieds de son ancien amant. Il lui fallait reprendre contenance avant de retourner à la salle des professeurs, et bien qu’habituée depuis longtemps à cacher ses émotions, elle eut du mal à remettre le masque en place. Elle y parvint cependant, et prit la direction inverse de celle de sa course. Elle ne tourna pas une fois la tête en direction de la porte close, elle ne voulait plus y croire. L’amour, c’était vraiment trop douloureux.
On s’est tous demandé un jour combien de personnes dans le monde sont en train de faire la même chose que nous au moment exact où nous le faisons. Leah imaginait que c’était une façon de se sentir moins seul. Malheureusement ça faisait quelques temps déjà qu’elle avait compris que quoi qu’elle fasse, peu importe avec qui elle le faisait, elle serait seule du début à la fin, quoi qu’il arrive. C’était sur cette note on ne peut plus défaitiste que sa journée commençait à peine et qu’elle savait déjà qu’elle serait mauvaise. Et comme elle, des millions de gens s’étiraient dans leur lit au réveil en se demandant pourquoi ils n’étaient pas mort dans leur sommeil, ce qui leur aurait épargné d’avoir à vivre encore une douzaine d’heure avant de pouvoir fermer les yeux, de se voiler entièrement la face en replongeant dans un sommeil salvateur. Son réveil avait sonné. Quand le réveil sonnait, cela voulait dire qu’elle ne pouvait pas se permettre quelques minutes, voire une heure de plus, d’échappatoire. Il sonnait toujours, d’ailleurs, et elle répèterait inlassablement le geste qui allait le faire taire tous les jours jusqu’au dernier. Elle était rentrée tard de mission et avait mal dormi. La nuit avait été agitée. Elle était complètement angoissée à l’idée de faire face à la journée qui commençait car si la première semaine avait plus ou moins pris des allures de routine familière – telle celle qu’elle avait connue un temps à Beauxbâtons – elle se doutait bien que le répit ne pourrait pas durer. Elle le savait, elle le sentait, elle allait devoir affronter les raisons pour lesquelles elle était ici aujourd’hui. Ne pas céder à la panique, faire comme si de rien était. Facile à dire, impossible à mettre en œuvre. Redressée dans le lit, elle se réservait quelques minutes afin de se remettre les idées en place, ses doigts glissants avec difficulté dans sa crinière blonde emmêlée. Elle s’était extirpée de ses draps pour se diriger comme un zombie vers sa salle de bain afin d’y prendre une douche interminable. En un sens, elle pensait tenter de s’y noyer, avant de réaliser qu’elle ne pourrait y parvenir et de se décider à en sortir. Jusque-là, elle avait respecté sa promesse. Elle ne se montrait jamais aux heures des repas dans la Grande Salle, elle évitait de sortir de sa salle de classe pendant la période des cours, même si elle n’avait aucune leçon à donner, et elle prenait grand soin à ne pas se mêler aux autres professeurs. Elle n’avait parlé de cela à personne, à part Ezra, et si elle lui avait dit, c’était simplement parce qu’ils avaient fait la promesse de ne rien se cacher. Pour leur propre sécurité. Heureusement, le château était immense, et cela n’en rendait sa tâche que plus aisée.
Son odorat lui indiqua la présence de nourriture dans la chambre. Discrète elle resta le dos collé à l’embrasure de la porte, tiraillant nerveusement une couture du chemisier qu’elle avait enfilé sur le dos. Le spectacle offert sur la table était à la hauteur de ce qui était venu chatouiller ses narines. C’était ce que qu’on pouvait appeler un petit-déjeuner en bonne et due forme. Elle reconnut un des elfes de la cuisine. L’être se retourna, elle le salua poliment. « Vous allez vous asseoir, et prendre le petit-déjeuner que je vous ai préparé » « C’est... pour moi ? » « Bien entendu il faut bien remplir un peu ces joues et leur redonner un peu de couleur » Leah grimaça quand l’elfe – qu’elle reconnaissait comme celui auquel elle avait fait appel, lors de sa scolarité, les fois où elle manquait le petit-déjeuner après être restée trop longtemps à étudier à la bibliothèque ou dans sa chambre, qui avait alors accepté de lui apporter un fruit chaque fois qu’elle se présenterait aux cuisines, et dont le nom était en réalité Colby – s’approcha pour lui pincer les joues et quand il lui tourna le dos une expression de sincère interrogation traversa le visage de la jeune femme. Ceci dit, elle fut attendrie par le personnage et surtout elle mourait de faim, alors elle prit place et se mit à déguster ce qui avait été préparé. Après avoir fini de prendre le petit-déjeuner elle le remercia encore mais à voix haute cette fois avant de s’éclipser pour terminer de se préparer et faire un effort pour se rendre présentable. Comme si cela allait changer quoi que ce soit. Elle se doutait bien que non, mais la meilleure façon pour elle de ne pas décéder sous le poids de la tristesse était encore de prendre le rôle qui lui avait été donné au sérieux. Cacher un peu tout ce désespoir derrière un masque de professionnalisme. Cependant, un furieux besoin de prendre l’air se fit ressentir. Après avoir pesé le pour et le contre, Leah décida qu’elle avait bien le droit de faire quelques pas dans le parc. A chaque marche qu’elle descendait, les battements de son cœur s’intensifiaient au rythme désordonné du battement suivant, toujours plus fort que le précédent, au point de lui en donner le vertige. Elle se rendait alors compte qu’elle n’était absolument pas prête pour ce qui pouvait avoir lieu. C’était comme si les derniers jours avaient été un rêve ou un cauchemar, quoi qu’il en soit, quelque chose qu’elle ne devait pas avoir considéré comme tout à fait réel puisque maintenant qu’elle se retrouvait au pied du mur, elle appréhendait de croiser Lysander, comme si son instinct sentait qu’elle allait forcément tomber sur lui.
Je contemplais une nouvelle fois ce même soleil qui se levait encore et toujours à l'horizon. Admiratif et compatissant à la fois. Lui, qui jour après jour courrait inlassablement après son âme sœur à jamais inaccessible ; tandis que dans sa pâleur sépulcrale elle ne daignait guère lui offrir ne serait-ce qu'un unique regard. Et pourtant, aussi stupide que ce spectacle pouvait paraître à mes yeux, j'avais moi-même participé à ce jeu par le passé. Bien que ma course fut bien plus courte et désordonnée que la sienne. Tant en longueur, qu'en intensité.
