Can't forget you after all
La chaleur est toujours insupportable malgré le mois qui normalement aurait dû se rafraîchir. La pluie et le vent n’y ont rien changé. Même l’atmosphère lugubre qui règne parfois dans les rues en raison rumeurs sur les mangemorts n’a rien changé à cette ambiance four. Je suis sortie prendre un peu l’air pendant que ma co-propriétaire et gérante du Rolling Scones s’occupe. Nul doute qu’elle saura s’y prendre puisque ce n’est pas la première fois que je m’éclipse. Parfois, je suis contraint de le faire même quand je n’en ai aucune envie. Tel est le destin du vieux loup que je suis. J’ai un sourire amer tandis que je tire une cigarette de la poche arrière de mon pantalon pour la coincer entre mes dents. Comme si ce brasier n’était pas assez chaud pour que j’en rajoute. Mais les petits plaisirs mortels ont toujours fait partie de mon quotidien et si j’en évite certains, les autres je les savoure, comme une revanche à cette vie qui n’aurait pas dû être la mienne.
Une main dans une poche, l’autre en train d’allumer mon poison, j’avance et m’éloigne un peu plus de ce refuge. Je m’y sens plus chez moi que dans mon appartement sur la même rue. J’ai souvent espéré que ce travail pourrait annihiler ma compétence particulière à pousser des « awou » durant la pleine lune. Je l’ai tellement espéré que j’en ai rêvé très souvent. Et à mon plus grand regret la magie ne s’est pas opéré cette fois. Il n’empêche que je n’ai jamais causé d’incident et je suis convaincu que c’est grâce à ça et à ce tempérament assez calme que j’ai. Même si, je sais qu’il m’est impossible de réprimer ces pulsions nerveuses derrière cette apparence si réservée. Je suis bel et bien sauvage dans ma façon d’être comme par cette bête qui m’habite et revête son manteau de neige pour n’avoir plus rien en commun avec l’hôte que je suis.
Je soupire, secoue les épaules rapidement et poursuis mon chemin sans destination particulière. J’ai pensé qu’un petit tour me ferait du bien, mais je n’ai qu’une hâte : y retourner. Trêve de bavardage, je souffle une fumée blanche et toxique, plus haut que les autres, ça ne dérangera aucun passant si ce n’est l’odeur de nicotine présente dans l’air à mon passage. Mais qui sont-ils pour me juger ? ça ne durera qu’une seconde… le temps que dans mon esprit se forme une petite liste d’ingrédients manquant et potentiellement utiles pour de nouvelles créations savoureuses à en faire danser les papilles de quiconque. Je suis loin d’être prétentieux, mais loin d’être con aussi. Je sais ce que je fais, puisque j’aime le faire et je sais que c’est bon.
Sur cette pensée, je relève les yeux pour me rendre compte qu’un visage plus que les autres m’attire et j’ai tort de plonger l’azur de mon regard dans le sien. Parce que j’y reconnais immédiatement celui, plus vif et plus brulant d’une ancienne camarade au tempérament tout aussi enflammé. Ma pomme d’Adam danse dans des mouvements du haut vers le bas tandis que je fais mine d’ignorer cette rencontre pour le bien de tous. Ma cigarette bientôt terminée sera rapidement jetée vers une poubelle prévue à cet effet et, par chance ou par une coïncidence presque démente, la direction opposée à cette charmante connaissance que je prends soin d’éviter. Il y a bien trop peu de monde pour que je me fonde dans la masse au cas où elle se retournerait, bien que je ne voie aucune raison pour laquelle elle le ferait. Elle ne doit pas se souvenir de moi. J’ai bien changé depuis, et c’est tant mieux. Un atout qui m’a bien des fois sortis de situations similaires auprès d’autres camarades que je trouvais bien moins charmants et qui ont perdus plus d’estimes encore.
Le problème de celle-ci, c’est que mon estime n’a jamais dépéri au fil des années. Pas pour cette créature sortie tout droit d’un rêve. Je n’ai jamais pu envisager faire partie de son monde. Une raison évidente s’impose à moi à chaque fois que j’essaie : et si tu la mordais ?
Je ne me le pardonnerais jamais. Il est donc primordial que je demeure à jamais ce mystérieux inconnu au regard étrangement familier, si tenté qu’elle ait souvenir de mes très, autrefois bien plus féminins. Je jette le mégot au préalable pincé entre mes doigts souffle sur ces derniers et essuie rapidement la cendre en frottant mes mains, puis, les engouffre de nouveau dans la chaleur ardente de mes poches. Plus vite je m’en irais d’ici, mieux ce sera pour tout le monde. Ces souvenirs sont bien assez douloureux pour que je me les remémore encore. Car, ce n’est pas la première fois que je croise ce visage. D’ordinaire il n’est que dans certains rêves incontrôlés. Elle me hante sans le vouloir et bien que je me surprenne parfois à penser ce que j’aurais fait si j’avais été normal, je chasse rapidement son image. Je n’ai pas le droit. Je n’ai aucune chance. Je ne dois pas. Tu dois sortir de ma tête une bonne fois pour toute. Si j’avais été plus doué, j’aurais effacé de ma mémoire certains souvenir toujours douloureux quand on les sorts de leurs boites. Mais je ne suis pas certain de pouvoir l’oublier elle et c’est un véritable problème, une torture que je m’inflige et m’infligerais à chaque fois que j’y penserais.
Je me demande si ce sera toujours pareil, si cette impression que mon cœur se comprime à chaque rencontre avec ce passé qui me rattrape toujours d’une façon ou d’une autre sera douloureuse et me forcera, comme maintenant à ravaler si difficilement ma salive. Je me demande si ce n’est qu’à moi que ça fait cet effet et je suppose que oui, puisque bien peu peuvent comprendre mes souffrances. Sans pour autant être les pires, elles resteront une expérience que je n’ai pas vraiment envie de renouveler, bien qu’elles m’aient aidé à devenir celui que je suis aujourd’hui. Et toi, Janelle Palmer, qu’est-ce que tu ressens quand tu fais face à un élément du passé ?