Il n'y avait personne ce samedi là. La plupart des étudiants étaient de sortie à Pré-au-Lard, pour savourer les derniers jours de l'été indien avant de ne sombrer dans les rafales de vent de l'automne. Je n'étais pas sortie, car j'étais malade. La gorge me brûlait et mes yeux étaient gonflés par le manque de sommeil. Poppy me tannait pour aller voir l'infirmière, mais je répugnais à me soigner par la magie pour des choses aussi idiotes qu'un rhume, l'infirmière avait sans doute mieux à faire. Je me réfugiais donc à la bibliothèque, un livre d'image à la main et décidai d'y passer toute mon après-midi pour éviter de regarder désespérément par la fenêtre en espérant guérir miraculeusement pour rejoindre mes amis. Plongée dans ma lecture, je sursautai au son d'une voix grave et suave. « Est-ce que tu peux m'aider ? » Il me dévisage, un léger sourire aux lèvres. Son attitude ne me plaît pas, surtout connaissant le personnage. Rowan Black de son nom ne peut décemment pas demander de l'aide à de la vermine comme moi. J'attends donc la plaisanterie, la moquerie, l'injure qui va suivre sans daigner répondre. J'ai appris au fil du temps, que le mieux est encore de les ignorer. « J'ai vraiment besoin de ton aide Amaryllis, je sais que tu es très douée pour les dissertations et je n'arrive pas à comprendre mon sujet. Je ne serais pas là, un samedi après-midi, si je n'étais vraiment pas bloqué. » J'attends encore. « S'il te plaît ? » Je me fends d'un sourire et claque le livre entre mes mains. Dissertation, Rowan et moi : à nous trois!
C'est ainsi que nous nous sommes rencontrés pour la première fois. À l'abris des regards, dans la chaleur paisible de la bibliothèque. Nous avons passé l'après-midi à résoudre ses devoirs, entrecoupant la corvée de larges pauses où il me racontait un peu son quotidien, mais posait surtout beaucoup de questions à mon propos. Je le laissais faire, en essayant de rester vague… ces informations pourraient atterrir entre de mauvaises mains et un autre Serpentard ne ferait pas bon usage de mon passé peu glorieux de Bristol.

« Amaryllis ? » Je souris. « Tu es bien la seule personne sur terre à m'appeler ainsi. Qu'est-ce que tu reproches tant à Bliss ? » Il hausse les épaules. Je vois bien qu'il se fiche de ma question, j'ai interrompu la sienne et cela le contrarie, mais il prend le soin de me répondre. « Tu n'es pas si heureuse que tu en as l'air. Bliss signifie bien bonheur, non ? Alors ça ne te va pas. J'essaie de comprendre ce qui se cache derrière ton sourire. De plus, je trouve qu'Amaryllis est très joli, je ne vois pas pourquoi tu t'en caches. » À mon tour d'hausser les épaules. « Qu'est-ce que tu veux Rowan ? Tu ne devrais pas traîner avec ta petite bande très privée ? » Il fronce les sourcils et m'emboîte le pas vers le parc. « Tu es injuste avec eux, ils sont sympas quand on les connaît. Et puis, j'aime autant être avec toi. » Je l'attrape par la main et l'entraîne vers un arbre. J'ignore ce qui me pousse à agir aussi librement, sans être gênée. Avec Rowan, tout semble facile. Ma démarche maladroite s'envole, je parle plus facilement, j'agit comme je le veux vraiment sans m'encombrer de ma timidité habituelle. « Aurais-tu l'honneur de me dire ce qui te plaît tant dans ma compagnie ? » Il sourit, me fait tourner sur moi-même avant de me rattraper dans ses bras. « Tu es simple, drôle. Et très jolie. Je crois que je t'aime bien Amaryllis Ginzburg. » Sur ce, il ne trouve rien de mieux à faire que de poser ses lèvres sur les miennes, et moi de répliquer en m'appliquant à lui rendre son baiser.

« C'est une erreur. » Ses mots résonnent dans mon esprit. Même plusieurs jours après avoir quitté cette maudite bibliothèque, je ne m'en remets toujours pas. Comment peut-on changer d'avis aussi vite ? Comment peut-on être si gentil et devenir un de ces monstres cruels de Serpentard aussi rapidement ? Je m'applique désormais à éviter Rowan, ainsi que la bibliothèque. C'est fini, s'il veut jouer avec quelqu'un ça ne sera pas avec moi. Je ne soutiens aucun de ses regards, je ne lève même plus les yeux vers lui. J'essaie de lui montrer que c'est par fierté, mais en vérité, je ne pense pas être capable de croiser son regard sans me mettre à trembler, voire même à pleurer. Lui montrer que m'atteindre est si facile, n'est pas définitivement pas la bonne solution. Alors je fais comme lui, je fais semblant. Je deviens froide et méchante, je réplique oeil pour oeil à chaque coup bas d'un Serpentard, en priant pour que ce ne soit pas une idée à lui.