Une pause de cinq minutes. Jamais Ebony aurait pu penser que ces simples instants pris seraient une erreur. Personne ne se trouvait dans l'infirmerie en cet après midi neigeux : pas un seul malade, pas un blessé ni même un enfant qui manqua un sort. Non, c'était le calme plat. Alors oui, elle s'octroya ces cinq minutes tout en songeant que si quelqu'un aurait besoin d'elle, il n'aurait qu'à s'installer sur un lit et attendre quelques secondes. Rien de très grave et pourtant. Elle était juste descendue pour observer la neige tomber. Elle s'émerveillait devant les choses simples et ce temps, elle le jugeait magnifique. Perdue dans son monde où tout semblait si beau, Ebony aimait à penser que peut être un jour le monde serait simple, un peu comme elle. De plus, elle était une grande enfant. Après avoir jeté un bref regard à sa montre, elle afficha un sourire. Elle tourna les talons, se dirigeant donc au premier étage. Là où l'attendait son infirmerie, toujours vide, elle l'espérait. En franchissant le seuil de la porte, elle s'immobilisa. Un bruit venait de son bureau , ou tout du moins de la réserve qui se trouvait juste derrière la porte. Elle détestait ranger ses flacons , fioles dans un placard, alors on lui avait montré une sorte de débarras, une arrière boutique auraient pu dire des commerçants. Elle se mordilla la lèvre inférieure, comprenant sans peine que quelqu'un était en train de prendre quelque chose sans sa permission. Plus exactement, on la volait. Et elle n'aimait pas du tout ça. Qu'on ne l'aime pas, c'était une chose, qu'on lui manque de respect, c'en était une autre. Et voilà une marque d'impolitesse flagrante. Ebony pensait sincèrement être suffisamment compréhensive pour qu'on vienne lui demander de l'aide. Rouge de colère, elle parcourut les quelques mètres qui la séparait du garnement réfractaire au règlement.
Quand elle arriva près de son bureau, elle se figea de nouveau. Quelle ne fut pas sa surprise en découvrant des cheveux blonds et des yeux clairs, accompagnés d'un regard quelque peu revêche, sauvage et d'une cravate à l’effigie des serpentards. Surprise et agacement se mêlèrent dans son esprit. Zephir Yaxley ne semblait n'éprouver aucune sympathie à son égard, et l'éviter même parfois, mais de là à lui faire un coup pareil, Ebony ne l'aurait jamais pu imaginer. Non, elle ne rêvait pas. La septième année se tenait bien là, cherchant quelque chose. Quoi ? Ebony l'ignorait. Et pour le coup, elle s'en moquait éperdument. Faire dans la charité, elle voulait bien. Se montrer gentille, douce et tolérante aussi. Mais laisser passer ça, c'était au dessus de ses forces. Elle rassembla alors ses esprits et s'approcha alors de la vipère. « Non, mais je rêve ! » Cette simple phrase exprimait à la perfection ce qu'elle ressentait. De l'incompréhension, du mécontentement et aussi une certaine dose de mépris. Elle ne pouvait le nier. Pour elle, cette manière d'agir était méprisable. Et pourtant, il en fallait beaucoup pour attiser autant de ressentiment de sa part. Elle agita sa baguette pour récupérer ce que la gamine -car dans le fond, elle ne valait guère plus qu'une enfant dans ce cas-là- avait en main. Et observa le liquide qui s'y trouvait. Sans plus prêter d'attention au contenu, elle reporta son regard sur Zephir. Elle ne s'en sortirait pas comme ça. Elle passera sur le grill, quoiqu'il en coûte. Quitte à passer des heures à lui expliquer le fond de sa pensée, Ebony s'en moquait de perdre son temps. Qu'elle change ou pas, ça n'avait plus d'importance à ses yeux. Mais il fallait qu'elle saisisse que l'infirmière, bien qu'elle fut assez jeune, ne se laisserait pas faire et qu'on ne pouvait pas se moquer de la sorte sans en payer le prix. « Que tu ne souhaites pas que je t'aide, ça je m'en fiche, c'est ton problème. » Dit-elle alors en plongeant ses yeux chocolat dans ceux si clairs de la louve. « Mais que tu t'abaisses à ça... Il n'y a pas de mot pour décrire à quel point c'est pathétique. » Car il fallait vraiment avoir peu d'estime et de confiance en l'autre pour ne pas lui demander une potion. Il fallait vraiment beaucoup de choses pour en arriver là. Et Ebony se demandait bien ce qui la poussait à agir comme ça avec elle. Après tout, à part s'inquiéter pour elle, Ebony n'avait jamais fait aucun mal. Elle avait juste tenté des approches logiques qu'une infirmière ferait quand elle remarquerait qu'une patiente ne va vraiment pas bien. Mais elle se doutait que Zephir était récalcitrante, que ce ne serait pas facile de gagner sa confiance, un peu comme avec Cassie. « Juste m'informer de ce que tu