Il n'avait pas remarqué sa présence au parc, les yeux clos il semblait être ailleurs. Elle en profita pour observer courir le vent dans ses cheveux aux reflets cuivrés sous les rayons du soleil. Il avait quelque chose d'agaçant dans sa beauté. Une beauté atypique, loin des standards britanniques, il ne ressemblait à personne d'autre. Et c'était tant mieux ! Deux comme lui aurait été dévastateur pour la pauvre Leah, déjà qu'un lui faisait perdre ses bonnes résolutions. S'approchant silencieusement, elle prit le plus grand soin à ce que ses pas ne s’entendent pas, qu’il ne remarque pas sa présence. Il y avait longtemps, il lui avait dit avoir été un chasseur de femmes. Elle souhaitait connaître ses armes. Ou tout au moins connaître celles dont il usait avec d’autres à présent. Des armes il en avait, et Leah pouvait en témoigner. Son sourire, si énervant, agaçant et excitant en même temps. Son regard, fascinant et déroutant. Ses lèvres, douces invitations au voyage. Ses traits fins et asymétriques, qui lui donnaient cette beauté si étrange. Sa peau au hâle subtile, dégageant ce parfum que Leah était incapable d'oublier. Ses mains aux doigts fins, qui savaient se montrer si douces, et si fermes à la fois. Même ses cheveux à la couleur si particulière, changeant en fonction de l'heure et de la luminosité. Elle se souvenait de son corps, long, à la fine musculature. Elle se rappelait le goût sucré de sa peau, la douceur de celle-ci. Et tout ceci n'avait d'égal que sa fougue, sa passion, et la douce folie qu'il mettait dans chacun de ses gestes... Oui, il avait des armes, et si elles s'avéraient dangereuses pour la gente féminine, elles étaient mortelles pour Leah. Avant qu'il ne décide d'ouvrir les yeux, et pour ne pas prendre le risque d'être aperçue, la jeune femme fit demi-tour et s'apprêta à rejoindre le château. Comme elle l'avait senti au réveil, la journée promettait d'être terrible.
❝Do you want me crawling back at you❞ Leah & Lysander
“Can two people really be meant to be? Soul mates. It would be nice if its true. That we all have someone out there waiting for us, us waiting for them. I’m just not sure I believe it."
Lysander pensait avoir tout vécu en matière de souffrance. Son cœur avait été bousillé, massacré, réduit en miettes, et rien ne pourrait jamais être pire que ce qu’il avait éprouvé en se réveillant ce matin-là, en ouvrant les yeux pour découvrir qu’elle n’était plus là. Il se croyait être à jamais immunisé contre le monde entier. Mais il n’avait jamais été immunisé contre elle. Il l’entendait, là, juste là, de l’autre côté de la porte. Seulement quelques centimètres les séparaient. Il entendit son prénom, il entendit ses mots, sa voix brisée. Sans s’y attendre, son cœur vola une nouvelle fois en mille morceaux.
Je me souviens de la première fois que nos regards se sont croisés. Je me souviens aussi du premier mot que je lui ai adressé, du premier sourire, du premier baiser, je me souviens encore parfaitement de la sensation que j’ai eu en tombant amoureux d’elle. Je me souviens de la dernière fois. Mais elle ne me l’avait pas dit, que je ne la reverrais jamais, que je ne pourrais plus l’embrasser, plonger dans ses yeux, embrasser ses lèvres, serrer son corps contre le mien. Mais qu’est-ce que ça aurait changé, hein ? Je lui faisais l’amour comme si j’allais crever le lendemain, tout le temps, je l’aimais à l’infini à chaque instant, je l’embrassais comme si elle allait disparaitre la seconde suivante. Alors qu’est-ce que ça aurait changé ? Je l’aurais supplié de rester. Peut-être qu’elle aurait pleuré, peut-être qu’elle se serait mise en colère. Peut-être qu’elle aurait dit des choses qui font du bien, pour me rassurer, pour me faire rester calme. Peut-être qu’elle aurait voulu rester. Mais je sais qu’au fond de moi, même si j’avais su, même si je l’avais deviné, même après l’avoir supplié de toutes mes forces, je me serais malgré tout réveillé le lendemain matin dans un grand lit vide.
« Lysander… »
La vérité c’est que je t’aimais, je t’aimais comme jamais personne n’aurait pu aimer, je t’aimais jusqu’au ciel, jusqu’à l’infini, je t’aimais, tu sais, de l’amour véritable, celui qui te prend aux tripes, qui fait battre ton cœur à l’instant où tu apparais, même après des années, je t’aimais de cet amour que rien n’aurait pu briser, rien, personne, jamais. J’ai essuyé tes larmes et je les ai remplacées par des rires, j’ai tenté de réparer les débris de ton cœur, tu sais, j’ai même pris des morceaux du mien pour rafistoler le tien. Je m’en foutais, moi, d’avoir un cœur entier, puisque tu étais là pour combler le vide en moi. Et je croyais naïvement être suffisant pour combler le tien. Je croyais naïvement que je pouvais réparer ce qui avait été brisé en toi, parce qu’à moi aussi, on m’avait arraché une partie de moi beaucoup trop tôt, trop violemment. Je t’aimais tellement fort que j’ai eu l’impression de mourir quand j’ai compris que tu ne reviendrais pas.
« Je t’en prie, sors de là. Il faut qu’on discute. »
Chaque nouveau mot était comme un poignard aiguisé qu’on lui plantait dans le corps. Il voulait hurler. Ou faire exploser le château. Ils seraient tous morts, et tout serait beaucoup plus simple. Plus de cœurs brisés, plus de mots qui font mal. Et surtout, ne plus entendre sa voix, dont la beauté familière lui rappelait à quel point son absence l’avait fait souffrir.
« Dis-moi ce que tu veux que je fasse. Je ne sais pas quoi faire pour t’éviter tout ça, je suis perdue Lysander, cela fait huit ans que je ne fais que prendre les mauvaises décisions. »
Pars. Va-t-en. Tu sais bien faire, ça, t’en aller, sans un mot, sans un bruit ni même un regard, rien, pas une explication, comme ça, du jour au lendemain. Je veux que tu t’en ailles, que tu me laisses, j’essayais d’aller mieux, d’apprendre à vivre sans toi, j’essayais de rester debout, de ne plus rêver de toi la nuit, de ne plus me souvenir de ton parfum, de la couleur de tes yeux, du goût de tes lèvres, j’essayais d’oublier même qu’un jour, tu étais la seule et unique raison de ma présence sur Terre, j’essayais d’oublier que tu aies fait partie de moi, que je t’aie un jour aimée plus que tout au monde. Et tu débarques, comme ça, huit ans après, comme une fleur ? Et tu espères sincèrement que je vais te prendre dans mes bras et t’accueillir avec joie ? Tu m’as brisé, Leah, t’es partie et t’as tout emporté avec toi, tout ! Et qu’est-ce qu’il me restait, hein ? Qu’est-ce qu’il me restait d’autre que cet appartement gigantesquement vide, et mon cœur en morceaux ? T’avais pas le droit de me faire ça ! Tu n’avais pas le droit ! On ne fait pas ça aux gens, bon sang ! On ne les aime pas comme ça, si fort, si passionnément, on ne leur fait pas croire qu’ils sont tout, et l’instant d’après, qu’ils ne sont plus rien. Parce que c’est le sentiment que j’ai eu. De n’être rien. Rien. Rien à tes yeux. Rien dans ton cœur. Tu m’as laissé comme on laisse un vieux chiffon par terre. Et ouais, j’aurais préféré que t’effaces ma mémoire.
