La souffrance : affliction mettant chaque individu sur un pied d'égalité. Elle les divisait toutefois dans la gestion qu'ils pouvaient en avoir. Quand certains comme Calixte ou encore Lullaby noyaient leur désarroi dans l'alcool, Zephir tentait en vain d'affronter ses démons. Une lourde tâche. Exténuante même, surtout avec sa détermination à la fragilité légendaire. Combien de fois avait-elle déjà cédé aux pressions constantes. Cette lutte continuelle pesait sur le moral déjà bien entamé de l'héritière Yaxley. La tentation d'un liquide aux vertus relaxantes louées par tant de jeunes de son âge avait été écartée bien années de cela. Zeph' se souvenait très clairement de cette soirée où plusieurs verres de whisky pur feu avaient amoindri sa vigilance. En proie à des soucis bien plus légers à l'époque, cela avait tout de même suffit à la bête pour asseoir sa domination écrasante. Extériorisant enfin le malêtre dans lequel elle était prisonnière, il était apparu, tel un dieu salvateur et destructeur. La rage dans laquelle elle était entrée avait été un motif concevable d'éloignement de certaines connaissances. Dès lors, la jeune louve avait éloigné cet échappatoire de la liste, ne lui laissant plus vraiment d'autre alternative que de faire face à ce déchirement devenu de plus en plus oppressant.
Si chaque période de vacances était synonyme de tensions et menaces en tout genre, cette fois-ci elles avaient été bien plus intenses. Mêlant confrontations, transformation lupine douloureuse ainsi qu'énième trahison ; les épreuves ne s'étaient pas arrêtées là. Entre une pénible rencontre à Londres, des explications éprouvantes avec son ancien meilleur ami ainsi que la découverte de ses fiançailles, Zephir avait touché le fond. Ainsi, depuis le mois de janvier, la jeune louve à la chevelure couleur des blés errait sans but apparent dans l'enceinte du château, n'étant plus que l'ombre d'elle-même. À en juger par le nombre d'étudiants dont l'état mental se dégradait significativement depuis ces derniers mois, il fallait croire que le marasme était devenu un maux populaire au sein de l'école. Au diable les autres élèves et leurs plaies ! Zephir avait déjà assez de mal comme ça avec ses propres démons. Fuyant comme la peste toute forme de rapports sociaux, le loup-garou de l'école sombrait dans les abysses insondables de sa solitude. Toute paroi à laquelle elle aurait pu se raccrocher s'était étiolée sous ses ongles, terre poreuse au goût amer. La Yaxley pouvait alors contempler, gisant à ses côtés, les débris de sa santé mentale, agonisante dans d'insoutenables soubresauts.
Extérioriser sa peine ? Jamais ! C'était pour les faibles et les femmes. Comme quoi, ce formatage de quatorze ans avait réussi à laisser une trace durable. L'exception, sa fissure dans cette carapace de violence n'étant plus qu'un pâle souvenir, Zephir avait presque oublié comment mettre des mots sur ses sentiments. Mur de silence dont chaque émotion était bannie pour ne plus laisser paraître qu'une jeune femme forte, visiblement insensible aux aléas de sa vie chaotique. Voilà ce qu'il en avait fait, ce monstre de contrôle aux brimades incessantes. Monsieur Yaxley serait fier de sa fille aînée si cette dernière n'avait pas été un lycan qui, en faisant l'ignominie de venir au monde, lui avait ôté sa douce promise tout en l'humiliant de son sexe. Comment pourrait-elle un peu plus trainer son illustre patronyme dans la boue ? Impossible. Cependant, comme si son père était toujours là, quelque part derrière son dos à scruter le moindre de ses faits et gestes, Zephir marchait sur des œufs. Parler et sympathiser avec des moldus, secourir de pauvres âmes égarées, se mettre à dos des sangs-purs, inquiéter ses professeurs par son comportement à risques, défier l'autorité ou encore se rebeller ; passe encore, mais confier ses soucis était une entrave qu'elle ne pouvait se résoudre à commettre. Une seule personne pouvait se vanter d'avoir eu droit à ce privilège. Il suffisait de savoir comment leur amitié avait terminée, engloutie par la menace du loup grondant en son sein.
Ainsi, depuis la rentrée, Zephir évitait soigneusement toute âme qui vive. Cette liberté de mouvement qui venait avec la solitude possédait quelque chose de salvateur. À l'ores du bois, observant dans le silence le plus complet les quelques élèves arpenter les étendues au vert givré par le froid, la louve repéra cette silhouette gracile dont le moindre mouvement aurait pu inspirer les plus beaux vers qui soient à n'importe quel poète torturé. Lullaby transpirait de cette féminité fascinante dont elle manquait cruellement. Dans un grognement d'agacement elle remit chaussettes et chaussures qui l'avaient attendue dans un arbre. Sentir la terre et la mer de racines sous sa voute plantaire était devenu son pêché mignon. Rien n'était plus exaltant que dévaler les pentes ardues, pieds et bras nus exposés au froid mordant. Un dernier regard et voilà que ses mains encore couvertes du sol noirâtre de la forêt s'enfouirent dans les poches de son manteau. À nouveau sous les feux de la rampe, quelques regards mêlant dégoût et crainte se posèrent sur elle. Stigmatisée comme étant une bête sanguinaire et redoutable, nombreux étaient les élèves à s'arrêter aux on-dit. Passer inaperçu parmi la foule, se faire toute petite et espérer que personne ne poserait ses yeux sur sa maigre carcasse relevait du fantasme pour Zephir. Elle avait une réputation à tenir : celle du grand méchant loup.
