C'était de ces journées qu'on perd de vue, après les années. Rien ne la disposait à se montrer plus intéressante qu'une autre. La veille, il avait pourtant résolu les mystères d'un coussin capillophage. Le lendemain, au soir, il découvrirait les goûts délicieux et intrigants d'un de ses camarades de la maison Serdaigle. Mais ce jour-là, rien n'avait égayé les heures et les minutes, Clarence avait suivi son emploi du temps comme à l'ordinaire, et sur un petit carnet de notes où il aurait noté le bilan de la journée, jusqu'à peu de temps après le repas, il aurait pu inscrire les trois lettres fatidiques : R.A.S. Mais un événement imprévu transformerait la morne quiétude de la journée en date essentielle et peut-être inoubliable.
Clarence avait pourtant débuté du bon pied. Debout assez tôt, il avait profité de ce semblant de temps libre pour achever la lecture d'un ouvrage des plus intéressants, « Mille et un lutins de Cornouailles », le récit des aventures de l'explorateur James Crawley qui, au début du siècle précédent, s'était payé le luxe d'un long séjour parmi les bestioles les plus connues de cette partie des Îles britanniques. Puis, quand il fut l'heure de quitter le lit pour gagner les salles de bain, il ne se fit guère prier : ces quelques dizaines de minutes dévolues et dévouées aux ablutions le mettaient toujours de bonne humeur, ce qui lui permettait de se défaire des mauvaises humeurs de la nuit. Ces derniers temps, quand il dormait, rarement il connaissait la tranquillité des beaux songes. Tout au contraire il accumulait les cauchemars et les mauvais rêves. Beaucoup d'entre eux concernaient sa famille. Il avait l'habitude.
Les premiers cours l'intéressèrent... a minima. Les potions, ce n'était pas tout à fait son truc, et surtout l'approche historique de l'utilisation des chaudrons dans la préparation des breuvages antiques... une matière certainement très intéressante, mais cette fois Clarence ne fit guère plus d'efforts que le nécessaire pour manifester son attention ; ce serait bien suffisant pour lui permettre de garder l'essentiel et le meilleur de la leçon du jour. Il se promit néanmoins d'aller visiter la bibliothèque, plus tard, pour y trouver de quoi annoter ses propres notes – de sorte à compléter son cours. Ainsi seulement serait-il satisfait de lui-même et rassuré : il y avait mille et une façons de pallier au désintérêt passager qu'un professeur peut malgré lui susciter.
Le cours suivant, Histoire de la magie, lui offrit le prétexte idéale à l'évasion intellectuelle. Il aimait assez l'élocution du professeur Sangster, dont il avait perçu l'évolution depuis le début de l'année, et chaque fois ses discours lui permettaient de mieux pénétrer cette matière considérée par nombre d'élèves, a priori, comme la plus terriblement ennuyeuse de toutes. Or ce n'était pas le cas de Clarence, qui prenait toujours beaucoup de plaisir à se plonger dans les récits du professeur, qui donnait par exemple au cours sur les premiers liens diplomatiques entre les communautés centaure et et sorcière un ton fascinant et une couleur des plus intéressantes. Comment résister dès lors à pareil enchantement, quand on est depuis si longtemps élève de Serdaigle ? Il ne quitta la salle de classe qu'à regrets. Encore qu'il faisait grand faim... donc il accueillit avec soulagement l'heure du déjeuner.
Quelque chose de plus intéressant, bien sûr, vint pimenter la journée, plus tard, alors qu'il prenait la route de la salle commune, après les dernières classes. Il n'aurait pu le prévoir, ni même l'anticiper. Dans un couloir, il découvrit la malheureuse dépouille d'un petit rongeur, qu'il identifia rapidement comme un mulot. Il le reconnut à sa robe brune, ses grosses oreilles et sa queue annelée. Mais la pauvre bête semblait... morte ? Non, à peine inconsciente, peut-être, ou endormie ? Il l'observa et très rapidement distingua les faiblesses aux côtés et l'inertie caractéristiques d'un empoisonnement. Qu'avait-elle avalé, l'inconsciente ? Probablement l'un des répulsifs dispersés à divers endroits du château pour éloigner les nuisibles... et que faisait-elle ici ? Il tira sa baguette et spontanément lui vint un sortilège de soin, qui éveilla le petit animal et lui rendit un peu de sa vigueur. « Toi, je t'amène dans les jardins. Hors de question que je te laisse te promener dans Poudlard sans surveillance... » Il rebroussa donc chemin, et bientôt dut subir l'étrange caprice des escaliers du château. Ceux-ci choisirent le moment de son passage pour manifester leur existence consciente et parfois facétieuse. Et quelle surprise, pour lui, de voir que l'escalier le conduisit non pas plus près des jardins, mais au pallier de l'étage supérieur... ou il eut la très improbable surprise de croiser sa sœur. Il écarquilla les yeux pour s'assurer de bien voir. Mais il n'y avait aucune illusion : c'était bien Lumen Macmillan qui lui faisait face. Pris au dépourvu, il ne sut d'abord quoi dire. Et finalement les mots sortirent de sa bouche, comme par automatisme.
« Bonsoir... Lumen. » Et d'ajouter avec la gorge nouée : « Ça fait plaisir de te voir... » Il y avait de la sincérité dans ses mots. Et autant de trouble et de tristesse. Mais le petit rongeur dans sa main semblait indifférent à la tempête qui naissait au cœur de sa poitrine.
Lumen Macmillan
CŒUR DE LIONNE
+ SORCIER DEPUIS LE : 23/08/2012 + PARCHEMINS : 5770
“Nous ne discutons pas la famille. Quand la famille se défait, la maison tombe en ruine.”
Rien ne justifiait dans cette journée monotone et tranquille un léger abus de whisky en fin de journée. Pourtant, Lumen s'était réfugiée dans un coin de la forêt interdite comme tous les autres soirs. Personne ne savait exactement où elle allait et ce qu'elle faisait. À vrai dire, elle ne le gardait pas spécialement secret. Si on lui posait la question, elle répondait tout simplement. Parfois, elle conviait des amis dans ses balades déconseillées à la seule condition d'un silence de cathédrale. Mais Lumen Macmillan faisait partie de ces personnes qu'on laissait en paix et qu'on préférait déranger sous aucun prétexte. Pas qu'elle avait pour réputation d'être une petite peste, ou une petite frappe, mais elle ne se foulait pas pour se montrer aimable. Et à force de se heurter à un mur, on finissait toujours par abandonner. Ce dont elle s'était parfaitement accommodée. Comme à chaque fois après les cours, elle rejoignit les sombrals, des créatures apaisantes et que personne ne voyait - elle bénissait Merlin chaque jour pour cela - accompagnée d'un sac rempli de tout et de rien et surtout de quelques bouteilles d'alcool. L'alcool. Son plus grand ennemi, mais aussi son compagnon de solitude. Le whisky brûlait sa gorge, mais avec le temps, on n'y faisait plus trop attention. Comme à son habitude, elle dessinait tout et rien, les arbres, les formes squelettiques des sombrals, les quelques oiseaux qui avaient le courage de se poser dans le coin. L'absence de bruits et d'agitation dans la forêt longeant le domaine de Poudlard l'appaisait considérablement. Elle était plus sereine, moins en proie aux doutes. Tout lui semblait tellement plus simple et plus facile après deux bonnes heures ici. C'est alors qu'elle laissa échapper un rire venu de nulle part, mais qui attisa l'attention d'un petit sombral. Il releva la tête et elle put achever sa composition tant bien que mal. Elle secoua ensuite la main comme pour le remercier. Un sourire sur le visage, elle admira son œuvre pendant deux ou trois minutes avant de le poser avec les autres. Elle jeta un coup d'œil alentour et réalisa ensuite qu'il ne restait que quelques gorgées dans sa bouteille. Elle les avala donc sans plus tarder. Elle bafouilla quelques paroles incompréhensibles. Il lui arrivait parfois de se parler à elle-même pour s'insulter la plupart du temps. Elle porta sa main contre l'écorce et se leva grâce à cet appui improvisé. Elle sentait une sorte d'engourdissement dans ses jambes. « Et merde. » Pesta-t-elle en faisant quelques pas comme pour faire disparaitre cette sensation. Elle fit quelques vagues arcs de cercle avant de se décider à rejoindre le château. Elle attrapa maladroitement ses dessins et les rangea gauchement dans son sac. Elle récupéra ses crayons éparpillés un peu partout et les fourra à leur tour. Elle plongea ensuite ses mains dans ses grandes poches et prit la direction de sa salle commune.