« Tu ne me croiseras pas. Je ferai en sorte que cela n’arrive pas. Que ta vie continue comme si je n’avais jamais été là. Je te promets que je vais passer le restant de ma vie à ne plus jamais interférer dans la tienne. Si c’est ce que tu veux… »
Si c’est ce que je veux ? Si c’est ce que je veux ?! Mais je n’ai rien voulu de tout ça, moi ! J’ai jamais rien demandé, tu le réalises ?! Je n’ai jamais voulu que tu disparaisses, JAMAIS. Et même si j’ai passé huit ans à espérer chaque jour que tu reviennes enfin… Je n’ai jamais voulu ça. Ce n’est pas ce que je veux.
Les mots se bousculaient dans sa tête mais aucun ne pouvait franchir ses lèvres. C’était trop dur. Il n’était pas préparé à ça. Il ne savait pas quoi penser. Il n’était même pas capable d’identifier la nature de ses sentiments. Son cœur battait au point que Lysander avait l’impression que tout allait exploser en lui. Elle était là, juste de l’autre côté de la porte, aussi belle que dans ses souvenirs. Mais il était incapable de lui répondre, incapable d’ouvrir la porte, incapable de la regarder, car il savait parfaitement que dès l’instant où il plongerait ses yeux dans ceux de Leah, alors toute la haine, la rancœur, la déception disparaitraient aussitôt, et il n’aurait qu’une envie, c’était de lui montrer à quel point il n’avait jamais cessé de l’aimer.
***
Tout était à la fois identique et différent. Le décor de Poudard et de son parc étaient d’une douceur familière, le reflet de Lysander ce matin-là dans le miroir était bien le même que tous les jours, mais à l’intérieur, cependant, tout était retourné, désordonné. Le champ de bataille après la guerre, les débris après l’explosion. Les yeux clos, allongé au soleil, il n’avait de cesse de penser à Leah. Il ne l’avait pas tellement aperçue de nouveau depuis leur « rencontre » (si l’on pouvait appeler ça ainsi étant donné que Lysander avait surtout cherché à fuir la jeune femme). Il n’avait pas ouvert la porte, il ne l’avait pas rattrapée. Il ne l’avait pas revue. Il savait cependant qu’elle n’avait pas quitté le château pour autant (il entendait les élèves ainsi que ses collègues parler d’elle à longueur de journée, mais pouvait-il leur en vouloir d’admirer la beauté, l’intelligence et la fougue de la nouvelle professeure ?). Et plus le temps passait, plus il redoutait leur prochaine rencontre. Car c’était inévitable. Ils avaient beau s’esquiver depuis des jours, il était évident qu’ils se retrouveraient. Et Lysander ne pourrait faire éternellement vœu de silence et d’ignorance.
Elle était là. Il n’avait aucune idée de la façon dont il pouvait le savoir, mais il le savait. Il le sentait. Comme quelques jours auparavant. L’instinct du cœur plus fort que tout. Cependant, il garda les yeux clos. Il ne parvenait pas à déterminer la distance à laquelle elle se trouvait. Il lutta de toutes ses forces pour ne pas ouvrir les paupières. Toujours le même dilemme : prendre le risque de la regarder droit dans les yeux et se laisser submerger par la vague de la passion, ou continuer à lui en vouloir, à lui montrer à quel point il avait mal depuis huit ans ?
Puis il cessa de réfléchir. D’un seul mouvement, ses yeux s’ouvrirent et il bondit sur ses jambes. Elle s’éloignait déjà, ses cheveux blonds flottant dans les airs. Il parvenait même encore à percevoir son merveilleux parfum.
Attends. Ne pars pas. Non. Retourne-toi. Regarde-moi. T’éloigne pas. Attends. J’ai menti. Je suis là, je m’en vais pas, et je te le rends, mon cœur, tiens, prends-le et continue de le bousiller tant que tu veux. J’m’en fous. Tiens ! Tiens reprends-le ce cœur à la noix, fais-en ce que tu veux, balance le à la flotte si ça te fait plaisir mais reste, reste. T’en vas pas. Pitié, t’en vas plus. Je m’effondre à l’instant où tu disparais. Je te connais. Tu reviens jamais. Alors tiens, je te rends chaque petit bout de moi que j’ai essayé de sauver, je te rends chacune des larmes que t’as fait couler sur mes joues, je te rends mes cris et mes sourires, mes mots d’amour, mes appels à l’aide et mes éclats de rire. Tiens, prends tout. Achève-moi. Je préfère encore mourir plutôt que de te voir faire un pas de plus. De toute façon je suis plus rien. T’as déjà tout abimé. Alors finis le boulot. Regarde, il me reste à peine un morceau de cœur qui bat au ralenti, à peine un souffle qui franchit mes lèvres tremblantes, une moitié de larme encore coincée dans mes cils. Tout juste assez de force pour rester debout. Pour m’accrocher. M’écorcher. Ne pars pas. J’ai menti. Je te veux toujours. Tu le sais. Toi. Toi. C’est toi toujours, à jamais. Toi, toi et moi, toi sans moi, moi sans toi. T’en vas pas. Regarde-moi. Attends, attends juste un peu, rien qu’une seconde. Une seule seconde, juste une, tes yeux, mes lèvres, mon cœur en lambeaux, tes pas qui s’éloignent. Attends. Ne pars pas. Reste encore un peu. Je t’en supplie. T’en vas plus.
- LEAH !
C’était la première fois depuis huit ans qu’il prononçait son prénom. C’était comme l’épine d’une rose : on s’écorche dessus, mais c’est la plus belle chose du monde.
Les yeux rivés sur la jeune femme, il s’avança vers elle d’une démarche maladroite, fébrile. Il se fit violence pour ne pas courir, ne pas la serrer contre lui, ne pas l’embrasser et la dévorer toute entière. Il se força à rester le plus calme possible tandis qu’il réduisait la distance qui les séparait.
- Leah… murmura-t-il en lui attrapant doucement la main.
Lysander était complètement perdu. Son cerveau avait définitivement pris congé et son cœur foutait le bordel à l’intérieur. Il mourrait d’envie de coller ses lèvres contre celles de Leah, tout en désirant lui hurler les mots qui tournaient en boucle dans sa tête depuis qu’il l’avait aperçue dans la salle des professeurs. Il ne savait pas quoi faire, pas quoi dire. Alors il se contenta d’enrouler ses doigts autour de la main de Leah, de planter ses yeux dans ceux de la jeune femme, et d’espérer que ces huit dernières années ne fussent qu’un mauvais cauchemar.
