Ecoute la musique de ton coeur, elle te diras que je ne mens pas"Belial & Alysson"
Alysson frissonna et resserra les pans de sa cape. Depuis plusieurs jours, le froid s'était abattu sur le château. L'hiver frappait à la porte et, bientôt, la neige tomberait, transformant le paysage, recouvrant le parc d'un manteau immaculé. Mais pour l'instant, le ciel restait découvert, et si le soleil brillait, il ne suffisait pas à réchauffer l'atmosphère. Le vent glacial cinglait les visages, et les murs épais de Poudlard ne protégeaient aucunement les élèves. Les salles communes étaient les rares lieux sur lesquels ne froid n'avait pas d'emprise. Les flammes brûlantes et chatoyantes qui dansaient dans les âtres répandaient leur chaleur confortable. Pourtant, alors que tous les élèves se réfugiaient dans leurs maisons, Alysson avait préféré fuir. Il faut dire que, en cette période de l'année, la salle commune n'était pas un lieu propice au travail. Même celle des Serdaigles, habituellement calme et studieuse. Les fauteurs de troubles, les élèves agités, ceux qui parcouraient en général le château en riant à gorge déployée, ceux qui se prélassaient habituellement autour du lac en racontant les derniers potins, ceux qui testaient les nouvelles productions de farces et attrapes, tous ceux là s'agglutinaient dans les fauteuils confortables et dans un brouhaha innommable, n'ayant aucun scrupule à déranger la quiétude des lieux. Impossible alors d'espérer se concentrer sur un sujet aussi difficile que la théorie fondamentale de Mieils sur la métamorphose animale. Alysson avait donc préféré l'ambiance calme et studieuse de la bibliothèque Comme un bon nombre d'élève en quête de silence, elle avait profité de son temps libre après le dîner pour aller se réfugier entre les rayonnages poussiéreux. Et désormais, son devoir terminé sagement rangé dans le sac qu'elle portait à l'épaule, quelques traces d'encre encore apparentes sur les doigts, les yeux piquants de fatigue, elle entendait bien retrouver une ambiance plus chaleureuse. Encore fallait-il qu'elle ne meurt pas frigorifiée avant d'atteindre la tour des Serdaigle. Si elle avait su, ce matin là, que la température chuterait encore, elle aurait sans aucun doute sorti de son armoire sa longue cape d'hiver, celle que sa mère lui avait offert pour son dernier anniversaire, celle qui avait coûté une petite fortune, celle qui avait un sortilège chauffant intégré. Mais elle portait encore sa cape d'automne, de mi-saison, suffisamment chaude pour braver la pluie et le vent frais, pas assez pour ne pas ressentir la morsure glaciale de l'hiver. Oui, Miss Mabel-Adams était équipé pour chaque saison, et ses vêtements portaient tous la griffe des plus grands créateurs du monde sorcier. C'était l'un des nombreux avantages à vivre dans le luxe.