souhaites, c'est trop te demander visiblement. » Reprit-elle avant de pincer les lèvres en voyant le ridicule de la situation. « C'est quoi ton problème à la fin ? Que tu ne veuilles pas me confier tes peines, c'est ton droit, mais ne me prends pas pour une idiote. Tu ne peux pas te servir ici comme si je n'existais pas. » Elle ne pouvait pas se permettre cela, voler en toute impunité. Elle soupira, exaspérée. « Tu ne souhaites pas qu'on te pose de question, je le comprends tout à fait. Mais c'est en réagissant comme ça que tu pousses les gens à t'interroger. Ce n'est pas en t'enfermant sur toi-même que les autres te laisseront seule au contraire. » Puis elle marqua une pause. Elle resta immobile durant une fraction de seconde : « Je te pensais assez réfléchie pour comprendre que je t'aurais donner ça sans hésiter si tu me l'avais simplement demandé. » Ebony était souvent entêtée. Mais au bout d'un moment, elle avait marre de se battre contre ces pseudos rebelles, qui se croyaient seuls au monde, ou tout permis, qui peuplaient Poudlard. Un trop plein de fierté. Ou alors une trop grande honte de ce qu'ils étaient. Elle acceptait tout ça. Pourtant elle s'efforçait d'instaurer un climat de confiance.
« En cas de lésion superficielle, purifiez la plaie en la lavant à l'eau chaude et exécutez un sort de cautérisation. Si l'infection persiste, tentez de refermer à l'aide de la potion de régénération sanguine. Cette dernière purifiera le sang et aidera à cicatriser la plaie plus rapidement. »
Il n'y avait plus d'autre alternative : elle devait se procurer cette mixture. Certes, sa dernière transformation remontait à plusieurs semaines toutefois, les stigmates de cette nuit agitée peuplaient encore sa peau de porcelaine. Bien qu'habituée à ces marques disgracieuses, témoins silencieux de sa double personnalité, Zephir se faisait violence pour soigner chacune d'entre elles afin d'en minimiser l'envergure. Une entreprise qui, au fil des années, s'était complexifiée. Si, durant ses premières escapades les blessures n'avaient jamais été bien sérieuses, celles qu'elle récoltait depuis deux ans appartenaient à une toute nouvelle catégorie. Impossible, surtout compte tenu de ses piètres compétences en la matière, de confectionner ses propres remèdes. À croire que son machiavélique père avait tout prévu. Quoi qu'il en soit, subtiliser une potion par-ci et un onguent par-là était sa seule option. Un geste dont elle ne retirait aucune fierté mais quelle autre solution s'offrait à elle ? Exposer sa frêle enveloppe meurtrie au regard aiguisé de l'infirmière était bien la dernière chose censée qui lui viendrait à l'esprit. Aussi-tôt aurait-elle découvert son état qu'elle se serait précipitée chez le directeur pour l'avertir de sa conduite. Il était déjà assez inconfortable pour la louve de se plier aux continuelles recommandations et potions tue-loup de ses professeurs sans qu'on vienne se pencher sur son état mental. En quel honneur serait-elle la seule à devoir subir des séances de psy forcées ? Zephir était loin d'être la seule âme en peine errant dans les couloirs sombres et humides du château. Toutefois, et pour son plus grand malheur, elle était bel et bien la seule à se transformer en loup sanguinaire une fois la lune devenue pleine.
Une fois de plus, avec la discrétion que sa nature lupine lui permettait, elle se glissa dans l'infirmerie. Il régnait dans cette vaste pièce à la voûte arquée une odeur d'éthanol des plus désagréable. Son odorat canin en était systématiquement troublé. Désaccommodée, une intense concentration lui était nécessaire afin de ne pas se laisser aller à des gestes incontrôlés. Par chance, le forfait n'avait rien de bien complexe. La confiance que plaçait la jeune maîtresse des lieux en ses potentiels patients transformait tout « crime » en véritable jeu d'enfant. Ainsi, comme elle avait pu le faire par le passé, Zephir poussa la porte du bureau et se dirigea immédiatement vers la réserve à potions pour chercher celle qui règlerait ses problèmes actuels. Cette pièce, véritable caverne d'Ali-Baba de fioles en tout genre contenant des liquides qui pouvaient aller d'un noir profond à un blanc limpide en passant par du rose bonbon fluorescent. Ce spectacle s'offrant à elle lui fit oublier l'espace de quelques secondes son but premier. L'éthanol y était également pour quelque chose. Ressaisissant ses esprits, elle eut à peine le temps d'entourer la fiole de ses doigts oblong qu'un bruit de pas la surpris. Une mésaventure qui ne lui serait certainement pas arrivée si ses sens n'avaient pas été abrutis par l'odeur parasite.