Elle marchait lentement et remettait sans cesse son sac sur son épaule. Sa vue était légèrement brouillée et ses réflexes quelque peu diminués. Heureusement, l'ascension vers la tour de gryffondor ne demandait pas de grands efforts. Elle attrapa fermement la rampe pour gravir les marches. Sept étages à monter... Outch ! Cela aurait pu très bien se passer. Elle serait arrivée dans son dortoir sans encombre et se serait laissé tomber sur son lit et voilà. Mais c'était sans compter les escaliers qui faisaient régulièrement des leurs et qui conduisaient souvent les élèves et professeurs au mauvais endroit. Eh bien, vous savez quoi ?! Bah ils prirent vie et choisirent d'emmerder la pauvre gryffondor qui avait juste besoin de sommeil. Par chance, bien accrochée à la rambarde, elle ne tomba lamentablement. Elle ne demeura pas immobile, bien entendu et fut même prise de nausées. Elle arriva donc à un palier le ventre retourné, mais du soulagement s'insinua en elle. Elle ne pouvait nier qu'elle était rassurée de savoir les "tours de manège" bien éloignés d'elle pour un moment. Elle accourut vers le mur le plus proche pour poser son sac à son pied et s'y accouder pour recouvrer ses esprits. Elle inspira et expira. Et surtout, elle pria pour ne pas vomir. Elle n'avait pas envie de rendre à une heure pareille et loin des toilettes. De quoi aurait-elle l'air après ? Il lui fallut bien plusieurs minutes avant de pouvoir se redresser en toute sécurité. En temps normal, cela lui aurait pris à peine quelques secondes. En tant que poursuiveuse acharnée, elle connaissait les sensations fortes. Mais ça doublé de son petit état d'ébriété, plus rien n'allait correctement. Elle se retourna pour observer les escaliers, d'autres tournaient encore, allaient et venaient et déposaient certains élèves. Elle vit plusieurs de ses camarades - principalement des serdaigles et des gryffondors - défiler. Elle n'était pas la seule victime. Mais tout paraissait se calmer jusqu'à ce qu'un événement imprévu se produise encore. Au début, elle n'y fit pas attention. Pour elle, il s'agissait d'un étudiant comme un autre. Elle ne voyait plus tout à fait clair, à vrai dire. Néanmoins, quand il s'immobilisa, elle s'approcha lentement, un peu vacillante et cligna plusieurs fois des yeux. Elle reconnaissait bien entendu, mais croyait à un mirage, ou une hallucination. Elle recula d'un pas pour mieux l'observer. Elle fit quelques mouvements de main et cilla encore et encore. Jusqu'à ce qu'il prononce son prénom. C'est alors qu'elle sursauta. Visiblement, ce n'était pas le moins du monde une création de son esprit. La voix semblait si réelle qu'elle ne pouvait que se résoudre à cette fatalité.
Elle n'eut pas la force de se concentrer sur ses paroles. Toute son attention fut attirée par les petits tremblement du rongeur dans la main de Clarence. La pauvre bête semblait tellement intéressante et intrigante. Obnubilée par l'animal, elle n'entendit que le dernier mot du serdaigle. C'est le silence de ce dernier qui finit par la ramener à la raison. Elle le regarda longuement avant de prendre la parole, peu certaine de savoir quoi lui répondre. « Tu... quoi ? » Mumura t-elle s'enfonçant dans une réflexion intense. Elle se mordilla la lèvre inférieure. C'était vraiment pas le moment de se creuser les méninges pour deviner ce qu'il avait bien pu lui dire. Cela entraînait bien souvent de violents maux de têtes. Et elle n'était pas prête à endurer ça. « Tu sais quoi ? J'ai absolument rien compris, mais si tu le dis. » Elle se força à sourire, n'arrivant même pas à se montrer méchante ou méfiante. Même la réticence n'atteignait pas sa gestuelle. Ses paroles pouvaient sonner moqueuses et un tantinet désagréables, mais sa voix prenait un chemin tout différent, légèrement euphorique. « Au début, j'ai cru que tu n'étais pas là... Je craignais d'avoir forcé un peu trop sur l'alcool. Ça me ressemblerait bien ça tiens. » Elle ne se rendit même pas compte de l'importance de cette révélation. On disait que la boisson déliait les langues, c'était peut-être bien le cas. Surtout qu'elle ne parlait jamais à son frère. Alors aborder un sujet aussi essentiel de sa personne, cela relevait de l'inespéré pour lui. « Mais tu es bien là, en chair et en os. Qu'est-ce que tu faisais de beau avant de tomber malheureusement sur moi ? » Elle croisa ses bras sur son ventre. Ses propos étaient tout à fait compréhensibles, bien que particulièrement étranges. Il ne s'attendait sans doute pas à ce qu'elle soit aussi bavarde. Et à vrai dire, elle s'étonnait elle-même. « Ah au fait, qu'est-ce qui lui est arrivé à ton rongeur ? » A vue de pif, elle aurait dit que c'était un rat. Mais n'y connaissant pas grand-chose là dedans, elle préférait s'abstenir de dire de quoi il s'agissait. Mais de toute façon, les rats, c'était pas plus gros ? « On dirait un peu une souris non ? Et il a un nom... ? C'est bizarre n'empêche de te voir avec ça. On ne s'attend pas vraiment à ce que ce que tu sois attaché à une petite bête. On n'apprend pas à aimer les animaux dans notre famille, ou à aimer tout court. C'est marrant ça. De toute évidence, ils ont aussi manqué quelque chose dans ton éducation. Je me sens moins seule tout à coup. » Et blablabla ! Et elle ne s’apercevait même pas de la masse d'information et de question qu'elle donnait. Surtout qu'elle enchaînait les sujets de conversation différents au fil des secondes qui s'écoulaient. En vérité, elle avait déjà oublié sa première interrogation.