« LEAH ! » Leah avait pensé à toutes les éventualités quand elle reverrait Lysander. Elle avait épluché et imaginé toutes les façons dont elle pourrait réagir en ayant son ancien amant en face d’elle, alors qu’elle rêvait de lui, comme pour enfoncer un peu plus le couteau dans la plaie. Elle allait peut-être avoir envie de s'enfuir dès qu’elle poserait ses yeux sur lui ; ou bien elle ne se supporterait pas elle-même, tellement dégoûtée par sa trahison. Peut-être qu’elle allait craquer et se mettre à genoux devant lui en le suppliant de la pardonner, parce qu’elle pensait qu’il n’était jamais trop tard pour demander pardon ? Son option "préférée", en tout cas celle qu’elle imaginait être la plus probable, c'était qu’elle allait être envahie par une gêne tenace et étouffante, qui lui couperait sûrement la voix et lui brouillerait le cerveau. Bref, que des réjouissances. Mais jamais au grand jamais elle n’avait pensé qu’elle allait ressentir ce qu’elle était en train d'éprouver alors que le visage de Lysander se rapprochait au fur et à mesure que le jeune homme réduisait la distance les séparant. « Leah… » Est-ce qu’elle était morte ? Leah ne savait pas de trop. Mais en tout cas, elle avait l'impression qu’on venait de lui ouvrir les portes du Paradis. Ses doutes, ses peurs, sa terreur, son dégoût d’elle-même et toutes les questions qui la taraudaient s'envolèrent dès qu’il prit sa main dans la sienne. Ses yeux l'emmenèrent instantanément dans un autre espace-temps. Pourquoi est-ce qu’elle se prenait la tête, franchement ? Tout ce qui comptait en fait, c’était qu’elle soit là, avec lui. Ça n'était quand même pas si compliqué. Il fallait toujours qu’elle réfléchisse de trop, qu’elle prenne son temps pour analyser la situation. Ça avait du bon pour une fois de faire comme si elle avait une cervelle de petit pois ; ça avait du bon de ne plus se poser de questions. Ils restèrent ainsi pendant ce qui lui sembla être une éternité. Mais elle n’aurait rien eu contre une éternité si elle pouvait la passer avec lui. De son pouce, elle caressait la main qui semblait bien décidée à ne plus jamais lâcher la sienne, un geste qu’elle avait toujours eu en vue de calmer les tensions chez son amoureux, et qu’elle avait reproduit ensuite avec leur fille. Seigneur, il fallait absolument qu’elle lui parle de Charlotte. Mais avant tout, elle attendait une réaction de sa part, n’importe quoi. Réaction qui, se faisant trop attendre, la mettait dans un état de stress significatif.
« Dis quelque chose, pour l’amour du ciel. Hurle-moi dessus, tu en as tellement le droit… Dis quelque chose, je ne suppo… » Il l’avait coupée dans son élan d’un baiser.
Des montagnes russes. Un saut à l’élastique, ou en parachute. C’était la même sensation. Le cœur qui loupe un battement sur trois, ou qui au contraire pulvérise son record, on ne sait pas trop, on ne s’amuse pas vraiment à compter dans ce genre de situations. Mais c’est exactement ce qu’on ressent lorsqu’on s’approche du vide. On sait qu’on est attaché à quelque chose, que les risques sont minimes (mais existants, même si c’est la dernière chose à laquelle on désire penser), mais on est « en sécurité ». Pendant tout le temps qui précède le moment où l’on se jette dans le vide, on se sent bien, on se sent invincible. Et puis on regarde en bas. On réalise la connerie qu’on est en train de faire. Sauf qu’à ce moment-là, il est trop tard pour reculer. « Il n’est jamais trop tard », pensait Leah quelques minutes auparavant, n’est-ce pas ? Eh bien parfois, c’est plus qu’une question de mots, c’est une question d’actes. Il était trop tard pour reculer, il fallait assumer.
C’est là qu’on se jette dans le vide, et qu’on hurle, on hurle, on hurle. Ensuite, on atterrit.
D’abord surprise, elle n’avait pas fait le moindre mouvement, se contentant de subir ses lèvres contre les siennes, cette bouche qui ne bougeait pas plus que la sienne. Il s’était contenté de les poser là, grimaçant, juste pour la faire taire, mais ne changeant rien à ce bouton de rose qu’il formait de ses lèvres. Puis il les avait entrouvertes légèrement, laissant passer un souffle chaud qui l’engloba totalement, la plongeant dans un tremblement qui s’empara de tout son corps, électrisant chaque parcelle de son corps, remuant absolument la totalité de ce qui constituait son être. Elle avait soupiré à son tour, juste une expiration, peut-être un simple réflexe respiratoire, mais qui avait dû produire le même effet en lui, puisqu’elle sentit ses mains remonter contre sa nuque et la parasiter en une caresse, chauffant instantanément la peau en contact avec ses paumes, la brûlant en douceur, dégageant un flot de bien-être. Alors, sans vraiment comprendre pourquoi, sans vraiment chercher à comprendre non plus, elle remua doucement, très lentement ses lèvres qui jusque-là étaient restées immobiles. En avait-elle besoin ?
Oui, c’était vital et surtout inévitable.
Fondamentalement il ne lui avait pas arraché ce baiser, fondamentalement il n’avait fait que coller ses lèvres aux siennes. Il avait franchi certaines limites, mais pas l’irréparable. C’était elle qui avait commencé à se mouvoir contre lui. D’abord ses lèvres qui avait esquissé un timide baiser, comme on caresse de ses lèvres le bobo d’un enfant en lui assurant que c’est magique, que ça calmera le mal, puis le reste de son corps qui s’était indéniablement rapproché encore du sien. Elle avait frissonné sous son propre baiser, elle avait soupiré en subissant son propre geste, puis elle avait été incapable d’abandonner, incapable de s’arrêter ou de s’immobiliser. Elle avait continué à frôler cette bouche sauvagement arrimée à la sienne, timidement elle l’avait caressée de son souffle, l’avait butinée jusqu’à ce qu’il la rejoigne dans sa danse solitaire. Combien de temps avait-elle joué ainsi ? Certainement pas plus d’un quart de seconde qui lui avait semblé à la fois trop et pas assez. En le sentant réagir, en le sentant desceller les lèvres, les espacer un peu plus, permettant à sa langue de venir découvrir la sienne, la caresser, la chercher, la perdre, la retrouver, la perdre à nouveau, fouillant, savourant, s’emportant aussi, jouant avec ses lèvres, se laissant aller à une hardiesse dont elle ne se savait pas capable. C’est lorsqu’elle mordilla légèrement sa lèvre inférieure provoquant un gémissement plus sonore que les autres qu’elle nota que leur nature avait changé. Ce n’était plus des gémissements de douleur (et par là, elle pensait à la douleur mentale qu’elle lui avait infligée par son retour) qu’il expirait contre sa bouche, dans sa bouche, c’était des gémissements de… plaisir ?! Leurs souffles mêlés lui faisaient perdre la tête. Elle avait depuis longtemps perdu tout contrôle d’elle-même, mais elle avait encore conscience qu’elle devait s’arrêter maintenant.
