Ses yeux se rouvrirent tout d'un coup. Le souffle court, il aspirait bruyamment, cherchant l'air autant qu'il le pouvait. D'une main tremblante et incertaine, il cherchait sa baguette magique, seul instrument encore capable de le tirer de ce mauvais pas dans lequel il s'était retrouvé coincé. Tout près de lui, et pourtant si loin, il lui semblait entendre les rires de ses camarades, joyeux auditoire face au triste spectacle qui se déroulait devant leurs yeux. Ils s'en délectaient presque, ravis de voir le rouquin chercher son air, le corps convulsé sous la douleur. « Regardez le se battre. Regardez le. Un vrai petit moldu. Incapable de lutter contre nous. Et ils osent dire qu'ils nous sont égaux. » Leurs rires ne lui parvenaient presque pas, semblant aussi lointains qu'ils étaient proches en réalité. Sa vue s'était brouillée, son coeur battait la chamade. Pourtant, il n'avait pas peur. Il connaissait en cet instant la crainte de ne jamais se relever. Mais ses préoccupations principales étaient surtout de ne pas faiblir. De trouver cet oxygène qui lui faisait défaut, et de mettre la main sur cette fichue baguette qui semblait hors de sa porté. Il ne mourrait pas. Pas encore. Il se devait de lutter, pour ne pas donner raison à ceux qui s'en prenaient à lui. Ils le disaient faible, il fallait qu'il leur montre qu'en dépit de son apparente défaite, il tiendrait bon. Jamais ils ne se débarrasseraient de lui avec autant de facilité. Et vînt le silence. La douleur cessa, les rires se brisèrent. L'espace d'un instant, il se cru finalement mort, errant dans les limbes, seul. Car tout avait été si vite qu'il n'osait pas imaginer d'autres explications à ce brusque repos qu'on lui offrait. Il sentit finalement une main sur son épaule endolorie. Au terme d'un effort phénoménal pour parvenir à tourner la tête vers la silhouette floue qu'il percevait juste au dessus de lui, il réussit à reconnaître une forme familière: celle d'un professeur, la mine inquiète face à un étudiant mal en point. Il venait de faire son entrée dans le compartiment du Poudlard Express d'où lui parvenaient les ricanements grotesques d'une petite foule d'élèves. Et c'est là qu'il avait surprit le spectacle: un Poufsouffle à peine conscient en proie à ses camarades, largement supérieurs en nombre. Un né moldu dont le seul crime était d'être un sorcier. Sans attendre, il avait fait cesser le manège. Et le garçon était resté étendu là, trop affaibli pour avoir conscience de ce qui se tramait autour de lui. « Tout va bien, mon garçon. Nous sommes arrivés à Pré au Lard. Je vais vous faire transférer à l'infirmerie. » Le jeune homme bredouilla un bref merci, et s'évanouit.

Cet étudiant dont l'année avait bien mal commencé était Alfie Wingfield. Un Poufsouffle de 19 ans à peine, et déjà une longue expérience pour s'attirer des ennuis. Bien malgré lui, le plus souvent. Né dans une famille de moldus, le hasard avait voulu qu'il soit doté d'un don qui dépassait de loin ses espérances les plus folles: lui, gamin sans histoire, fils d'une infirmière et d'un employé de bureau et seul garçon au milieu d'une grande fratrie, se destinait à une vie tout ce qu'il y avait de plus ordinaire. Il était né en Irlande, et y passerait probablement le reste de son existence. Du moins était ce ainsi qu'on avait vu les choses dans cette charmante famille où la banalité faisait partie intégrante du quotidien. On n'avait jamais entendu parler des sorciers, et on n'imaginait pas une seule seconde qu'un autre monde en parallèle de celui ci attendait Alfie. Certes, on ne comprenait pas toujours pourquoi d'étranges évènements se produisaient quand le gamin était trop heureux ou contrarié. On ne s'expliquait toujours pas pourquoi sa soeur aînée s'était retrouvée avec des plaques rouges partout sur le visage après s'être moquée des tâches de rousseur de son frère. Pas plus qu'on ne savait pourquoi la plus jeune de ses soeurs s'était réveillée dans la niche du chien la nuit après qu'elle ait cassé le jouet préféré d'Alfie. Malgré tout ça, donc, on persistait à penser, comme on l'avait toujours fait, qu'Alfie était un enfant comme les autres, peut être un peu plus taquin. Un petit farceur qui amusait la galerie, voilà tout. Ce ne fut que lorsqu'il reçut une lettre pour une école de magie qu'on commença à se poser des questions. Monsieur Wingfield, dont la barbe rousse et hirsute était la plus grande fierté, avait saisi la lettre des mains de son jeune fils, ce jour là. Face à l'air interloqué du gamin, le père avait vu sa curiosité piquée à vif. « Quelqu'un te fait une blague, fiston. Ces machins là, ça n'existe que dans les films. » Alfie avait approuvé, même si au cours des jours qui suivirent, il ne cessait plus de penser à la lettre.