La réaction de Lumen fut-elle à la hauteur des espérances du jeune homme ? Difficile à dire. Clarence ne s'attendait à rien en particulier, puisqu'il y avait si longtemps qu'il n'avait eu de véritable échange avec elle. L'occasion lui parut familière, il eut comme une impression de déjà-vu – mais celle-ci ne reposait sur rien, sinon le vieux rêve qu'il faisait de temps en temps et sous les brumes duquel sa sœur et lui se retrouvaient pour discuter, avant que l'inexorable réveil ne vînt le tirer du sommeil. Il en oublia presque le petit mulot dans sa main, qui tremblait et parfois s'apaisait, comme s'il trouvait du réconfort au contact assuré de ces doigts sur lui refermés. Clarence comprit rapidement que sa sœur n'était pas tout à fait en pleine possession de ses moyens. Il ne reconnut pas tout de suite son ébriété. Il était lui-même un peu sonné, après tout, et les quelques mots de Lumen ne firent rien pour lui rendre la pleine possession de ses moyens et de ses esprits. Il se sentit soudain très bête et fort stupide. Qu'est-ce donc qui motivait l'euphorie qu'il percevait dans sa voix et dans ses propos ?
Il comprit néanmoins assez rapidement les tenants et les aboutissants de la situation, tout d'ailleurs tenait en quelques mots : Lumen avait un peu forcé sur l'alcool ; elle n'en fit pas l'aveu explicite, mais Clarence eut cette fulgurance de la pensée qui lui fit comprendre l'état de sa sœur, et en percevoir les signes évidents. Encore que ce n'était alors qu'une vague supposition qui peu à peu se nourrissait des circonstances. « Alcool ? »s'entendit-il répéter avec un brin de stupéfaction. Lumen reprenait déjà la parole, interrogeant ce qu'il faisait là et pourquoi il demeurait là. Tous deux auraient été bien en peine d'expliquer pourquoi les escaliers s'étaient entêtés à les faire se croiser. Elle était imbibée d'alcool, peut-être, mais lui n'en était pas moins imbibé d'incertitudes quant à ce qu'il devait dire ou faire, d'autant plus qu'il n'était pas tout seul : un petit compagnon poilu se lovait dans sa main. « Eh bien... j'ai trouvé ce petit rongeur dans un coin du château. Il m'a semblé perdu et mal en point, alors je l'ai pris avec moi, soigné, et là je vais le conduire dehors... » Il y avait dans sa voix quelques intonations d'hésitation et de trouble. Ce n'était pas ainsi qu'il s'imaginait la revoir, la retrouver, lui parler. Parfois le hasard vous tombe au coin du nez, et rien n'y fait, vous êtes obligés de faire avec ! Il poursuivit néanmoins avec un peu du sérieux qu'il réussit à se recomposer.
« Il s'est cogné en plusieurs endroits des couloirs, c'est pourquoi il est un peu sonné je pense... puis bon, il est globalement intimidé, forcément, par la taille des lieux... » On faisait difficilement plus banal et convenu, comme réponse, mais le brave Clarence n'était pas tout en fait en état de faire la démonstration de sa brillante conversation. Plus il contemplait Lumen et plus lui revenaient des souvenirs enfouis et depuis longtemps endormis sous la poussière du temps qui passe. Et les derniers mots qu'elle scanda devant lui eurent l'effet d'une douche froide. Un véritable torrent de glaçons s'abattit sur sa nuque et parcourut l'ensemble de son dos... plusieurs fois. Il crut dès lors tout à fait que sa sœur était plus que jamais sous l'influence de la boisson ; il n'avait aucun moyen de s'en assurer pour le moment, mais chaque indice convergeait en ce sens et, surtout, il ne voulait la croire capable d'aborder le sujet de leur famille de si abrupte façon, de si brutale manière. Clarence fronça les sourcils. Il fixa le mulot qui lui retournait des yeux noirs et brillants.
« Oui, c'est clair, tu as bu... et tu... enfin. Il n'a pas de nom, je l'ai trouvé tout à l'heure et je ne compte pas le garder. Ce n'est pas une souris, c'est un mulot, une... euh variété de rongeur des campagnes, en fait. Plus gros et moins long que la souris. Enfin plus gros, tout est relatif, c'est un petit animal quand même... » Il se tut. Il n'était pas certain de vouloir répondre aux remarques un tantinet appuyées de sa sœur concernant leur famille et l'éducation qu'il avait lui-même reçu. Il se dit toutefois que ce n'était pas tous les jours qu'il pouvait parler avec Lumen et même si l'état de celle-ci ne la prédisposait pas vraiment à une conversation éclairée... certes, elle oublierait peut-être tout de leur échange à la faveur du réveil et de la gueule de bois qu'elle tiendrait, mais lui, dans tout cela ? « J'ai toujours aimé les animaux et m'en occuper. On apprend beaucoup de choses auprès d'eux. C'est vrai, ce n'est pas ce que papa et maman préfèrent chez moi, mais bon, ça ne change rien... »
Au contraire, cela changeait tout : c'était bien parce que leurs parents étaient ce qu'ils étaient et s'étaient conduits depuis toutes ces années comme ils le firent inlassablement que Clarence avait trouvé refuge auprès des animaux pour se distraire de leurs sévérités innombrables et constantes. C'était la bouffée d'air frais qui lui rendait supportable l'intolérable pestilence de certaines attitudes conservées par sa famille depuis plusieurs années, notamment à l'égard de Lumen. « Mais tu ne le savais pas, c'est normal, après toutes ces années... remarque, moi non plus, je ne savais pas que tu aurais été du genre à boire à cette heure-là... » Et un bon-point « je manque de tact » pour le frère aîné Macmillan ! Clarence avait souhaité inopinément introduire la question de l'alcool dans la discussion, car l'état de sa sœur l'inquiétait un peu – mais bien entendu, les troubles relationnels qui couvaient dans leur famille le rendait bien peu délicat et expliquait cette apostrophe... passablement maladroite.
Lumen Macmillan
CŒUR DE LIONNE
+ SORCIER DEPUIS LE : 23/08/2012 + PARCHEMINS : 5770
“Nous ne discutons pas la famille. Quand la famille se défait, la maison tombe en ruine.”