Il avait beau maintenir sa nuque, elle savait qu’elle n’aurait aucun mal, si elle le souhaitait, à se soustraire à cette étreinte. Mais elle ne le souhaitait pas. Certainement qu’une part d’elle-même le souhaitait, mais pour l’instant elle était bâillonnée par l’autre partie, celle qui voulait ne jamais mettre fin à cette caresse, à cet échange qui semblait relier tous les points entre eux, qui semblait créer une constellation d’émotions, de sensations, cet échange qui tissait la toile de leur lien étrange. Elle avait soupiré, elle avait gémi, elle avait senti son corps s’irradier lentement, cette chaleur née au creux de ses reins se propager dans l’entièreté de son corps. L’apaisement avait rapidement cédé sa place à une nouvelle sensation, à quelque chose de plus grand encore, de plus déroutant. Au milieu de ce torrent de passion, entre deux eaux, légère mais lancinante, il était là, cet espoir, ce sentiment d’avoir ce qu’elle avait toujours attendu. Pas une émotion, pas une excitation, pas un frisson, juste un être. Elle n’avait jamais rien désiré comme elle le désirait lui. Sa main avait glissé dans son cou, sentant sa carotide taper contre sa paume brûlante, puis elle n’avait cessé de choir le long de son corps, s’agrippant au tissu du pull, déformant le coton léger en plantant ses doigts juste là, au-dessus de son cœur qui venait heurter les lignes de sa main à chaque battement frénétique. Il ne mentait pas, il ne pouvait lui mentir, pas alors qu’elle sentait ça, pas alors que son cœur en était témoin. Aurait-elle dû s’arrêter ?
Oui, encore une fois, elle aurait dû.
Elle lui faisait du mal en voulant lui faire du bien. Mais c’était encore plus égoïste que ça, puisque c’était à elle-même qu’elle cherchait à procurer du plaisir. Là, contre lui, haletante, ses lèvres dévorant les siennes, ses doigts cavalant, s’agrippant à sa peau, elle ne pensait à rien d’autre qu’à elle-même. Oubliée sa foutue réputation, oublié l’avis des autres, oubliée la haine qu’elle aurait dû lui vouer tant il lui pourrissait la vie, oubliée sa vie. Elle seule comptait, elle et son besoin de lui. Non pas son besoin : sa nécessité. Car dans son esprit embrouillé, si elle s’arrêtait, si elle se stoppait ne serait-ce que quelques secondes un gouffre s’ouvrirait sous ses pieds et l’engloutirait toute entière. Dieu seul sait quelle était l’étape suivante. Incapable de se contrôler, et encore moins de s’arrêter, leur baiser devenait plus dévorant de seconde en seconde, leurs langues plus avides, leurs mains plus entreprenantes…
Si un fait extérieur n’était pas venu les extirper de ce délicieux laisser-aller, jamais elle ne serait parvenue à reprendre suffisamment ses esprits pour accepter de se détacher de ses lèvres sans éclater en sanglots. Oui, elle en était rendue à ce point. Un point de non-retour. Quand des rires d’étudiants qui approchaient – sûrement en vue du prochain cours de Lysander justement – les surprirent tous les deux, elle s’était détachée de lui, le regardant avec un ébahissement sans commune mesure. Ce n’était pas le baiser en lui-même qui posait problème, même si déjà en soi, c’était absolument impardonnable. Non, le vrai problème c’est ce qu’elle avait ressenti, et ce qu’elle ressentait encore. Elle s’écarta violemment de lui, elle ne voulait pas que des rumeurs circulent dans les couloirs de l’école comme il avait pu en être le cas à l’époque où ils étaient eux-mêmes étudiants.
Leah détourna le regard, gênée. Les adolescents passèrent non loin d’eux, sans manquer de les saluer, salut qu’elle leur rendit, pour sa part, du bout des lèvres. Puis elle osa se tourner à nouveau vers le jeune homme. Et elle lut dans son regard la même fièvre qu’elle ressentait encore. Elle avait le sentiment que sa peau la brûlait encore là où les mains de Lysander l’avaient touchée, mais ce n’était pas une brûlure désagréable, au contraire, elle aurait donné tout ce qu’elle avait de plus cher pour que l’instant ne se soit jamais arrêté. Et c’était grâce à ce genre de moments volés qu’elle se rendait encore plus compte de l’abstinence forcée qu’elle s’était fait subir de plein gré depuis huit ans. Huit ans, et au lieu de lui énoncer toutes ses vérités en face, Lysander parvenait à ébranler toutes ses convictions.
« Je… Wow… » Elle passa les doigts sur ses lèvres, encore un peu sonnée de ce surprenant, quoique très plaisant, moment. Elle avait envie de sourire, mais elle avait le sentiment que ce ne serait absolument pas adapté à leur situation. « Je… Wow. » Oui, elle se répétait. « Je ne m’attendais pas à cela, très honnêtement. Enfin, toujours pour être honnête, je comptais respecter ma promesse tu sais ? J’avais juste oublié que ce cours se donnait en extérieur et que j’augmentais mes chances de te croiser. Et je ne veux pas que tu crois que je te harcèle, parce que ce n’est pas le cas, je voulais vraiment te laisser tranquille et ne plus interférer. Et je… » Il semblait avoir compris son malaise, mais cette fois, c’était simplement son index qu’il avait posé contre ses lèvres pour la faire taire. Leah déglutit, et acquiesça silencieusement. Il fallait qu’elle se calme. « Il faut vraiment que l’on discute. » Son ton était suppliant, aussi quand Lysander finit par accepter, le soulagement illumina le visage de la jeune professeure. « Ce soir, vingt heures ? Mes quartiers ? » Nouvel acquiescement de la part de son homologue masculin, même si la crispation de son visage n’avait pas échappé à Leah. Avant qu’un silence tendu ne s’installe entre eux, elle murmura qu’il valait mieux qu’elle retourne au château pour le laisser aller donner son cours ; elle se fit demi-tour à regret et prit la direction de l’établissement, les joues rougissant à vue d’œil, une main tremblante posée contre ses lèvres. Elle n’était pas sûre que ce qui venait de se produire ait vraiment eu lieu.
****
Bien sûr, ça n’avait pas été aussi simple que cela. Rien n’est jamais simple. Le soir-même, elle et Ezra, ainsi qu’un deuxième homme, lui aussi membre de l’Ordre, même si Leah l’avait très peu croisé, furent envoyés en mission. Elle avait pris soin de laisser une note à l’attention de Lysander, sans révéler exactement ce qu’elle avait à faire qui reportait leur entrevue. Dès le départ, la jeune femme avait eu un mauvais pressentiment. Comme un sentiment de malaise qui s’était glissé sous sa peau pour ne plus en ressortir. Et cette impression s’était confirmée lorsqu’elle avait aperçu une dizaine d’hommes aux capes noires et aux masques argentés se faufiler dans les maisons pour lesquelles on les avait assignés de surveillance. Beaucoup trop nombreux pour eux trois. Beaucoup trop nombreux pour les affronter sans prendre le risque de se faire tuer. Oui, mais ils auraient dû se battre. Un mouvement dans la maison près de laquelle ils se cachaient attira son attention, et son regard se posa sur un petit garçon. Il devait avoir dans les âges de Charlotte. Il avait deux grands yeux noirs, habités par la peur. Leurs yeux se croisèrent. Et avant qu’elle ne put faire quoi que ce soit, une main gantée attrapa l’enfant par l’épaule.