Et puis, quelques semaines plus tard, un homme habillé avec des couleurs criardes et des vêtements passés de mode depuis longtemps était venu sonner à la porte. Les Wingfield s'étaient rassemblés dans le salon, et l'étranger leur avait montré une réplique exacte de la lettre qui avait terminé dans la poubelle quelques temps plus tôt. Alfie et ses parents ne disaient rien, ne sachant pas où l'inconnu voulait en venir. Il ne tarda pas à les assommer d'une vérité qu'ils ne croyaient toujours pas: « Votre fils est un sorcier. » Madame Wingfield secoua la tête d'un air désolé, se demandant pourquoi on avait laissé un fou s'installer dans leur salon. Car il était fou, elle en était sûre. Son expérience d'infirmière n'avait rien à voir là dedans: il suffisait de regarder cet homme pour s'en convaincre. Son couvre chef était bien trop grand pour lui, et d'un vert pomme criard qui attirait beaucoup trop l'attention. Son veston en laine était mangé aux mites, et le la petite chemise qu'il portait en dessous semblait dix fois trop grande pour lui. Quant à son pantalon orange mal repassé, il lui donnait l'impression de ressembler à une carotte géante. Et voilà qu'à présent, il tenait un discours dépourvu de sens. Son mari semblait penser la même chose qu'elle, vu la mine consternée qu'il avait adopté depuis que l'homme avait parlé. Il n'y avait qu'Alfie pour regarder cet homme avec intérêt, comme s'il croyait à ces balivernes. « Voyons, ne me dîtes pas que vous ne vous êtes jamais demandé pourquoi Alfie était au centre de toutes ces choses étranges qui se passent chez vous ? » Cette fois, madame Wingfield plaqua une main sur sa bouche pour en contenir le cri de surprise qui s'en était échappé. Monsieur Wingfield se releva d'un bon, le visage aussi rouge que ses cheveux. « Comment pouvez vous savoir ça? Vous nous espionnez ? Alfie, tu ne vois pas qu'il se moque de nous? » Il s'était brusquement retourné vers son fils, dont les yeux s'étaient arrondis dans une expression de surprise qu'il dissimulait mal. Ces incidents mineurs, comme les appelaient ses parents, ils n'en parlaient pas. Peut être à quelques réunions de famille, où ils plaisantaient des mésaventures de Alfie et de ses soeurs, mais jamais ils n'auraient pu s'attendre à ce qu'un inconnu ne débarque et vienne pointer du doigt ce qui n'allait pas chez eux. A tous les coups, ça ne pouvait être qu'une blague de mauvais goût. Le sorcier afficha un large sourire, et sortit de l'une de ses poches un long morceau de bois. Monsieur Wingfield se tue immédiatement, ne sachant pas ce que cet homme comptait faire avec ça. Le sorcier pointa sa baguette sur la cheminée, et en l'espace d'une seconde, un feu crépitait dans l'âtre. Mais le mage ne s'arrêta pas là. Se tournant vers la tasse de thé que madame Wingfield lui avait aimablement servi à son arrivée, il la transforma en un petit cochon de lait qui commença à gambader comme un fou sur la table basse. Madame Wingfield tourna de l'oeil. Monsieur Wingfield ouvrit la bouche, mais aucun son n'en sorti. « Est ce que je peux faire ça aussi? » Alfie avait enfin pris la parole, extatique face à la démonstration qui venait de s'opérer sous ses yeux. « Tu pourras, si tu vas à Poudlard. »

Ce qu'on ne lui avait pas dit, en revanche, était la difficulté d'être un sorcier lorsqu'on est issu d'une lignée de moldus. Il allait devoir essuyer bon nombres d'insultes, de moqueries et parfois même d'attaques, sans compter toutes les restrictions qui feraient de lui un sorcier de rang moindre. Alfie en eut rapidement conscience. L'été précédent son entrée à Poudlard, un sorcier lui fut présenté comme étant son accompagnateur pour une sortie sur le chemin de traverse. Celui ci lui expliqua que les sorciers comme lui, les impurs, n'étaient pas les bienvenus lorsqu'ils se rendaient là bas. Une tâche dans le décor, voilà ce qu'ils étaient. En fait, il ne s'agissait là que de l'une des trop nombreuses humiliations qui étaient imposées à ceux qui, comme lui, avaient eu le malheur de naître ailleurs que dans une famille de sorciers. Sa magie serait elle moins puissante ? Non, lui avait on répondu. Alfie n'avait donc pas compris pourquoi il était mis en marge d'une toute nouvelle société qui s'ouvrait à lui. Plus totalement chez lui dans le monde des moldus. Certainement pas accepté comme un sorcier à part entière. Cette même question était celle qu'il allait partager avec les autres sorciers de sa condition pendant les années à venir.