Lumen Macmillan ou comment passer pour un ovni aux yeux de tous. Elle n'était ni vraiment courageuse, ni spécialement réfléchie. Elle buvait pour noyer sa peine. Et ce à n'importe quelle heure, à n'importe quel endroit au risque d'attiser les regards méprisants sur elle. Les bruits de couloir courraient rapidement. Mais elle se fichait de ça, de tout. Les autres jasaient et alors ? Que lui apportaient-ils ? Qui étaient-ils pour la juger ? Chacun, elle les balayait d'un revers de la main comme on chassait une idée sombre. Elle ne les craignait pas et supportait leur présence si facilement que cela en devenait grisant. Ainsi en grimpant les escaliers vers la tour des gryffondor, elle s'attendait à croiser n'importe qui, mais pas son frère. Elle avait nié cette option aussi bien qu'on oubliait quelle paire de chaussettes on enfilait le matin. Clarence, elle ne le surveillait pas, ne cherchait pas à le connaitre et le laissait en paix. Parfois, elle s'autorisait à le regarder en catimini, mais rien de plus. Elle ne voulait pas lui parler ou essayer tout simplement. Peut-être parce qu'elle ne savait pas. Elle ne savait pas comment aborder sa famille autrement que par le mépris, la violence et la haine. Aller vers lui, ce serait faire preuve de faiblesse, pire d'humanité. Elle préférait s'enfermer encore plus sur elle-même que de venir vers lui. De toute façon, face aux Macmillan, elle ne gardait jamais son calme. Et à chaque rencontre, les choses s'envenimaient. Alors lorsqu'elle se retrouva nez à nez avec lui, ce serdaigle si parfaitement bien élevé, elle fut mal à l'aise. Son bon sens lui demandait de prendre la fuite, mais ses pieds ne suivaient pas sa volonté. Mais au-delà de cette gêne perceptible, le taux d'alcoolémie dans ses veines ne lui permettait pas de faire preuve de lucidité. Pire cela la poussait à bavasser comme une pie. Les paroles n'ayant aucun lien les unes, les autres. Sa raison laissait petit à petit place à l'euphorie due à l'ébriété. La conversation plus que pathétique transcrivait à merveille le malaise qui existait entre ces deux adolescents. Le poids de leur passé se ressentait à la manière dont Clarence articulait ses propos. Il semblait comme troublé et hésitant. Mais Lumen incapable de discerner l'embarras de son frère, se contentait de l'écouter et de suivre « Ouais... Mais s'il est à personne, pourquoi tu le gardes pas ? » Demanda-t-elle accoudée à la rampe du palier. Pauvre bête n'empêche qui avait été visiblement malmenée. La brunette aimait les animaux, tous autant que les autres. Peu importe s'ils puaient, s'ils étaient bêtes et peu appréciés des êtres humains, ils restaient quand même des êtres vivants qui méritaient un peu de considération. « Il a eu de la chance de pas se faire bouffer par un chat ton Edgar. Il y a pas mal de chasseurs. À mon avis, il serait bien plus en sécurité avec toi que dehors seul. Enfin fais ce que tu veux hein ? Mais si tu le retrouves mort dans deux jours, il ne faudra pas venir pleurer. » Elle leva le doigt en pointant le misérable mulot qui gesticulait. Elle le trouvait complètement ridicule et apeuré. Entre-temps, elle lui avait donné un nom tout aussi laid : Edgar. Ça sonnait dinosaure. Mais si ce truc avait un nom, Clarence ne pouvait pas l'abandonner.
Elle ricana lorsqu'il constata enfin qu'elle avait bu. Franchement, c'était Sherlock Holmes son grand frère en fait ? Elle ne comprenait pas vraiment pourquoi il ne désirait pas devenir le propriétaire de ce mulot. Il avait peur de quoi exactement ? De paraître pour un faible ou un truc comme ça ? Elle secoua alors la tête dans tous les sens. « Non, non et non. Tu ne peux pas le laisser ! Maintenant, il a un nom ! Il s'appelle Edgar. Tu n'as pas le droit d'envoyer cette pauvre bête à l'abattoir maintenant qu'il possède un prénom. Puis, il ne te fait pas un peu pitié ? Regarde-le, on dirait qu'il a besoin... De quelqu'un, pas de toi spécialement hein ? Mais franchement... Edgar me semble tout à fait apte à te supporter et t'apprécier à ta juste valeur. » Lumen se sentait l'âme d'une sauveuse de jour-là. Elle se voyait déjà convaincre le pauvre Clarence d'adopter Edgar. Aucune autre solution ne lui paraissait acceptable dans l'instant. Et s'il choisissait de le lâcher dans le parc, pas de doute qu'elle le récupérerait et l’emmènerait avec elle dans sa tour. Cette situation lui rappelait vaguement celle qu'elle avait elle-même vécut avec sa chouette : Lilith. « C'est à cause d'eux que tu ne veux pas prendre Edgar ? » Insista-t-elle loin de vouloir baisser les bras. Elle se sentait comme investie d'une mission, celle d'ouvrir les yeux à son grand frère. Peut-être était-ce le fruit de l'alcool. Mais qu'importe, cela demeurait un acte héroïque, ébriété ou non ! « Puis arrête de les appeler papa et maman. A part te mettre au monde, ils ne t'ont jamais rien apporté. En les appelants ainsi, tu sous-entend qu'ils t'aiment, mais comme cela est absolument impossible, tu te goures complètement. Je ne veux pas être méchante avec toi, mais il est grand temps d'ouvrir les yeux. A part Aileen, ils n'ont jamais aimé personne. » Elle fit la moue faussement vexée par cette idée. Ce qui la dérangeait vraiment n'était pas tellement la préférence qu'ils avaient toujours portée à leur défunte fille, mais le fait qu'ils l'accusent de sa mort. Non, mais ridicule. « Personnellement, je les nomme vieille harpie et troll dégarni. » Elle leva son pouce, puis son index comme si elle s'apprêtait à compter ou énumérer des choses. Dans tous les cas, la gentille Lumen faisait des choses un brin incompréhensibles. « Mais tu sais quoi ?! Ce n'est pas grave de ne pas leur ressembler. C'est même carrément gratifiant. Ils choisissent de faire des enfants et les traitent comme des... Des pantins de bois ! Tu connais Pinocchio ? Il s'agit d'un conte moldu. Bah nous, c'est tout le contraire de Pinocchio. » Elle passa une main dans ses longs cheveux bruns avant d'éclater de rire. Elle pensait les choses de la sorte, même si la comparaison lui était venue comme ça, sous l'effet de l'adrénaline. « On naît petit garçon ou petite fille, mais on devient pantin. » Aussitôt, elle bomba le torse, plus que fière de son image avant de rire de bon cœur tellement elle se trouvait ridicule. Oh ça lunatique, Lumen l'était. Par Merlin qu'elle pouvait se montrer désespérante et surprenante.
Le franc parlé de Clarence la surprit par la suite. Si on lui reprochait souvent de manquer de tact, on pouvait faire la même remarque à son grand frère. À croire que c'était de famille. Mais elle n'en fut pas vexée, ni même effrayée. Par certains égards, ils se ressemblaient. Mais Clarence était-il vraiment maladroit ? Parce que si Lumen fonçait tête baissée dans le tas et demandait des explications avec une franchise décapante, c'était complètement maîtrisé et désiré. Mais dans ce cas, elle ignorait si elle devait le prendre pour une attaque personnelle. Elle choisit donc de lui renvoyer l'ascenseur et pas de doute que ça ferait mal. « Tu peux t'en prendre qu'à toi-même. Vu les efforts surhumains que tu fais depuis huit ans pour m'éviter, forcément fallait s'y attendre hein ? » Et même si elle ne lui avait jamais parlé de ça - en même temps les occasions ne s'offraient pas énormément à elle- et lui en tenait rigueur. D'ailleurs, elle en voulait aussi énormément à Freya de se montrer aussi influençable et obéissante. « Je ne sais pas à quoi tu t'attendais, comment t'imaginais mon évolution. Mais la famille dans laquelle on a grandi, je présume qu'aucun de nous ne ressemble à ce qu'il était avant. Regarde-toi... T'es plus vraiment le grand frère fort et protecteur que j'admirais tant enfant. Il est où ce garçon-là hein ? Parti, mort. On l'a effacé, tué devrais-je dire au profit de toi... Fermé derrière tes bouquins et qui fait deux pas en arrière dés qu'il croise sa sœur. » Il en prenait pour son grade, le Clarence. Mais ce n'était pas méchant, enfin de base. Elle ne cherchait pas à le blesser, ni même à le faire culpabiliser. Sa langue se déliait, tout simplement, et ce, malgré elle. Elle ne contrôlait plus tout à fait ses paroles. Et encore moins leur portée. « Bah, tu vois, je t'aurais jamais imaginé comme ça avant. » Elle secoua la tête comme pour appuyer ses propos. Puis, elle ajouta innocemment : « On est, tous les deux, déçus comme ça. T'es content ? » Dans sa bouche, cela sonnait comme une véritable question. Mais fallait croire que bourrée ou non, bien intentionnée ou non, Lumen était juste hyper vexante.