Ce fut comme si elle était hors de son corps. Elle voyait la scène mais ne pouvait pas agir. Elle se vit se lever pour aller à la rescousse de l’enfant. Elle vit ses deux compagnons la prendre chacun par un bras. Elle se vit se débattre comme une furie, leur hurlant de la lâcher, sa voix éteinte par l’un d’eux à l’aide d’un simple sort de silence. Elle sentit la douleur quand ils resserrèrent leur étreinte pour qu’elle ne leur échappe pas. Elle se vit échanger un dernier regard avec le petit garçon. Elle n’oublierait jamais ce regard. Il la hanterait à tout jamais. Elle y lut la panique qui l’habitait, la peur de mourir tout en sachant que c’était inexorable, la reconnaissance envers celle qui s’était battue pour elle, l’absence de rancœur pour ne pas être allée jusqu’au bout. Elle revit Ezra et le second membre de l’Ordre la traîner de force loin de la maison. Elle se revit hurler, tenter vainement de se dégager de leur poigne, supplier d’y retourner, supplier d’arrêter. Des larmes de douleur, de rage, de désespoir inondèrent ses joues alors qu’elle entendait chacun des sorts de douleur qui étaient lancés sur l’enfant et chacun des hurlements qu’il poussait. Elle était dans une transe de rage qu’elle ne se connaissait pas. Ses ongles se mirent à griffer, à déchirer, à arracher la peau de ses bras. Elle griffa jusqu’à ce que le sang vienne recouvrir la peau d’albâtre. Et quand elle vit l’éclat de lumière verte, juste avant qu’ils ne transplanent tous à Pré-au-Lard, un relent de bile remonta sa gorge et elle ne put que vomir. Vomir sa haine du monde, sa haine des gens, sa haine d’elle-même. Car elle avait tué cet enfant et elle le savait.
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Trois jours. Trois journées et trois nuits interminables. Trois jours durant lesquels elle n’avait pas fermé les yeux plus de cinq minutes d’affilée. A chaque fois qu’elle essayait, elle revoyait ces deux grands yeux noirs remplis de larmes qui la fixaient, qui la suppliaient et, enfin, qui la pardonnaient. Alors, instantanément, comme un électrochoc, elle était tout à fait réveillée. Le moment de s’endormir, qui auparavant était son préféré de la journée même si elle savait que les cauchemars l’attendaient, la terrorisait à présent. La douleur, le remord, l’amertume, le dégoût la privaient de repos. Elle ne pouvait pas dormir. Elle ne pourrait plus jamais dormir. Elle avait tué un être humain. Elle avait tué un enfant. Ou si elle ne l’avait pas fait de ses propres mains, c’était tout comme. Elle les avait laissé faire. Elle n’était pas intervenue. Elle n’avait pas su tenir tête à l’Ordre comme elle aurait dû le faire, elle n’était pas allée jusqu’au bout. Et à cause de ça, toute sa vie durant, ce visage la hanterait. Le visage de ce petit garçon dont elle ignorait le prénom.
Enfermée dans la salle de bain qu’elle gardait consciencieusement mal éclairée de sa chambre à Poudlard, elle fixa le miroir. La jeune femme qu’elle y vit la toisa une seconde, une expression de dégoût dans le regard, puis baissa les yeux sur son corps dénudé. Là, sur le flanc gauche, juste en-dessous de son soutien-gorge, on pouvait admirer une étoile, minuscule inscription à tout jamais gravée sur sa peau. Elle avait choisi cet endroit parce que c’était intime et caché. Le but n’était pas qu’il se voit, bien au contraire. Elle l’avait fait pour elle, parce que sa vie était aujourd’hui inextricablement liée à celle, terminée, de l’enfant. C’était sa façon à elle de le faire vivre encore un peu, de le protéger en le cachant dans l’intimité de sa personne. Et puis elle avait besoin de savoir qu’il existait une trace de ce qui s’était passé, du crime qu’elle avait commis, fut-ce par omission. Scarifier son corps était la seule solution qu’elle avait trouvée pour se punir ; pour que, n’importe où qu’elle se trouve, la honte et la souffrance l’accompagnent. L’opération n’avait duré que quelques minutes, mais dès que le tatoueur avait enfoncé son aiguille sous sa peau, elle s’était sentie respirer à nouveau. Comme si elle avait été en apnée jusqu’alors. La douleur physique provoquée par l’injection de l’encre lui avait permis de se libérer de la souffrance mentale qui l’oppressait. Pour quelques minutes seulement. Et puis quand elle était sortie de la boutique, tout était revenu d’un seul coup.
Leah enfila un t-shirt, faisant disparaître l’inscription dans le creux de son corps, bien protégée. Elle se regarda une dernière fois dans le miroir et se frotta vigoureusement le visage pour tenter de se redonner des couleurs et surtout d’effacer les traces d’épuisement de ces soixante-douze heures sans sommeil. Puis, elle prit une grande inspiration et ouvrit la porte de la salle de bain. Dans l’unique pièce qui faisait ses quartiers, une photographie, reposant sur une commode où elle rangeait ses vêtements, l’accueillit. C’est à ce moment-là que la jeune fille se souvint de la raison pour laquelle elle n’avait pas agi. La raison pour laquelle elle n’avait pas pu s’opposer totalement à l’Ordre, la raison pour laquelle elle avait abandonné l’enfant, c’était elle. Là, juste devant ses yeux. Charlotte. Elle avait encore grandi, et ce bout d’image en était une nouvelle preuve. Ses cheveux, plus clairs lorsqu’elle n’était qu’un bambin, avaient pris une teinte plus foncée, rappelant à Leah à quel point sa fille ressemblait à son père. La jeune femme s’avança jusqu’à la commode, et saisit quelque chose posé juste à côté du cadre.