Il y avait un bruit, dans le couloir. Alysson était au sixième étage, ses dents claquaient, son corps frissonnait et pourtant, elle s’arrêta un instant, tendant l'oreille. Des notes de musiques s'échappait de la porte close d'une salle de classe inoccupée pour venir se loger dans le creux de son oreille. Alysson connaissait la musique. Elle adorait ça, même. Sa mère avait pris grand soin, dans leur jeunesse, d'éduquer les jumeaux à toute sorte d'instrument. Le violon, la flûte, la guitare, la harpe, le piano, tout y était passé. Mais si Alysson s'était découvert quelques prédispositions pour le piano, elle n'avait jamais été fichu de produire un son correct avec un violon. Des crissements, des grincements, des couinements, rien d'harmonique. Rien de beau. Et ce qu'elle entendait là était sans aucun doute un violon. Et un violon tenu par un violoniste de talent, semblait-il. Comme si la musique avait chassé le froid, Alysson cessa sa course vers la salle commune et, d'un pas plus mesuré, avança jusqu'à la porte derrière laquelle résonnait la mélodie. Elle hésita une seconde, se demandant s'il n'était pas impoli de déranger ainsi un musicien en plein effort. Mais la curiosité l'emporta et elle poussa la porte, lentement, sans bruit, coulant un œil intéressé à l'intérieur. Un garçon se tenait là, lui tournant le dos. Alysson le connaissait. Un peu. Elle savait qu'il s'appelait Belial, qu'il était à Serdaigle et qu'il avait un an de plus qu'elle. Elle l'avait croisé dans sa salle commune, bien des fois, mais ne lui avait jamais adressé la parole. Elle se glissa dans la pièce, refermant dans un silence total la porte et resta un moment là, à écouter, les yeux mis-clos, fascinée par la mélodie qui sortait de cet instrument qu'elle même n'avait jamais su maîtriser, éblouie par la justesse des notes, émue de la beauté du jeu. Il ne l'avait pas remarquée, sans doute trop concentré sur sa musique pour faire attention au reste. Il posa sa dernière note, mettant un point final à sa mélodie et Alysson émergea lentement du monde sonore dans lequel elle s'était plongée. Elle cligna des yeux, comme éblouie après un long sommeil et, seulement après avoir repris ses esprits, se racla la gorge, signalant sa présence.
'' C'était magnifique, vraiment. Où as-tu appris à jouer de cette façon ? C'est … subjuguant. ''
Ses yeux étincelaient, encore sous le charme. Un sourire accroché aux lèvres, elle s'avança vers Belial, lui tendant la main, comme il convenait de le faire, mais surtout dans un soucis de lui montrer son respect.
'' Tu t'appelle Grymm, c'est ça ? Belial Grymm ? ''
Alysson avait toujours appris à accorder plus d'importance aux noms qu'aux prénoms. Au final, elle se moquait pas mal du nom de ses camarades, de la puissance de leur famille, au même titre que leur sang. Mais elle avait cette habitude, fermement ancrée, de se concentrer d'avantage sur le nom de famille de ses interlocuteurs. Il y avait bien des gens dont elle ignorait le prénom, mais rares étaient ceux dont elle ne connaissait pas le nom.
'' Je suis Alysson Mabel-Adams. Nous n'avons jamais été présentés, mais je suis moi aussi à Serdaigle, en cinquième année. ''
L'automne semblait avoir été bien court cette année. Dès la rentrée de Septembre, les feuilles avaient jaunies et commençaient à tomber alors que l'été n'était pas encore arrivé à sa fin. Quelques semaines plus tard, elles recouvraient pour la plupart le sol herbeux du parc de Poudlard. Mais depuis, le mois d'Octobre était passé et celui de Novembre sur le point de mourir. Il était probable que le manteau d'hiver serait bientôt au rendez-vous sur le château. Il fallait dire que les températures en Écosse étaient rarement chaudes à cette époque de l'année. Mais ça faisait le charme du paysage. Voir Poudlard sous la neige était un plaisir annuel, et rendait l'endroit encore plus magique qu'il ne l'était déjà. C'était l'avantage de faire un peu de peinture. On profitait encore davantage d'un beau paysage, et l'on se sentait une âme d'exalté lorsque ça arrivait. Certes, Belial n'avait rien d'un grand peintre, il se contentait plutôt de quelques coups de pinceaux sur une toile pour se faire plaisir, mais ça l'avait aidé à se faire plus observateur, et à apprécier davantage la nature. Après tout, sa mère lui avait toujours dit que s'exprimer à travers plusieurs arts différents, même ceux que l'on était loin de maîtriser, pouvait toujours être bénéfique. Il n'avait pas eu besoin de beaucoup d'années pour lui donner raison. Désormais, il essayait de toucher à tout.