C'était un fait : discuter avec Lumen ce soir serait fort difficile. Clarence avait pourtant connu son lot de difficultés techniques et passagères, en matière de conversation avec ses proches, ses amis, ses intimes. Il avait l'âge des premières fêtes et des premiers écarts de conduite, après tout, et sa sœur, face à lui, n'était pas la seule personne en état d'ivresse flagrante qu'il lui fut donné de croiser ; c'était toutefois la première fois qu'un membre de sa famille était directement impliqué, ce qui ajoutait sans doute à la complication... mais ce n'était guère la faute de la boisson, et plus de leurs parents, à bien y réfléchir. Si ceux-ci avaient par le passé adopté un comportement différent à l'égard de Lumen, Clarence n'aurait eu sans doute aucun mal avec la situation présente.
Peut-être même aurait-il été aux côtés de sa sœur, ivre également ! Par ailleurs la question de Lumen... n'avait pas de sens, et se révélait pourtant très pertinente. En effet, si ce malheureux rongeur n'était à personne et si Clarence appréciait tant les animaux, que ne conservait-il pas avec lui ce nouvel ami, que ne le recueillait-il pas pour en prendre soin et en faire une compagnie régulière et durable ? Les mots très durs qu'elle employait décrivait une réalité par ailleurs incontournable : trop de sorciers dans l'école y avaient amené leurs fidèles félins.
Autant de prédateurs, de menaces et de périls pour le malheureux Edgar... Loin toutefois de s'en préoccuper au premier chef dans l'instant, Clarence connaissait un trouble renouvelé à chaque seconde par la proximité de sa sœur, de cette sœur qu'il désespérait de voir revenir dans l'enclos de leur famille – non pour s'y enfermer, mais pour s'y retrouver tous ensemble à la chaleur du feu de la piété filiale. Son regard allait de la bestiole à Lumen, de Lumen à la bestiole. Quand sa sœur s'attaqua à la figure de leurs parents, un sursaut de fierté et de loyauté révérencieuse à l'égard de ses géniteurs lui fit froncer les sourcils. Il aurait pu rire à la dénomination choisie par Lumen pour désigner leur mère et leur père ; vieille harpie et troll dégarni, cela sonnait un peu comme l'amorce d'un duo comique !
Mais il ne put ni rire, ni même sourire, et ses doigts se serrèrent sur le malheureux Edgar qui dut retenir sa respiration. Plus sa sœur continuait, plus il sentait au fond de lui bouillir une colère jusque-là contenue qui n'était ni dirigée contre Lumen, ni contre lui-même, mais bien contre le choix fait par leurs parents, près de dix ans plutôt, d'exclure la sœur maudite du clan des Macmillan. Mais vinrent ensuite les attaques personnelles et, l'alcool aidant, Lumen se fit plus frontale et plus acerbe. Il l'évitait depuis huit ans. Ce constat, il ne chercherait pas même à le discuter. Il considérait avec un certain recul que tout ce temps perdu justifiait ces abaissements et humiliations indispensables.
Vint enfin son tour de répondre, mais que dire ? Face à sa sœur, que l'alcool pétrissait d'une énergie insoupçonnable, il se sentait en défaut, comme s'il lui manquait, à lui aussi, la faveur et la désinhibition que procure l'alcool et en dernière instance, l'ivresse aveugle et folle. Il garda contenance, hésita, mais ne tarda point à répliquer : « Non. » Ferme et perçant comme le cri d'un oiseau de proie dans le ciel d'un canyon américain, ce mot claqua sur ses lèvres, suivi bientôt par ces mots qu'il ne maîtrisait déjà plus. Sans colère, mais non sans humeur, il dit alors : « Je ne suis pas content, non. J'ai honte. Un peu. Beaucoup. J'ai été faible, oui, sans doute. Je me suis caché, oui, huit ans durant, c'est vrai, derrière des prétextes, des excuses, des peurs, des facilités. Oui, j'avoue, j'aurais dû faire un pas vers toi plus tôt, un pas vers nos parents, oui, quand j'ai eu l'âge de comprendre et de parler pour moi-même, oui. Oui, j'ai été, c'est vrai, un petit soldat bien obéissant, c'est vrai, endormi dans le confort du respect dû à nos parents. Tout cela... est vrai. »
Il haletait un peu. Il n'avait point parlé autant avec sa sœur depuis... des lustres. Et cela puisant en lui beaucoup d'énergie, car il en dépensait des quantités considérables, en secret, pour garder son calme, et parler haut et clair, et ne pas s'énerver.
« Je ne m'attendais à rien, je n'imaginais pas te croiser ce soir ou aucun soir, pour être honnête... mais tu sais quoi ? Je m'en tamponne le coquillard. Finalement, les escaliers, je leur dois peut-être une fière chandelle. J'ai longtemps rêvé de pouvoir te parler, tu vois, pour mettre les choses au clair, te dire mes vérités, continuer à te fréquenter malgré nos parents et le reste, bref... j'étais trop jeune, trop lâche, trop peureux, et trop heureux de me réfugier derrière mes bouquins comme tu dis, le temps a donc passé et ce qui était un désir puissamment explicite s'est fait volonté profonde et endormie. Voilà, au fond, te concernant, j'ai vieilli, j'ai un peu remis nos retrouvailles à une prochaine vie ! Mais c'est parfaitement stupide et comme je ne sais pas si sobre tu accepterais de me parler et surtout de m'écouter, je vais te le dire : nos parents, je les aime, mais je n'approuve pas tout de ce qu'ils ont fait et clairement, te concernant, je ne leur pardonnerai jamais. Et moi, égoïstement, connement même, je n'ai qu'un souhait, c'est te voir revenir à la maison. Un souhait impossible, je le sais, je le sais ! Mais alors j'en ai un autre sur ma liste, car oui, je suis un garçon prévoyant, c'est au moins de pouvoir te croiser dans le couloir et te sourire pour te saluer et te rappeler que j'existe. Il y a trop longtemps qu'on n'existe plus l'un pour l'autre, j'y ai ma part, c'est clair, et si je pouvais passer les cinquante prochaines années à te faire oublier que j'ai été un con de fantôme ces dernières années, alors je serais heureux à un point que tu n'imagines même pas... et je le dis comme je le pense, sans faux semblant ni maquillage ni rien du tout. »
Ses yeux brillaient un peu plus qu'à l'accoutumée. Il était très ému. Il avait parlé beaucoup et rapidement. Sa gorge sèche s'imposait à lui, comme un nœud au creux de son ventre, comme un poids sur ses chevilles. Il aurait voulu s'asseoir. N'avait-il pas été trop égoïste d'ainsi répondre à sa sœur qui n'était pas tout à fait en état de l'entendre, de le comprendre et de réfléchir aux implications de ses paroles ?
