"Les cris déchirants ont cessé, ils sont maintenant remplacés par les joyeux gazouillis d'un nouveau ne qui observe le monde avec fascination depuis son berceau magnifiquement décoré. La tension dans la pièce reste lourde et pensante. Allongée sur le lit, une fine pellicule de sueur perlant sur son front la jeune femme aux longs cheveux roux vénitiens ne peut détacher ses yeux de l'homme qui se tient dans l'encadrement de la porte. Faiblement, elle tente de se redresse dans l'espoir de se placer entre le petit être sans défense qu'elle vient de mettre au monde et l'homme au regard charbon mais abandonne vite cette idée. Le beau bébé aux yeux noisette lui a demandé beaucoup d'efforts, puisant toute la force mentale et physique que son frêle corps pouvait lui donner. Cette soudaine faiblesse est le signale. Avec un dernier regard froid pour celle qui porta durant neuf mois son fils, l'homme s'approche du berceau alors qu'un sourire carnassier se dessine sur son visage. Lentement, il emballe avec délicatesse le nourrisson dans ses luxueuses couvertures et le prend dans ses bras robustes et forts. La jeune femme pousse un hurlement déchirant, toujours allongée sur le lit. Un prénom hurlé, supplication et désespoir se mêlent de sa voix. Sans un regard en arrière, l'homme aux cheveux ébène disparait dans un tourbillon de fourrure arrachant le dernier souffle de vie à cette jeune mère maintenant en deuil. "



Сибирь (Sibérie) - Russie, hiver 1965.

"Paradis blanc. Les sombres sapins croulent sous le poids de l'épaisse couche de neige, le décor semble figé, piégé par le froid qui tue tout sur son passage. Allongé de tout son long sur le sol dur et froid, le petit garçon tente en vain de reprendre son souffle alors qu'une douleur cuisante se répand dans sa cage thoracique. « Debout. » La voix froide sans appelle le fait frissonner. Animé par la curiosité du petit garçon de sept ans qu'il est, le petit ange aux cheveux blonds vénitien se dévisse le cou dans l'espoir d'apercevoir son regard. Lorsque ses yeux croiseront les siens, il saura qu'il tente de faire de son mieux, que la prochaine fois, son coup ne le déstabilisera pas et qu'il aura le courage de l'affronter, la force de le battre. Enfin son regard noisette se plonge dans celui de l'homme au long manteau de fourrure. Ses iris dilatées ne forment plus que deux billes aussi sombres que le bois qui bordent la petite masure qu'ils habitent. Aussi froid que la fine pellicule de neige qui s'est déposée sur la joue de l'enfant lors de sa chute. Son regard l'électrifie. Repoussant la douleur et la peur dans les méandres de son esprit, le garçonnet se relève sans un mot, les yeux toujours plongés dans ceux de l'homme qu'il prénomme, comme il le lui a été enseigné, père. Il sait qu'il ne doit pas éprouver ce genre de sentiment, jamais. Son père a toujours été très clair à propos des sentiments qu'un homme lambda peut ressentir, il faut les oublier, les effacer, les tuer. La peur et la douleur ainsi que l'amour ou la haine appartiennent aux faibles, hors Vassili n'est pas faible.

Crispant ces petits poings, le garçon se campe bien droit en enfonçant ces petits petons dans la neige. Fermant les yeux, il se concentre comme le lui a appris son père sur le chant du vent qui siffle dans les hautes cimes, les hurlements des loups au loin, les crissements de la glace sous ses pieds, l'air froid qui lui mord les joues. Doucement, les battements de son cœur s'apaisent alors que la douleur qui électrifiait son corps quelques secondes auparavant s'efface lentement. Une longue minute s'écoule dans le silence avant que le petit garçon ne daigne ouvrir les yeux. Homme nouveau. Il semble avoir grandi de cinq ans en l'espace d'une poignée de secondes. Son visage angélique aux traits fins si peu semblables à ceux de l'homme robuste qui lui fait face est déformée par la concentration. Lorsqu'il plonge une nouvelle fois son regard dans celui de son père, Vassili ne ressent plus que l'envie de le vaincre en le mettant au sol. Toute trace de peur ou de désespoir s'est envolée emportant avec elle les lueurs qui habitaient ses iris chocolat. Un faible sourire fleurit aux coins des lèvres de l'homme aux cheveux ébène, dévoilant une rangée de dents scintillantes. Le petit Vassili est prêt, l'homme le sait, dès aujourd'hui il ne gagnera plus jamais un combat contre son fils. "




Соединенное Королевство (Royaume-Uni) - Angleterre, printemps 1972-77.