Toute ma vie, on m'a dit qui j'étais. Comment je devais me tenir, me comporter, ou bien m'adresser aux autres ... Ça a commencé dès ma naissance, avec ma mère.
“ Chiara ! Tu es une fille, une femme en devenir ! ”
Je suis née dans une famille influente de Rome, après deux frères. Ma mère, qui tient d'une main de fer une compagnie de haute-couture, voulait une fille et croyez moi, on ne dit pas non à ma mère. Mon père travaillait en tant qu'agent commercial dans le business de ma mère, ce qui faisait de lui un homme écrasé au travail et dans le sein de son ménage. Une bonne pâte, mon père. Il aimait ma mère à en crever et aurait tout sacrifié pour elle si un AVC ne nous l'avait pas arraché il y a déjà plus de dix ans. Il la laissait dominer tout et tout le monde, même si principalement, ce qu'elle aimait dominer, c'était moi. Mes deux frères avaient la belle vie ; Giuseppe faisait de la course automobile tandis que Stefano tenait un adorable commerce de charme. Et moi, j'étais censée être la fille prodigue. Je devais grandir en tant que vrai diva et reprendre le commerce de ma mère pour faire briller notre nom pendant encore plusieurs générations. Rien ne m'a jamais été épargné. L'école à la maison ? Bien sûr que oui. Les cours de maintien ? Une évidence. Les cours de piano, ainsi que de ballet ? Cliché, et pourtant, j'y ai pas échappé. On m'a aussi appris l'anglais, pour que je puisse exporter l'entreprise familiale à l'étranger au moment opportun. Je n'ai pas eu le temps d'être enfant, on ne me l'a pas laissé. Avec le recul, je pense que ma mère croyait vraiment faire ce qui était le mieux pour moi. Elle avait raison d'un sens. Elle me traçait un avenir brillant, si toutefois je l'avais suivi.
Bien vite, le ballet m'a lassé. Je n'avais aucune souplesse, ni aucune grâce. La magnifique danseuse étoile qui s'occupait de moi avait l'habitude de m'appeler son
petit éléphanteau fébrile. Je ne savais pas marcher en talon, non plus, ni porter de robe sans me breller les pattes dans le tissu. Rien que l'idée de marcher avec des livres sur la tête me faisait rire. La fibre musicale ne faisait certainement pas partie de mes dons et seul les cours d'anglais n'étaient pas tout à fait vains. Plus je grandissais et plus je décevais ma mère. Par fierté, elle refusait de me laisser quitter cette voie, mais elle voyait bien que je n'avais rien de la lady qu'elle aurait voulu que je sois. Alors un jour, j'ai tenté ma chance. Je me suis plantée devant elle et lui ait demandé de faire comme Stefano ; du foot. Le son de son rire fut si acerbe qu'il écorcha mon cœur de petite fille. Je n'étais pas scolaire, alors pourquoi ne pas me laisser essayer la voie sportive ? La seule réponse qui demeura, comme une évidence, fut “
Une femme, Chiara. Tu es une femme. ” Et les femmes ne faisaient pas ce dont elles avaient envie.
Un beau jour, mon père est allé se coucher et ne s'est jamais relevé. En une semaine, l'enterrement - en grandes pompes - était terminé et on n'en parlait déjà plus. La vie continuait, comme disait ma mère. Pourtant, je voyais bien ses yeux s'humidifier quand elle repassait devant leur chambre ou regardait un portrait de famille. Elle ne riait plus, plus comme avant. Même mes maigres progrès en ballet ne la faisaient que très légèrement sourire. Un jour, elle est arrivée en scandant qu'on déménageait, parce que vivre dans le passé, très peu pour elle. Deux semaines plus tard, nous emménagions en plein cœur de la capitale anglaise. Ma mère se noya dans son travail tandis que moi, je récupérais mon ancienne vie. Elle m'avait proposé de profiter de Londres et d'en faire un nouveau départ, à partir du quel je pourrais faire ce que bon me plaisait. Pourtant, j'ai continué à suivre tous mes cours, et je m'y suis acharnée. Je ne savais rien faire d'autre après tout. Je n'avais quasiment jamais mis un pied dehors, je ne savais pas à quoi le monde ressemblait. Je m'étais faite à ma solitude et du fait, ma mère était tout ce que j'avais de plus précieux. Alors j'ai travaillé, encore, et encore. D'arrache-pied que j'ai bossé. Au début, tout me semblait confus, mais j'ai réussi à m'améliorer. Je n'étais que très moyenne pour ce qui était des cours généraux, mais je progressais merveilleusement bien en piano et en ballet. Je réussissais à marcher en talons et à ne plus me prendre les pieds dans mes robes longues, même quand celles-ci comportaient une traîne. Pourtant, je n'intéressais plus ma mère. Je ne comprends que maintenant qu'en fait, c'est la vie elle-même qui ne l'intéressait plus.