Clarence hésitait. Il craignait la réplique de sa sœur, se préparait déjà à entendre le flot des reproches et les portes qu'on claque définitivement. Il n'avait plus imaginé cette scène des retrouvailles depuis... des lustres. Peut-être Lumen le planterait-il là pour ce soir ? Plus tard dans la soirée, en tout cas, le jeune homme y repenserait et considérerait cette entrevue comme une petite victoire : au moins, désormais, il aurait un prétexte pour venir trouver sa sœur et, tout simplement, lui parler.
Lumen Macmillan
CŒUR DE LIONNE
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“Nous ne discutons pas la famille. Quand la famille se défait, la maison tombe en ruine.”
Comme les trois quarts de ses camarades, la gryffondor suivait deux options. Et il fallait noter la présence des soins aux créatures magiques dans son emploi du temps. Son inquiétude pour le petit Edgar n'était qu'une preuve de plus de son affection pour les animaux. Sans en être une grande adepte, elle leur portait un intérêt tout particulier. D'autant plus lorsqu'ils se trouvaient dans un piètre état comme ce misérable mulot enfoui dans les mains de son grand frère. Peut-être que toute cette attention étonna Clarence parce qu'il ne répondit pas vraiment à sa question. Requête aussi incongrue que légitime. Elle qui venait de lui partager sa surprise de le découvrir avec ce rongeur lui proposait à présent de le garder. Elle décrivit la dure réalité de Poudlard, les chats se baladaient dans les couloirs, chassaient. Si Edgar n'était pas avalé tout rond, il finirait par rendre l'âme à cause de son cœur fragilisé par des courses poursuites à travers l'école. Les mulots, ça durait combien de temps déjà ? Tout en y réfléchissant, elle compta sur ses doigts. D'après les livres feuilletés en bibliothèque ou librairie, elle dirait seulement un ou deux ans. Ce qui limitait clairement le temps qui restait à c't animal. Raison de plus pour lui apporter une vie tranquille au chaud dans la tour des serdaigle. Elle ne comprenait pas pourquoi, ni comment il pouvait se résoudre à le ramener au parc. Et il lui servit l'excuse sur un plateau d'argent lorsque le sujet de leurs parents arriva sur le tapis. Mettre tout sur leur dos, voilà quelque chose de bien commun. Elle s'en donnait d'ailleurs à cœur joie. Ils régissaient la vie de leurs enfants. Alors autant les juger coupable de tous leurs problèmes. Et quand elle prenait l'exemple des pantins de bois, elle n'était pas si loin du compte. Elle asséna malgré elle des coups violents. Sans doute aurait-elle aimé se comporter de manière plus maîtrisée. Mais vraiment, elle ne se rendait pas compte de l'étendue de ses paroles, de leur impact. Elle ne prévoyait que les conséquences directes de leur conversation. Et pour le moment, seule la survie de Edgar semblait réellement l'importer. Et vint ensuite le tour d'attaques personnelles. Quoiqu'on dise, Lumen était douée pour blesser. Elle avait été dotée par la nature d'une tête - et qui fonctionnait d'ailleurs très bien - mais aussi et surtout d'une franchise corrosive et vexante. Qui s'y frotte, s'y pique. Et même lorsqu'on ne lui faisait rien dans l’immédiat, elle mordait et crachait son venin. Une vipère déguisée en une jolie lionne. Parfois, elle faisait d'office d'excentricité dans la maison du courage à se demander presque ce qu'elle y foutait.
Et elle se tût, trouvant dans ses derniers mots une parfaite conclusion à son monologue insipide. Elle croisa les bras sur son ventre, tout en vacillant légèrement. Elle s'attendait bien entendu à quelques réflexions de la part de son frère. Aussi bien éduqué soit-il, il ne pouvait pas rester de marbre face à ces reproches. Néanmoins, elle ne se doutait pas un instant de la tempête qui se préparait. Elle le concevait trop lisse, trop maîtrisé, trop calme pour céder à la colère. Peut-être se trompait-elle, allez savoir. La vision qu'elle se donnait de l'éducation familiale des Macmillan s'avérait peut-être trop exagérée, trop stéréotypée. En soit, Lumen appartenait aux enfants rebelles excessivement communs. Les gosses comme elle, on les répartissait à gryffondor. On les y envoyait pour leur différence qui tranchait clairement avec les valeurs ancestrales qu'on leur vantait chaque jour dans leur maison. « Non ? » Répéta t-elle bêtement étonnée. La lèvre inférieure légèrement tremblante, elle essaya bien d'ajouter quelque chose, mais aucun son ne sortit de sa bouche. Elle serra finalement la mâchoire, arqua un sourcil interrogateur pour se donner un minimum de consistance. Les quelques rares qui la réduisaient au silence se comptaient sur les doigts d'une main et Clarence venait tout juste de rejoindre ces exceptions. Elle n'aimait pas se taire. Elle seule décidait d'arrêter de parler. Jamais personne n'arrivait à un tel résultat. Et le serdaigle pouvait s'en féliciter. Il venait de réussir un exploit. La suite fut tout aussi tranchante. Et elle considéra cette lancée comme mauvaise pour son esprit. Ça allait lui filer une migraine infernale très rapidement. Les maux de têtes qui la harcelaient étaient souvent dû un abus flagrant d'alcool, jamais de concentration. Oh non, ça jamais. Son cerveau surchauffait parfois et cela ne causait jamais des céphalées. Elle se focalisa donc tant bien que mal sur les propos de son frère. Elle n'en revenait pas de toute cette histoire. Elle accueillit la pause entre les deux monologues comme un soulagement. Elle cligna plusieurs fois des yeux pour les détendre. Ses paupières se fermaient presque toutes seules tellement ça piquait. Elle amena sa main droite à son front tandis qu'il reprenait déjà la parole. Elle inspira profondément et reporta son regard sur lui, toujours aussi attentive - enfin du mieux qu'elle le pouvait.