Ses doigts mal assurés semblèrent s’acharner sur un flacon de médicaments qu’ils n’avaient pas la force d’ouvrir. Elle avait récupéré une panoplie de cachets lors de son rapide passage sur Londres la veille, juste après être passée chez le tatoueur, en faisant un saut chez Maggie. Des restes de sa période post-deuil. Les sourcils froncés, une vilaine ride sérieuse marquant son front, elle se démenait avec son flacon, usant jusqu’à ses dernières forces. Quand soudain, sans crier gare, le couvercle céda sous la pression et le flacon lui échappa violemment des mains, projetant des dizaines de gélules dans tous les sens. Elle laissa échapper un soupir exaspéré, et, sans plus de cérémonie, s’agenouilla sur le sol glacé et récupéra un à un tous les comprimés, sans un mot. Elle les reversa tous dans le flacon, sauf un, qu’elle avala sans même l’aide d’un verre d’eau, et reposa le contenant plastifié à sa place, avec ses homologues, à côté du cadre photo et de l’arme de poing que lui avait offert Dylan à son départ des Etats-Unis. Elle aurait pu aller demander une potion à l’infirmière, la jeune Ebony. Mais elle estimait avoir au moins deux bonnes raisons de recourir à l’automédication : d’abord, les potions avaient toujours un arrière-goût de chaussette sale des plus désagréables, et ensuite, se contenter de ses cachets lui éviteraient une série de questions inutiles auxquelles elle ne voulait surtout pas répondre. D’autant plus qu’avec les évènements, elle savait parfaitement que le directeur allait surveiller le moindre de ses faits et gestes. A nouveau, ses yeux se posèrent sur Charlotte.
« Ça va aller. Ça doit aller. »
Elle enfila un blouson de cuir noir et prétendit ne pas avoir remarqué la boule qui se formait dans sa gorge. Elle savait que sa journée ne serait pas normale, que ses journées à venir n’auraient jamais plus rien de normal à ses yeux, mais ce n’était pas comme si elle avait le choix, à présent. Aller travailler. La première fois qu’elle y retournait depuis l’incident. Après avoir passé les trois derniers jours enfermée dans ses quartiers, prostrée, incapable de quoi que ce soit. Elle savait que Dumbledore l’aurait laissée tranquille quelques temps, mais elle savait aussi que sa patience était très limitée. Elle savait également qu’elle serait pointée du doigt lors de la prochaine réunion de l’Ordre. Pour avoir voulu s’opposer à lui. C’était la première fois qu’elle désobéissait à un ordre direct. Oh, bien sûr, il lui était arrivé de ne pas respecter les règles, surtout lorsqu’elle était en France et qu’elle cherchait à identifier les limites à ne pas franchir. Elle n’avait pas toujours été facile à mater. Mais jamais elle n’aurait désobéi au directeur à l’époque, elle lui vouait un culte. Aujourd’hui, c’était différent. Déjà, parce qu’elle s’était rendu compte que Dumbledore n’était pas l’incarnation de Dieu sur Terre. Ensuite, parce qu’elle avait compris qu’elle n’était pas faite pour ça, qu’elle n’était pas heureuse. Certes, elle avait pris goût à la vengeance, elle aimait être borderline avec le danger et elle détestait l’inactivité. Mais elle ne supportait que très mal l’idée de faire souffrir. Bon d’accord, elle avait brisé quelques os et tiré quelques coups de feu quand Dylan l’entraînait à différentes sortes de combats ou au tir, mais jamais de là à mettre la vie de quelqu’un en danger. Avec le petit garçon, c’avait été la première fois qu’elle voyait la mort de si près depuis Camille. La première fois qu’on lui avait attribué le droit de vie ou de mort sur un être humain. La première fois qu’elle voyait quelqu’un assassiner froidement un enfant. Dumbledore lui avait toujours évité ça, il l’avait toujours protégée. Mais il était loin, ce temps-là.
En sortant de sa chambre, Leah prit le temps de s’appuyer contre la porte qu’elle venait de fermer pour réfléchir. Elle ne voulait pas descendre. Mais si elle ne descendait pas, alors ce serait pire. Elle le savait, et pourtant, elle poussa la porte la tête haute et entra dans la Grande Salle. Toutes les têtes se tournèrent vers le nouvel arrivant et, l’espace d’une seconde, le temps parut s’arrêter. Un silence assourdissant se fit dans la pièce, et les regards de ses collègues, plus ou moins compatissants, s’attardèrent sur elle. Il semblerait que tout le monde soit au courant. Certes, ils avaient dû se douter de quelque chose en ne la voyant pas trois jours durant. Mais leur attention surdimensionnée laissait deviner qu’ils savaient, au moins en partie. Elle croisa le regard d’Ezra, qui esquissa un mouvement pour la rejoindre mais, d’un signe quasiment imperceptible de la tête, elle le fit renoncer. Lentement, calmement, elle traversa le couloir formé par les tables des élèves, les talons de ses escarpins martelant le sol dans un rythme régulier. Son visage était froid, inexpressif, ignorant superbement les quelques paires d’yeux qui la suivaient, curieuses de savoir ce qui allait se passer. Avec son jean déchiré aux genoux, son t-shirt blanc et sa veste, il faut dire qu’elle était loin de l’image qu’elle donnait habituellement. Elle dépassa les tables des élèves et continua jusqu’à l’extrémité de la table des professeurs, tout au fond de la Grande Salle, s’installant à la droite de l’infirmière. Enfin, après deux longues minutes durant lesquelles elle était restée droite et silencieuse, le brouhaha recommença tranquillement.
Ainsi se déroula la journée. Aussi normalement que le permettaient les circonstances. Aussi normalement que si la fameuse nuit trois jours auparavant n’avait jamais eu lieu. Et Leah enviait tous les adolescents à qui elle faisait cours. Pour eux, cela n’avait jamais eu lieu. Bien sûr, ils étaient loin d’être naïfs, innocents. Ils savaient tous plus ou moins qu’il y avait une lutte là-dehors. Même à l’intérieur de ces murs.
Elle ne redescendit pas pour le déjeuner, encore moins pour le dîner. Son estomac était noué, et elle savait qu’elle aurait été incapable d’avaler quoi que ce soit sans avoir immédiatement la nausée. Alors Leah retourna à sa chambre, balançant ses chaussures sans le moindre ménagement, laissant sa veste tomber de ses épaules n’importe où dans la pièce. Elle n’était pas dans son état normal, d’aucun la connaissant sincèrement et l’ayant vue ainsi aurait pu le certifier. D’un sort incertain, elle changea un vase en bouteille de whisky, elle l’attrapa par le goulot et alla s’installer sur une chaise, en plein milieu de la pièce. Un sort d’attraction plus tard, et elle avait en main le même flacon de cachets que le matin. Elle le fit glisser dans sa gorge à l’aide d’une bonne rasade de whisky, sa baguette à présent jetée sur le lit maintenant qu’elle avait de nouveau plongé la pièce dans une obscurité totale, au plus loin d’elle. L’un de ses bras reposait sur le dossier de la chaise, son front contre son avant-bras, tandis que ses jambes passaient de chaque côté du dossier. Elle avait gardé la bouteille dans sa main libre, et le flacon, qu’elle avait laissé tomber, avait déversé son contenu sur le sol. Elle s’en fichait. Elle voulait juste que son cocktail agisse rapidement, et qu’elle oublie.