Mais son véritable amour restait le violon. Le violon était l'instrument vers lequel il était allé tout petit, lorsque sa mère lui avait demandé quel instrument semblait lui plaire le plus. Pour arrondir les fins de mois de la modeste famille anglaise, celle-ci donnait parfois des cours de musique aux enfants du quartier. Elle n'était pas non plus une musicienne hors pair, mais il était évident qu'elle aimait ce qu'elle faisait et qu'enseigner lui donnait beaucoup de plaisir. Ce fut aussi ce qui motiva Belial à faire des efforts lors des premiers mois où il ne parvenait pas à sortir un son audible de son violon, et qu'il n'aspirait alors qu'à le briser contre un mur de rage. Lui qui était un garçon si peu intéressé par le travail et le zèle avait là trouvé une véritable passion et passe-temps. De plus, le fait d'embêter sa famille avec le son crissant du violon était une chose qui lui plaisait déjà assez, et c'était l'occasion parfaite pour pouvoir les ennuyer sans qu'ils n'aient de raison valable de lui demander d'arrêter. C'est pourquoi au fil des mois et des années, sa passion pour le violon ne fit que croître, et son don se développa. Lorsqu'il apprit l'existence de Poudlard, plusieurs années auparavant, il s'était demandé s'il était autorisé à emmener son violon avec lui pour continuer à en jouer. Il se voyait mal au milieu d'une cour d'élèves en train de jouer. Il n'était pas habitué à un public.
Finalement, après s'être assuré d'avoir le droit de jouer, il était toujours parvenu à trouver un endroit tranquille où il pouvait s'exercer et jouer. C'était une formidable technique pour évacuer le stress des examens ou des devoirs en retard. La plupart des élèves de son année, et particulièrement à Serdaigle, savaient qu'il était un violoniste confirmé, mais peu l'avaient déjà entendu jouer. C'était pourtant une activité presque quotidienne. Et il ne s'en priva pas ce jour-ci. Après une courte promenade dans le parc, le bas du visage recouvert par son écharpe bleue pour éviter à ses lèvres de gercer avec le froid, il remonta rapidement dans la Salle Commune chercher son étui dans lequel se trouvait le fameux instrument, et se mit à la recherche d'un endroit isolé pour en jouer sans être dérangé. L'après-midi était déjà bien avancée, et s'il ne voulait pas rater le dîner il devait trouver rapidement. Sa cape virevoltant derrière lui alors qu'il sautillait pour essayer de trouver rapidement une salle vide, Belial essayait de ne pas se heurter aux élèves de Serdaigle qui partaient déjà vers le rez-de-chaussée en vue de s'assurer d'être assis ensemble pour le dîner. Et justement, il parvint à trouver une salle abandonné, au détour d'un couloir peu emprunté, après quelques minutes de recherche. Il profita de l'occasion, ferma la porte derrière lui, se débarrassa de sa cape à l'effigie des Serdaigle et posa l'étui sur une table. C'était parfait. Après avoir balayé la salle du regard, il lissa son pull et sortit le violon et l'archet. Sans attendre, après s'être assuré que le violon n'était pas couvert de poussière et que les cordes n'étaient pas trop détendues, il se mit à jouer, après avoir oublié de lancer un sort d'insonorisation.