Lumen, elle absorbait trop d'informations à la fois. Les mots s’enchaînaient parfaitement. Autant les déblatérer était chose aisée, autant les enregistrer, semblait bien plus ardu. Deux histoires bien différentes dues à une dose trop importante d'alcool. Elle tiqua lorsqu'il avoua aimer leurs parents... Le proverbe "l'amour est aveugle" s'accordait à merveille avec cette situation. Elle ne comprenait pas comment cela était encore possible. Mais de son côté, elle aimait toujours sa famille, d'une drôle de manière mais quand-même. Malheureusement, elle ne parvint pas à revenir sur le discours de Clarence. Elle en entendait des brides, mais ne suivait plus vraiment. D'ailleurs, elle ne remarqua même pas lorsque tout ce cirque prit fin. Plus aucun bruit ne lui parvenait aux oreilles et pourtant... bah pourtant rien. Elle planta son regard dans les prunelles de ce dernier, c'est alors qu'un éclair de génie lui vint. « Ah euh... tu avais fini ? » Elle ne se moquait pas. Vraiment pas. C'était le genre de réplique qu'elle disait avec confiance aux gens qui l'emmerdaient pour leur prouver qu'elle se fichait pas mal de ce qu'ils disaient. Mais pas là. « J'ai pas tout suivi. Faut dire que ça ne tourne pas très rond là-haut. » Reconnut-elle avec humour tout en désignant sa tête de l'index avant de poursuivre cette fois-ci plus sérieuse : « Et euh... Edgar dans tout ça ? T'en fais quoi ? » A moins qu'elle ne devienne folle, il n'avait absolument pas répondu à sa question concernant la pauvre petite bête. « Je ne sais pas trop que tu as mangé ce matin pour être aussi vif. Comment qu'ils disent les moldus déjà ? Ah oui, t'as dû manger du lion. Bref, on s'en fout. Je crois qu'il faut pas s'énerver comme ça. Faut rester zen hein ? Et puis si vraiment, ça t'embête, saches que je t'en veux pas le moins du monde. J'ai passé l'âge d'être rancunière. » Menteuse, menteuse ! Hurlait sa conscience. Mais Lumen n'y prêtait pas grande importance. Sa conscience ne prenait plus trop de place pour le moment. Concrètement, elle l'oubliait au profit de la facilité, c'est à dire la possibilité de ne pas se prendre la tête. « J'ai pas envie de me disputer avec toi. On n'a plus trois ans quand-même. Mais je n'ai pas envie de faire comme si de rien n'était. Ce serait encore plus ridicule. Mais te planter là, ce serait tout aussi débile. Alors, je ne le ferai pas. » Dans le genre pathétique, la pauvre fille atteignait des sommets. Elle ne savait ni quoi dire, ni quoi faire, si bien qu'elle se tournait en ridicule. « Tout ce que je sais au final, c'est que je ne méritais pas ça. Je n'ai pas demandé à assister à la mort d'Aileen. J'ai pas non plus demandé de survivre. Et le pire dans cette histoire, c'est que je m'en remettrai pas. Ça n'arrivera jamais pour la simple et bonne raison que je suis morte avec elle... pas physiquement, bien entendu. Mon problème à moi, c'est ça en fait. Je ne vis pas. Je survis. Alors pas besoin de recoller les morceaux, ou de chercher à le faire. Tu perdrais tout simplement ton temps. Il y a plus rien à voir. Même pas les restes d'une pauvre farce » Mais elle ne pleurait pas Lumen. Elle ne pleurait plus. Elle avait vu la mort en face après tout. De quoi devait-elle avoir peur désormais ? Que lui restait-il ? Plus grand-chose.
Les premiers mots de Lumen, à la suite du monologue de Clarence, le blessèrent. Jurer le contraire serait mentir, mais la blessure n'était que légère, superficielle, elle serait guérie promptement, il le savait : dans son état, rongée par l'alcool et fatiguée par l'heure tardive, il ne faisait aucun doute que sa sœur n'était pas disposée à l'entendre, à l'écouter, à le comprendre. Il en avait tacitement et implicitement accepté l'augure dès qu'il s'était mis en tête de palabrer longuement et d'exposer son cœur à nu. Il ne put d'ailleurs retenir un franc sourire de s'épanouir sur son visage creusé par sa longue parole et par son humeur fragile. L'ivresse de sa sœur était touchante, et ses répliques ajoutaient à l'émotion d'un grand frère qui n'avait plus jamais eu l'impression de l'être depuis si longtemps. « Edgar ? Je vais le garder. Il mérite qu'on s'occupe de lui. »
Comme elle, en quelque sorte, que leurs parents avaient lâchement abandonné à son sort, suite à l'événement de la plage, plusieurs années auparavant. Une grande injustice lui fut faite autrefois. Clarence l'écouta. Il entendit ses déclarations et ne put se résoudre à les prendre pour argent comptant. Il y avait là trop de désespoir pour qu'il ne se sentît soudain pris d'un élan d'affection pour sa sœur. Il aurait voulu la prendre dans ses bras et la consoler, mais peut-on guérir quelqu'un du deuil qu'il fit de lui-même ? Edgar, entre ses doigts, parut lui-même très ému de la situation.
« Je ne sais pas. Je ne te reproche rien. Je crois qu'il y a toujours quelque chose à voir. Peut-être... peut-être que tu as besoin quelqu'un se lève pour toi, à la face de nos parents, quelqu'un de ceux qui étaient là, à l'époque, enfin, ce quelqu'un, je suppose que ce devrait être moi... » Là, plus que jamais, Clarence exprimait ce qui était pour lui une honte intime, ancienne, primordiale. Il le savait, il le sentait, il n'osait jusque-là se l'avouer, et pourtant cette vérité lui éclatait ce soir à la figure comme la bulle des mensonges accumulés depuis toutes ces années. Quelqu'un aurait dû s'élever contre leurs parents, aurait dû se dresser aux côtés de Lumen quand elle fut mise au ban de la famille, et Clarence aurait dû être celui-là. Il aurait dû assumer son rôle de frère, et de fils, pour rappeler à leurs parents leur propre rôle, qui consistait à protéger leurs enfants plutôt qu'à les diviser, qu'à les distinguer, qu'à ruiner la vie de Lumen pour des raisons encore et toujours obscures. Il laissa échapper un long soupir et ferma les yeux un instant. « Oui, j'aurais dû réagir et oui, c'est peut-être trop tard pour changer le passé. Mais me concernant... non, je ne peux m'y résoudre, je t'ai dit tout ça et je le maintiens, je ne veux plus vivre dans la prison des événements passés. Je veux m'en libérer et, crois-le ou non, te voir ce soir aura terminé de m'ouvrir les yeux. »
Mille fois déjà il avait rédigé la même lettre pour son père et sa mère, la même missive où il contait les malheurs de leur famille et l'extrême nécessité de la concorde, ainsi que son incompréhension à l'égard de leur choix fatal de mettre Lumen à l'écart, de priver le frère et la sœur d'une croissance normale, côte à côte. Quel duo seraient-ils devenus s'ils n'avaient pas été ainsi éloignés l'un de l'autre par la force des choses et par le choix cruel d'un père et d'une mère aux méthodes aussi mystérieuses que contestables ? En cherchant à purifier le clan Macmillan de la souillure Lumen, n'avaient-ils pas au contraire affaibli la famille dans sa substance même ? Il était temps, peut-être, pour Clarence d'exprimer tout haut ce que des années de réflexion et d'introspection l'avaient conduit à penser de l'événement en lui-même comme de la situation présente, étouffante et détestable. « Je ne veux pas non plus me disputer. Tu l'as dit, nous n'avons plus trois ans. Et en fait, je m'étonne moi-même. Il aura suffi d'une musaraigne et d'un mauvais tour de ces escaliers pour me faire cracher ce que je me répète en moi-même depuis trois ans au moins. Mais ruminer le passé, j'en ai ma claque, alors soit, je vois dans cette rencontre imprévue un signe et je m'y soumets. Il faut que quelqu'un te soutienne à la maison, et il faut que ce soit moi. »
Eh bien ! À en croire le registre de langue et le vocabulaire de l'ami Clarence, le jeune homme s'estimait comme investi d'une mission. Très noble de ta part, grand frère ! Mais en vérité, il n'en était rien, Clarence parlait avec l'âpreté et la spontanéité de l'émotion. Il n'avait ni réfléchi à la décision, ni mûri un plan quelconque, non, il se laissait porter par la témérité que lui conférait cette entrevue imprévue et plus étrange encore. Quand il aurait regagné la salle commune des Serdaigle, cette nuit, Clarence prendrait la plume et coucherait sur le papier la lettre qu'il n'avait jamais envoyé à ses parents. Sa décision, irrévocable, était prise. « On ne va pas effacer toutes ces années, mais on peut... je ne sais pas... peut-être... enfin, on peut mettre un terme à mes sottises et accepter d'être l'un pour l'autre un peu plus que des étrangers ? Moi j'ai envie de te connaître, de savoir ce que tu es et ce que tu n'es pas, et si tu n'es que fêlures et brisures, ce n'est pas grave, tu restes ma sœur, et je t'aime d'autant plus que je sais quel mal t'a été fait. »
Il prit l'initiative de poser Edgar sur son épaule et celui-ci, bizarrement, accepta de s'y nicher docilement. Clarence eut la faiblesse d'ourler ses lèvres d'un nouveau sourire.
