Assise par terre, sa main caresse doucement l’herbe humide. Sous la brise fraiche, sa petite jupe ondule sournoisement. Et elle est là, lasse. Et elle attend. Elle attend que quelque chose se passe. Que sous ses yeux de petite fille, le monde se meuve, par exemple. Qu’il s’électrise, qu’il danse, qu’il s’anime. Mais rien. Si ce n’est ce son étourdissant qu’est le silence. Il lui emplit les tympans et la rend incroyablement malheureuse. Son cœur se serre comme si une peine lourde l’encerclait. Alors, elle a mal. Tellement mal que sa main se referme sur une poignée d’herbe. Énervée, incomprise et seule, elle commence à arracher avec mécontentement la flore qui l’entoure. Sa gorge se noue et ses yeux commencent à briller d’une étrange lueur. Elle a mal, Arabella. Tellement. Mais personne ne le voit… Tantôt ici, enfermée dans son jardin de malheur, elle regarde les barrières qui ont été fixées pour elle. Elle les observe, se concentre et par tous les moyens, essaye de les faire exploser. Comme si sa simple pensée pouvait suffire. Mais hélas, ce n’est pas le cas. Les barrières restent et l’emprisonnent. Tantôt là-bas, dans la prison de verre que forme sa petite chambre d’enfant. Dans sa bulle de transparence, Arabella est assise et lasse. Et toujours, elle attend. Elle ne fait que cela, attendre. Il faut croire qu’attendre est une bonne chose… Ou tout simplement, la seule chose qui lui est permise. Elle est là, la réponse à la question. Si Arabella attend, c’est qu’elle n’a rien d’autre à faire. Seule et perdue, son quotidien est morne et sans vie. Elle n’a plus la force de sourire, ça fait mal à se pommettes bleuies. Plus la force de rire, l’éclat de ce dernier l’assourdit. Plus la force d’y croire, les mensonges sont sa maison. Plus la force d’aimer, puisque ça ne veut rien dire… Vivre dans cette maison, avec une mère sans raison, c’est comme vivre dans le chaos. Être enfermée dans le néant, s’endormir pour songer en noir et blanc. Elle ne peut ni sortir, ni vivre. Maman trop effrayée pour la lâcher, pour la livrer. Arabella est son trésor, son bijou adoré. Sauf qu’elle l’abîme et l’éteint. Laissant ses doigts glisser sur sa joue pâle, marquant de rouge son minois. Martelant son crâne de commentaire insoutenable, de mises en garde fatigantes. Le monde est horrible, voilà c’est qu’elle a retenu de tout ça.

Ils disent des choses sur elle. Des choses qu’elle entend, ici et là, mais qu’elle ne comprend pas vraiment. Elle est habituée pourtant, à la bizarrerie de la vie. Elle est habituée, aussi, à la déception et l’incompréhension. Elle a grandi comme ça, entouré de lois. Celle qu’une mère, un peu folle sans doute, avait mise au point pour la préserver. Ils avaient dit, les gens, tu vas voir le monde est différent. Ailleurs, les gens n’ont pas peur des battements de leur cœur, ils ne pensent pas que c’est une maladie. Elle, elle croit que si, au contraire. Que ce soit ici, ou là-bas, le cœur à ses raisons que la raison a toujours ignoré. N’est-ce pas là, la clé du souci ? L’amour est une maladie, ça vous ronge et vous dévore. Les expressions en témoignent. On dit qu’on tombe amoureux, qu’on meurt d’amour pour quelqu’un, qu’on a la maladie de l’amour… C’est une preuve irréfutable. Et si sa mère le dit, c’est que c’est vrai. C’est pour ça qu’elle est silencieuse, Arabella. Elle garde les mots comme des hameçons. Elle ne dit rien, jamais. Sauf s’il est important qu’elle livre ses pensées. Elle s’abrite des déceptions, des chagrins amoureux. Elle pensait que ça changerait, pourtant, cette vision. Elle pensait que la vie se calmerait. Et que la bizarrerie l’oublierait. Mais elle ne l’avait pas fait, la vie. Pas plus que la bizarrerie. Celle qui vous apprend, du jour au lendemain, que vous êtes plus qu’un humble mortel. La magie ruissèle sous sa peau, c’est une lettre qui le lui a dit. Son cœur, pour la première fois, à cogné avec rage. Qu’est-ce que tout cela voulait dire ? Elle aurait aimé comprendre, s’aventurer dans ce monde sans crainte… Mais elle avait tort. L’espoir, bien qu’on dise qu’il existe encore, n’était qu’un leurre. Ils disent des choses sur elle. Des choses qu’elle entend, ici et là, mais qu’elle ne comprend pas vraiment. Ils disent qu’elle est folle, un peu trop étrange. C’est vrai, qu’elle a ces rêves plein la tête et ces attitudes en désuétude. Elle soupire en fixant l’invisible, vit à sa manière. Mais qu’est-ce que ça peut faire ? Mademoiselle prend ses grands airs, lève le menton et marche droite. Elle n’a pas peur d’être superficielle parfois, parce qu’elle sait qu’elle a le droit. Dévoreuse de livre à la mémoire photographique, elle n’oublie jamais rien. Arabella est une poupée de chiffon dans un monde en carton. Elle rase les murs pour se faire oublier, pour ne pas être insultée. Née moldue, voilà sa seule erreur et elle le payera longtemps encore. Bizarre, n’est-ce pas, quand on sait la vie qu’elle a eu. Rien. Le néant. Nada. Sans histoire, finalement… Mais ils disent des choses sur elle. Des choses qu’elle entend, ici et là, mais qu’elle ne comprend pas vraiment.