C’était l’avantage de l’alcool quand on ne le tenait pas bien. Il agissait vite. Plongée dans un brouillard cotonneux, Leah entendit la porte s’ouvrir. Elle aurait incapable de dire qui venait d’entrer si elle n’avait eu ce fichu instinct du cœur. En se rendant compte que Lysander venait de pénétrer dans son sacrosaint cocon, elle poussa un grognement. Heureusement, et peut-être que c’était grâce aux effluves de la bouteille restée ouverte, il ne fit aucun geste pour remettre un peu de lumière dans la pièce. Il lui fallut certainement quelques secondes pour s’habituer à l’obscurité ambiante pour distinguer l’état de la chambre, et son état à elle. S’il dit quelque chose, Leah n’en comprit pas un mot. Elle sentit juste une paire de mains relever sa tête, et comprit qu’il s’était accroupi pour être à hauteur de son visage. De l’un de ses pouces, il essuya ses joues, où, sans qu’elle en ait conscience, des larmes avaient coulé. Et peut-être qu’il ne lui en fallut pas plus. La bouteille lui fit prise des mains, et avant qu’elle ait pu ne serait-ce que protester, elle se sentit soulevée, posée sur une de ses hanches comme un enfant qu’on aurait besoin de bercer. Puis elle sentit le moelleux de son matelas, la respiration de Lysander contre son front, une main dans ses cheveux, l’autre ayant joint ses doigts à ceux de Leah. Alors elle ferma les yeux.
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Elle dormait d’un sommeil lourd et profond. Il aurait fallu une attaque nucléaire pour la faire sortir de son repos. Depuis quand n’avait-elle pas dormi aussi profondément ? Aussi sereinement ? Elle n’avait jamais dormi ainsi. Son sommeil avait toujours été agité, par des rêves ou des cauchemars. Même du temps où sa Camille était encore en vie, même du temps où il n’était pas encore question de tout abandonner. Il l’apaisait. Elle avait sombré dans ce profond sommeil lorsqu’elle s’était allongée près de lui. Dans son sommeil il avait probablement enlacé la taille de la jeune femme car lorsqu’elle s’était réveillée en pleine nuit inquiète de cette chaleur qui la berçait, elle s’était découverte allongée contre son flanc, la tête posée contre son cœur. Un sourire sur les lèvres, elle s’était rendormie aussi tôt. Elle dormait si paisiblement que son inconscient lui envoyait des signaux d’alarmes. Elle était d’un naturel méfiant, les cauchemars ne restaient jamais très longtemps éloignés d’elle. Elle ne baissait jamais réellement la garde pour se préserver de ces rêves. Elle ne laissait jamais son esprit se reposer complètement, elle restait toujours en surface, laissant sa conscience se reposer tout en luttant contre son inconscient. Elle était vulnérable aujourd’hui. Elle avait abaissé les défenses de son esprit, sombrant dans l’inconscient le plus total. Elle savait que près de lui, elle ne risquait rien à se laisser happer par le sommeil. Elle ne risquait rien auprès de lui. Les souvenirs étaient moins douloureux, les rêves moins agressifs. Elle dormait, et pour la première fois depuis huit ans, aucun rêve ni aucun cauchemar ne vint troubler son sommeil. Allongée près de lui dans cette chambre plongée dans l’obscurité, elle ne craignait rien et prenait un repos mérité qui l’aiderait à assimiler tout ce qui s’était passé en une seule semaine.
Finalement, elle s’était réveillée au petit matin, un timide rayon de soleil éclairant à peine la chambre. Cela lui permettait cependant d’en distinguer les contours. Leah se redressa sur un coude, son mouvement tirant son oreiller humain de son propre sommeil, attirant à nouveau sur lui le regard de la jeune femme. Elle aurait voulu le remercier d’être resté, de l’avoir aidé à chasser le mal-être dont elle avait souffert encore plus ces trois derniers jours. Juste un petit bisou, juste un contact d’une micro seconde ne laissant pas le temps à l’envie de s’installer, juste un tout petit, rien qu’un tout petit. Voilà ce qu’elle se répétait à mesure que son visage s’approchait du sien, que son souffle chaud gagnait ses joues et que ses prunelles redécouvraient la beauté masculine de son faciès. Juste un nano-contact. Rien de plus. Ses lèvres contre les siennes, se pressant doucement avant de s’éloigner, continuait-elle de se répéter alors qu’elle sentait la pulpe de ses lèvres entrer en contact avec les siennes. L’étape suivante était la douce pression, puis l’éloignement.
Et douce pression, il y eut… Éloignement, beaucoup moins. Elle avait été trop présomptueuse en sous-estimant l’effet de manque qu’ils subissaient depuis la séparation forcée par ses soins. Ce n’était pas la durée, ni la précipitation de l’acte qui les affectait, non c’était tout ce qui précédait, tout ce qui les entourait, le parfum de l’autre, son souffle, sa proximité, sa main négligemment posée sur une épaule, et puis son goût. Oh oui, son goût, celui qu’elle récoltait en ce moment même sur ses lèvres qu’elle appréciait sans retenue. Ce qui aurait dû être un simple baiser se transforma dès que le réflexe s’opéra : elle entrouvrit les lèvres pour le laisser passer.
Comme la première fois, ou plutôt comme leur nouvelle première fois il y avait quelques jours, comme dans cet immense parc où ils se croyaient à l’abri des regards indiscrets, elle lui offrit plus que ses lèvres. D’abord timidement, se surprenant autant qu’elle le surprenait, mais sans jamais avoir le moindre contrôle sur ce qui se produisait, puis avec plus de hardiesse. Ses doigts cavalèrent le long de son bras, remontant jusqu’à l’épaule, puis la nuque, avant de l’approcher davantage d’elle d’une simple pression. La gourmandise des ses lèvres n’eut d’égal que la gourmandise de ses gestes, alors qu’elle le décoiffait ostensiblement en enfonçant ses doigts écartés dans ses mèches. Il n’était pas en reste, il s’était laissé emporté en même temps qu’elle, comme s’il ne possédait plus de résistance. Au loin, comme au travers d’une tempête battant son plein, elle entendit le bruit de portes qui se refermaient, probablement leurs collègues qui descendaient prendre le petit-déjeuner, mais n’y prêta pas la moindre attention. Au contraire, elle redoubla d’impudeur contre ses lèvres, les pressant comme si sa vie en dépendait, les capturant entre ses dents avec douceur, tour à tour, martyrisant celle du bas, avant de cajoler entre les siennes, celle du haut, inclinant le visage pour mieux s’offrir, tout en s’accrochant désespérément à lui pour que jamais, il ne puisse mettre fin à ce baiser.
Il ne semblait pas en avoir l’intention, répondant avec toujours plus d’audace à son baiser, à ses caresses, glissant le bout de ses doigts dans l’échancrure de son haut, à la naissance de la chute de ses reins, avant de les remonter le long de son dos nu. Pour sa part, Leah, les coudes posés sur chaque épaule de Lysander, encadrait sa tête de ses mains, glissant dans ses cheveux, le bloquant dans la meilleure de position pour garder ses lèvres captives.
Mon passé, c'est les trois quarts de mon présent. Je rêve plus que je ne vis, et je rêve en arrière.