« Non, mais je rêve ! » Cette fois-ci elle n'allait pas y couper. Se faire prendre comme un bleu alors qu'elle avait déjà subtilisé plusieurs potions sans jamais devoir affronter le courroux de la jeune femme était humiliant. Blessée dans sa fierté, Zephir se redressa, fiole en main et planta son regard mutin dans le sien. La seule chose qui pouvait ébranler son aplomb était l'éventualité d'un rapport au directeur. Le visage fermé, elle abandonna la potion au profit de sa propriétaire voyant là ses chances de refermer les plaies habitant son dos s'envoler. Ce fut avec un calme olympien presque inquiétant qu'elle encaissa les reproches de mademoiselle Lancaster. Il ne faisait aucun doute que cette dernière n'avait jamais eu à faire à pareil forfait auparavant, sans quoi ses propos auraient été tout autre. Contenant de profonds soupirs d'exaspération, elle s'amusait à analyser la moindre expression passant sur le visage harmonieux de son aînée. Nul doute qu'elle était bel et bien en colère. Toutefois, ses paroles suscitaient plus l'amusement que la crainte chez la jeune voleuse. Pas de chance. Ainsi, quand l'infirmière eut fini de la sermonner, Zephir entreprit de se justifier. « Vraiment ? Vous auriez accepté de me donner une potion de régénération sanguine sans poser la moindre question ni vouloir m'aider ? Vous ? Soyons sérieux... Vous pouvez pas vous en empêcher : aider les autres. Alors vous imaginez bien que j'allais pas vous demander une telle chose. Tout comme il y a trois semaines j'allais pas vous demander de l'essence de dictame en espérant m'en sortir si facilement. » Elle marqua une pause et baissa les yeux sur la potion qui avait rejoint la main d'Ebony. D'après ce qu'elle connaissait de la jeune femme, venir subtiliser les remèdes dont elle avait besoin dans son armoire semblait la façon la plus aisée pour s'en tirer sans le moindre problème. Qui plus est, discuter n'avait jamais été le fort de la vipère. « Vous me laissez pas d'autre choix, vous et les autres professeurs. Je sais pertinemment que vous me gardez à l'oeil. Cette lycanthrope de Yaxley qui doit être maîtrisée, contrôlée. Me faites pas croire que mon sort vous intéresse vraiment. Tout ce qui compte pour vous et tous les autres c'est que j'éventre pas un de mes camarades pendant un accès de rage. Soyez rassurée, j'ai pas l'intention de m'abaisser à ça. Par contre, si je dois en être réduite à voler dans votre réserve pour des potions de guérison, je ne vois pas ce qui m'en empêcherait. Vous me gavez déjà avec vos potions tue-loup expérimentales et autre contrôleurs d'hormones, je vais pas en plus vous permettre d'accéder à mes états d'âme, ça ne concerne que moi. » Le ton glacial de la jeune louve laissait parfaitement transparaître le dégoût que lui inspirait ses professeurs. Dans le fond, ils ne valaient pas mieux que son père et monsieur Webster, tentant en vain de la transformer en loup de compagnie. Dieu seul sait ce qu'ils comptaient réellement faire de sa malédiction. Ainsi, la seule et unique chose qui lui restait c'était bien son mental. Le droit de perdre pied, de se laisser aller aux plus bas instincts et laisser la violence de la bête léser sa peau de porcelaine. Zephir n'avait pas trouver mieux pour se sentir vivante que de se blesser, de souffrir physiquement. Un appel à l'aide silencieux, détourné, camouflant à merveille son désarroi mental. Qu'importe. Personne ne devait être au courant et surtout pas l'infirmière.
Ses yeux se reportèrent sur le visage de la jeune femme. Après qu'un bref soupir ait quitté sa lippe, Zephir s'exprima à nouveau, le visage fermé. « Vous avez deux solutions. Vous pouvez me remettre la potion et prétendre que vous ne m'avez pas vu, exécutant quelque part votre métier puisque vous m'aidez en fermant les yeux. Ou bien, et croyez bien que cette alternative ne fera qu'altérer l'opinion que j'ai de vous, vous pouvez décider de ne pas me la donner et me faire payer pour mon geste. À vous de voir. » Si en apparence l'héritière laissait un choix à la jeune femme, il en était tout autre. En effet, elle jouait subtilement avec le besoin presque maladif d'aider les autres qui caractérisait Lancaster. Certes, sa tactique n'était pas des plus fine mais qu'importe, elle n'avait nullement l'intention de dissimuler cette pseudo-manipulation.