Lors des premières minutes de jeu, ses yeux restaient frénétiquement posés sur la position de ses doigts, alors qu'il commençait par un exercice de pratique destiné à les échauffer lui et les cordes. Puis à mesure qu'il prit confiance en lui et que les ces dernières le furent enfin, il commença à jouer les mélodies qui lui étaient les plus familières. Ses yeux se fermèrent et comme à chaque fois, il perdit la notion du temps et de l'espace. Il pouvait simplement voir le soleil décliner rapidement à travers les vitraux lorsqu'il entrouvrait les yeux, mais ne réfléchissait même plus à l'heure qu'il pouvait être. Lorsqu'il commençait à jouer, il avait du mal à s'arrêter. Il jouait généralement les morceaux qu'il connaissait le mieux, les plus faciles à jouer, puis en essayait des plus compliqués, qu'il tentait de modifier lors de ses moments d'audace. Bien souvent, des mèches de cheveux venaient encombrer son regard et l'interrompre dans son entreprise. C'était pourquoi il utilisait généralement des petites barrettes pour fixer les mèches sombres sur son crâne. Ca n'avait rien de masculin, et ce devait être particulièrement ridicule, mais personne n'était supposé le voir jouer de toute façon. Son jeu dura un bon moment, sans qu'il ne puisse dire combien de temps exactement. Finalement, il reposa son archet sur la table après l'avoir détendu, fit tourner les chevilles de l'instrument et le reposa dans son étui après l'avoir délicatement nettoyé avec un chiffon léger prévu à l'usage. Ce ne fut qu'alors qu'il eut un étrange sentiment, et qu'il se retourna. Il déglutit aussitôt. Il avait un spectateur. Une spectatrice, pour être plus exacte. Il la connaissait. Elle venait d'une famille de Sang-pur fière de son sang, les Mabel-Adams. À vrai dire, il connaissait surtout son frère jumeau, Theodore, qui ne se gênait pas pour rappeler ses origines dites "pures" aux gens comme Belial, soit d'ascendance moldue. Il resta automatiquement sur ses gardes, et s'empressa de retirer la barrette qui retenait ses mèches avant qu'elle ne s'en alerte, histoire de ne pas aggraver son cas.
L'air impassible, il ferma l'étui de son violon tandis qu'elle le complimentait sur son talent de musicien. Ses joues rosirent malgré lui, et ses doigts brossèrent le cuir de l'étui avant qu'il ne daigne enfin relever les yeux vers elle. Il répondit, gêné par un compliment venant d'une personne qu'il évitait de croiser.
- Merci. Je joue depuis que je suis petit. Ma mère m'a appris.
Il profita un instant de sa réponse pour baisser les yeux et redresser son étui sur la table. La jeune fille, qu'il savait s'appeler Alysson, s'approchait pourtant de lui avec ce qui semblait être une ferme intention de lui serrer la main. Ce devait probablement être le protocole dans une famille aussi noble et riche que la sienne. Lui n'était certes pas habitué à faire le bellâtre, mais il avait tout de même reçu une éducation convenable. Il s'étonna pourtant de la voir aussi souriante et sympathique à son égard. Ces derniers temps, et ce plus que jamais, les gens retenaient de moins en moins leurs véritables opinions, et certains, comme le frère jumeau de l'intéressée, ne perdaient pas de temps ou de salive à dire sincèrement ce qu'ils pensaient du monde magique et de ce qu'ils voulaient comme futur pour la communauté des sorciers. Connaissant ce dernier, le jeune homme ne pouvait s'empêcher de penser qu'Alysson avait dû être élevée dans la même optique et donc mépriser malgré elle les nés moldus. Il préféra donc rester sur ses gardes, au cas où, mais lui serra la main avec la politesse due. Il esquissa un sourire poli.
- Exact. Oui, je vois parfaitement qui tu es. La soeur de Theodore.
Il garda son sourire au coin des lèvres. Belial avait beau être un garçon ouvert d'esprit, qui avait pour politique de ne pas juger un livre par sa couverture, les sorciers attachés aux traditions et au sang, que l'on retrouvait principalement à Serpentard, l'avaient rendu un peu paranoïaque au fil des années. C'était pourquoi il restait méfiant à l'égard d'Alysson. Pourtant, ce fut à ce moment-là qu'il percuta, au voyant combien il faisait sombre dehors. Il eut un grimace et demanda avec spontanéité.
- Mince, il est quelle heure ? Le dîner est passé, déjà ?
Lui, dont l'estomac se creusait rapidement, craignait avoir de nouveau raté un repas à cause du violon. Il le savait, pourtant, qu'il ne devait pas jouer si tard. Ce n'était pas la première fois qu'il se laissait perdre par la musique et qu'il manquait un moment aussi important que le dîner.