Le pas rapide et ses prunelles couleur océan rivées sur le sol, elle pouvait aisément sentir son amie se rapprocher dangereusement d'elle jusqu'à venir lui barrer la route. «
Arrête-toi ! Arrête-toi tout de suite Zephir ! » C'était une première : Lullaby énervée, par sa faute qui plus est. Prise au dépourvu, elle restait interdite face à sa cadette, ne comprenant pas l'origine de son courroux. «
Je t’interdis de continuer à faire ça ! Tu n’as pas le droit de faire comme si je n’existais pas ! Comme si nous n’étions pas amies ! » L'intérêt de la blonde fut un peu plus piqué par ces accusations. Qu'avait-elle donc encore bien pu faire sans en avoir, une fois de plus, conscience. Il faudrait d'ailleurs qu'elle songe à remédier à la question et le plus vite serait le mieux. La simple pensée que ses quelques amis pouvaient former une horde animée par le désir de régler leurs comptes suffisait à la mettre en panique. Une chose en son temps et à en voir par les grands gestes de la créature, cette dernière était bien loin d'en avoir fini. «
Mais je... » tente-t-elle d'articuler faiblement avant que Lulla ne se lance à nouveau dans des accusations. «
Pourquoi est-ce que tu prends tant de plaisir à m’ignorer ? Je ne t’ai rien fait que je sache ! Bien au contraire ! Je t’ai toujours soutenue ! Toujours aidé quand je le pouvais ! Je t’ai confié mes secrets, mes états d’âme alors pourquoi ? Pourquoi hein ? » C'était donc ça. Une fois de plus, en voulant protéger ceux pour qui elle avait de l'estime, Zephir n'avait réussi qu'à les blesser. Une constatation qui ne pouvait qu'attrister la louve. Elle qui faisait systématiquement passer les autres avant elle-même, la voilà confrontée à une pénible réalité : cette technique n'avait rien d'efficace.
Une réalité marqua la blonde impulsive quand les larmes de Lullaby tracèrent leur trajectoire le long de ses joues rosies : elle pouvait avoir de l'importance aux yeux des autres. Certaines personnes se souciaient véritablement d'elle. Au delà du prétendu loup-garou, de cette impétueuse créature que beaucoup craignaient, Zephir était, aussi paradoxal que cela pouvait lui sembler, importante. Une révélation qui pourrait paraître stupide et enfantine mais qui révolutionnait le monde de l'héritière Yaxley. C'était le signe que la bête n'avait pas encore complètement assis sa domination. «
Arrête de faire comme si je n’étais pas là … et explique-moi. Parce que je ne comprends pas … je ne comprends pas ce que j’ai pu faire de mal … » Cruelle ironie. Lullaby se torturait l'esprit, se mettait dans ce triste état par sa faute, par son manque de communication. Si avec certaines personnes elle se souciait peu de savoir si ses propos ou gestes étaient correctement interprétés, la jeune Emerald était une de ces rares exceptions. C'était de son devoir de la protéger, envers et contre tout. Aujourd'hui ça serait contre elle surtout. Dans un bref soupir, ses prunelles vinrent accrocher celles de son amie. Sa douleur était aussi claire que de l'eau de roche mais elle se sentit obligée d'y mettre des mots. «
Comment tu peux penser que je prends plaisir à t'ignorer ? C'est pas parce que tout le monde me prend pour un monstre que j'en suis un pour autant. » Un demi-mensonge ne fait de mal à personne. Surtout pas à elle et surtout pas en ce moment. Zephir reprit en venant doucement essuyer le résidus des larmes sur les joues de la belle brune et lui souffla, se protégeant des oreilles indiscrètes qui se baladaient ici et là. «
Je n'ai jamais voulu te faire de mal Lulla... Excuse-moi. Je suis pas franchement douée quand il s'agit de s'ouvrir un peu et parler de ce qu'on ressent. Ces deux derniers mois ont été particulièrement difficiles pour moi et j'ai cru bon de m'isoler pour ne surtout pas te mêler, toi ou quelque un d'autre, à tout ceci. J'ignorais que j'allais te blesser. » Toujours avec la plus grande délicatesse, la louve blanche vint gentiment poser une main sur son épaule après avoir dégagé son visage d'une mèche de cheveu rebelle. Lullaby avait la faculté de faire ressortir cette douceur insoupçonnée, enfouie sous des années de répression et de conditionnement. Il n'était peut-être pas judicieux d'aborder immédiatement la première chose qui l'avait frappée quand la belle créature s'était dressée face à elle. Impossible de duper son flaire aiguisé. Lulla baignait dans les fragrances d'un alcool peu recommandable pour son âge. Un triste constat pour Zephir qui s'était promise de la protéger.