Il n'empêche que l'expérience que fut Poudlard, et sa découverte du château, suffit à mettre ses peurs au second plan. Alfie était émerveillé par la majesté du château, dont le reflet se répercutait sur un lac que les premières années devaient traverser. Alfie en avait le souffle coupé. D'aussi loin qu'il s'en souvienne, il n'avait jamais rien vu d'équivalent. S'en suivit la troublante étape de la répartition. Son nom de famille fut nommé parmi les derniers. Pas étonnant quand on s'appelle Wingfield. Il s'avança, perplexe. Avant lui, des dizaines de sorciers avaient défilé, prenants place sur un tabouret face à l'assemblée silencieuse des élèves. On leur avait disposé un chapeau rapiécé sur la tête, et celui ci avait hurlé à chaque fois le nom de l'une des quatre maisons, provoquant des hurlements agités de la part de la table en question. Jusqu'à présent, aucun né moldu, à sa connaissance, ne s'était brusquement vu refuser l'accès à une maison. C'était stupide, mais c'était l'une de ses peurs: que ce chapeau ne lui trouve plus rien de sorcier, et que son rêve s'arrête aussi brutalement qu'il avait commencé. Alfie s'installa sur le tabouret, et sans attendre, senti qu'on lui posait le chapeau sur la tête. Ne voyant plus rien ni personne, il fut donc surpris d'entendre une voix au creux de son oreille. « En voilà, un jeune homme sympathique... Un rouquin rêveur, qui sait ce qu'il veut pourtant... Tu pourrais te retrouver en Gryffondor. Sympathique, courageux, drôle... Oh non, non. Ça ne sont pas là tes seules qualités... Je te sais loyal, et juste. A coup sûr tu seras à ton aise chez POUFSOUFFLE ». La lumière revint, et avec elle, un tonnerre d'applaudissements en direction de la maison que le choixpeau venait de lui indiquer. Le sourire jusqu'aux oreilles, le jeune Alfie sauta du tabouret et rejoignit d'un pas énergique la table de sa nouvelle maison pour ces prochaines années.

Quelques années s'écoulèrent, six exactement, au cours desquels Alfie comprit rapidement que s'il ne se sentait pas différent des autres sorciers, il le restait néanmoins. Même puissance magique, même talent dans la plupart des cours. Mais un regard qui fait la différence. Il lui semblait parfois que son combat était celui de David contre Goliath. Quoi qu'il fasse, quoi qu'il dise, il ne serait jamais rien de plus aux yeux de beaucoup que cet usurpateur, ce moldu dont la place était ailleurs. Les murs de l'école n'étaient pas assez épais pour contenir la haine qui provenait d'au dehors, de ce gouvernement qui protégeait ceux qui s'en prenaient aux nés moldus. Alfie faisait contre mauvaise fortune bon cœur, encaissant les coups, les rendant dès qu'il le pouvait, se sachant en sursis. Car l'école le protégeait encore. Mais qui sait jusqu'à quand les sang de bourbes, comme on les appelait, pourraient vivre ainsi, avant que cette épée de Damoclès ne s'abatte sur leur tête. Bien sûr, le Poufsouffle aurait pu rentrer chez lui. Prétendre que cette violence, ce mépris n'avaient jamais existé. Reprendre une vie normale. Mais cette magie était en lui, et il n'avait pas l'intention de donner raison à ses détracteurs. Non, lui, Alfie Wingfield, se sentait pleinement sorcier. Alors il pourrait bien supporter quelques expériences douloureuses, si tel était le prix à payer pour être un sorcier malgré tout.