Assise par terre, trainant au milieu du couloir, son livre à la main, la belle à l’esprit ailleurs. Elle ne lit pas vraiment, elle ne fait rien que penser, finalement. « C’est passionnant ? » souffle une voix, non loin d’elle. Arabella feint la surdité, garde le silence, sans broncher. Elle avait toujours rêvé d’être aveugle ou sourde. Pour ne pas voir la bêtise humaine et ne pas entendre les absurdités. Malheureusement pour elle, elle n’était ni l’un ni l’autre. Elle voit une ombre se dessiner sur le papier, obscurcir les lettres qu’elle peine à déchiffrer. Mais elle ne cille pas, ne dit mot et c’est à peine si elle respire. « Allô ? » insiste la voix. C’est une voix qu’elle ne connait pas, ou peut-être que si… Elle a l’impression de l’avoir déjà entendue des centaines de fois, mais rien. Affichant une mine boudeuse d’enfant dérangée, elle lève les yeux et croise le regard de l’autre qui la surplombe. Son cœur s’agite soudainement dans sa poitrine. C’est peut-être l’une des seules personnes qui la voit, une des seules qui lui parle. Est-ce pour ça qu’elle a l’impression dérange que son cœur déraille lorsqu’il est là ? Elle ne dit jamais rien, pourtant. Il pense sûrement qu’elle est muette, comme la plupart des gens d’ailleurs. Ses grands yeux ne le quittent plus, alors qu’elle referme le livre distraitement. Sans même marquer sa page, ça va l’énerver lorsqu’elle s’en apercevra. « Tu lis beaucoup, pas vrai ? » qu’il demande, avec un sourire. Il n’a pas l’air comme tout le monde, il a même plutôt l’air différent. Mais elle ne sait pas, elle préfère garder ses distances. Elle baisse la tête de haut en bas, signifiant que, oui, en effet, elle lit beaucoup. Le monde l’intéresse, qu’est-ce qu’elle y peut ? Dans ce genre de conversation, l’autre fini souvent par abandonné. Arabella ne lui en voudrait pas, c’est comme ça. Pourtant, il dépose son sac plus loin et vient s’asseoir à côté d’elle. Sont-ils ce que l’on pourrait appeler ami ? Elle n’en sait rien, elle ne sait même pas son nom. A vrai dire, elle ne sait rien de lui. « J’aime bien ta compagnie. Ton silence m’apaise. » Elle serre les poings de manière imperceptible et vient les caler sous ses fesses, pour ne pas qu’il le voit. Il y a des gens, comme ça, qui pensent que le monde leur appartient. Si bien qu’ils n’ont pas peur de dire des choses comme ça. Des choses qui ne veulent rien dire. Son silence l’apaise ? Peut-être que s’il arrêtait de trainer avec des gens absurdes et sans conversation, ce ne serait pas le cas. Mais elle ne juge pas, puisqu’elle ne fait qu’imaginer tout ça. « Tu ne vas rien me dire, alors ? » Un faible sourire glisse sur les lèvres d’Arabella alors qu’elle considère la question. Va-t-elle dire quelque chose ? Non. Comme à chaque fois. Elle hausse une épaule et, tanguant sur ses deux jambes, se remet debout. Et elle s’en va. Sans un mot, sans rien. Si elle le revoit, peut-être qu’elle parlera. Mais rien n’est moins sûr…