A quatorze ans, j'ai reçu la preuve écrite que peu importait la volonté de ma mère, je n'aurais jamais été comme elle voulait que je sois. Je crois que d'un sens, elle était soulagée de savoir que la
tare ne venait pas d'elle, ni de mon père. Alors, elle a pu m'encourager à y aller sans scrupules. Elle pensait que je pourrais peut-être me tracer un autre avenir brillant dans le cadre de la magie, même si son idée de la place de la femme et mon idée d'un avenir brillant se contredisaient largement, et encore aujourd'hui.
Mes cours de maintiens et moi, on est arrivé avec nos gros sabots à Poudlard. Je ne savais pas à quoi m'attendre, alors j'avais stressé à m'en rendre malade, mais je paraissais aussi fraîche qu'une rose le jour de mon arrivée. Pourtant, les regards se tournaient vers moi, soit amusés, soit méprisants. Sûre de moi, je m'étais de suite avancée vers les autres, ignorant tout de la timidité ou de la façon de se comporter avec des enfants de mon âge. Je pensais que mes cours m'avaient préparée mieux que n'importe quoi à cette confrontation au monde extérieur, mais je ne savais rien, et j'étais loin d'être prête. Je suis rapidement devenue la risée des autres étudiants et je me suis isolée. D'abord, dans la bibliothèque. J'y passais ma vie, le nez plongé dans des bouquins. Grâce à ça, mes résultats scolaires étaient moyens, mais je m'en tirais. Puis un jour, je suis tombée sur un livre parlant de quidditch, et j'ai compris que je n'avais rien à faire, assise pendant des heures sur une chaise en plein milieu de ces rats de bibliothèque. Alors j'ai attrapé mon balai, je me suis entraînée, et je suis rentrée dans l'équipe de quidditch de ma maison. Grâce à ça, j'ai réussi à me faire une minuscule poignée d'amis, mais je crois que c'est suffisant. Je n'ai jamais été entourée, dans tous les cas, alors c'était déjà beaucoup pour moi.
“ Mais Chiara, t'es pas une vraie nana toi ! ”
J'ai eu un vague béguin, une fois, pour le capitaine d'équipe. Et c'est la seule réponse qui fut donnée à ma certes maladroite mais honnête déclaration. J'ai vite essuyé cet incident, mais sa réponse me traîne toujours en tête, quelques trois années plus tard. Toute ma vie j'ai été classifiée et mise de force dans des boîtes auxquelles je n'appartenais pas. Je me suis battue pour m'y conforter mais pourtant, je n'ai jamais vraiment eu ma place quelque part. Suite à ça, je me suis renfermée. J'ai perdu de vue les quelques amis que je m'étais fait mais j'ai surtout arrêté d'être quelqu'un que je n'étais pas. J'ai totalement lâché les cours, je me suis focalisée sur le quidditch et j'ai dressé un véritable mur entre moi et le reste du monde. Tant pis. J'essaye d'être moi-même, bien que je ne sache plus vraiment qui je suis. Je fais juste ce dont j'ai envie quand j'en ai envie, en essayant de briser les chaînes qui m'en empêchent, celles que ma mère s'est donné tant de mal à installer.
Aujourd'hui, je vis dans ma bulle. Une bulle confortable, qui ne s'efface que sur les terrains de quidditch, quand Caelan la force à grands coups de bouquins de potions ou dans la pâtisserie de Lucas. (Même quand j'y croise Janie ...) Je crois qu'ils ont plus ou moins compris comment j'étais faite, et ils essayent maladroitement de s'y faire. Je ne sais pas si je peux dire que maintenant je suis heureuse, mais dans tous les cas, je ne suis plus malheureuse.