« Bon, bien sûr, là, ce soir... je me doute que tu n'es pas en état de me raconter ta journée et je ne veux pas m'imposer, ni rien, hein... je veux juste pouvoir te saluer dans les couloirs quand je te croise et tant pis si ça gêne papa ou maman. » Clarence espérait bien davantage, à l'évidence, il espérait devenir pour sa sœur un ami et peut-être retrouver sa place de grand frère, mais il se doutait bien qu'il faudrait plus qu'une simple rencontre en haut des escaliers, et toutes les musaraignes du monde n'y pourrait rien changer.
Lumen Macmillan
CŒUR DE LIONNE
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“Nous ne discutons pas la famille. Quand la famille se défait, la maison tombe en ruine.”
Lumen accordait une grande importance à Edgar. Les mots, la concentration et les capacités d'écoute lui manquaient cruellement pour entretenir une conversation normale et pleine de sens. Son inquiétude extrême pour la malheureuse bête traduisait à merveille son état. L'euphorie provoquée par l'excès de boisson renvoyait d'elle une image assez pitoyable. Se suivaient dans sa voix, ses traits et son regard diverses émotions : de la joie déconcertante à la colère, mais tout cela marqué par une candeur attendrissante. Elle ne se voulait pas cruelle ou vexante. Elle essayait dans la mesure de ses moyens de comprendre le contexte et les conséquences que cela impliquait. Elle n'assimilait pas les tenants et les aboutissants. Néanmoins, quand Clarence déclara pouvoir gardé Edgar, elle en éprouva un profond soulagement. Prise d'un optimisme croissant, elle ne tarda pas à l'exprimer. Elle tapa des mains bien deux ou trois comme si elle venait d'assister à un grand spectacle. En un sens, on pouvait prendre cette décision pour quelque chose d'inestimable. La gryffondor ne s'y attendait pas. Encore hier, on lui aurait dit que son frangin se résoudrait à une telle option, elle en aurait éclaté de rire. Pourtant, cela se réalisait bel et bien. A croire que tout était possible finalement, même des rêves les plus improbables. « C'est super ça. On peut appeler ça une nouvelle géniale. En fait, je dirais même que c'est la meilleure de la journée. » Elle n'exagérait en rien ses propos. La journée de cours avait été particulièrement banale, pas même une bonne note ou un entrainement de quidditch pour égayer son existence. Il fallait parfois se contenter de ce qui nous tombait sur le coin du bec. Et la Macmillan l'avait appris à ses dépens. Et cette fois-ci, elle appliquait cette maxime, l'ébriété l'y aidant sans doute. Elle s'efforça ensuite de recouvrer un semblant de sérieux. Elle se livrait là à un exercice intensif. Il lui serait probablement plus aisé d'enfourcher son balai et de décoller. Question d'habitude. Avec le discours de son frère, elle retournait à une époque bien sombre de son passé. Elle coupait son enfance en deux, la première partie épousant les dates de naissance et de mort d'Aileen, et la deuxième étant simplement le deuil de cette disparition qui courait sur 8 années jusqu'à ce soir si particulier. Des Macmillan, personne n'avait la même version de ce pan de leur histoire familiale. Mais lequel avait-il la bonne ? Peut-être qu'en les réunissant toutes, on finirait par la connaître réellement.
« Et qu'aurais-tu pu faire ? Nous n'étions que des enfants. » On entendait pour la première fois de la soirée dans la bouche de Lumen une parole sensée et cohérente. Cette question avait pour destination aussi bien son cœur que celui de son frère. Elle remettait aussi en cause la décision de leurs parents de séparer la famille. Comment une gamine de 10 ans aurait pu tuer sa sœur ? Beaucoup de psychologues se pencheraient sans le moindre mal sur le sujet, l'analyseraient sous toutes ses coutures et fourniraient après une observation approfondie une réponse tordue, mais "scientifique". Mais pouvait-on seulement faire confiance à la science ? Cette hérésie des moldus ! Elle ne les rejetait en aucune façon, mais désapprouvait bien des idées. Elle adorait leur littérature, mais détestait leur technologie, leur industrie, le progrès comme ils le disaient. Cela tira un léger rictus ironique à Lumen pendant que Clarence persévérait sur la même voie. Décidément, il pensait réellement avoir raté quelques épisodes, mais elle ne le contredirait pas là-dessus. En vérité, elle lui reprochait plus de l'avoir laissée tomber que pas défendue. Tous les soirs, dans sa tête, elle l'accablait de bien des maux, mais pas de celui-ci. Elle était dure avec elle-même et les autres, mais demeurait d'un certain point de vue relativement réaliste. Plus elle l'écoutait, plus elle avait l'impression qu'il chercher à rattraper son erreur. Néanmoins, elle n'en demandait pas autant et ne comptait pas rentrer chez elle, chez les Macmillan. Elle ne concevait même pas l'idée de revenir auprès d'eux. Elle ne supporterait sûrement plus leurs visages sévères et leur ton méprisant. Elle en avait marre qu'on lui parle avec le plus grand mépris du monde. Et leurs parents maîtrisaient à la perfection l'art de vous dévoiler leur condescendance. Mais voilà Clarence parti en croisade. « Il m'a fallu huit ans pour le comprendre, mais ce n'est plus vraiment ma maison. La tienne, peut-être encore. Il y a des gens qui disent qu'une maison n'est pas un lieu, mais un sentiment. Et comme je ne me sens pas chez moi là-bas, j'estime que ce n'est plus comme avant. Je n'y ai plus ma place. Fin, je sais pas. Je fais peut-être de la philosophie de comptoir, mais il faudra t'habituer à cette idée. Je n'y retournerai pas. » Jouer sur les mots, voilà une tactique signée Lumen Macmillan. Elle trouvait utile, voire essentiel de partager le fond de sa pensée. « Je sais pas si ce que je dis est bien clair. Je croise les doigts en tout cas. Surtout que si tu veux que je me répète, ça risque d'être compliqué pour ma petite tête. » Elle se souvenait du thème général, du but recherché, mais restituer l'ensemble se révélait impossible à ses yeux. Alors, elle espérait qu'il avait tout suivi et tout enregistré dans son cerveau.
La suite fut tout aussi désarmante. Un instant, elle se crut dans une autre dimension, fruit de son imagination, et se pinça aussi discrètement que possible. Il fallait dire que si elle rêvait, tout s'expliquait naturellement. Mais une petite douleur piqua son épiderme et elle retint tant bien que mal un bruit de désapprobation. L'idiote. Elle ne savait pas - ou plus - comment prendre les choses. Cela devenait gênant. Pourtant, il n'y avait rien de plus banal qu'un frère désirant protéger, connaître sa petite sœur. Peu voire pas habituée à tant d'attention de sa part, elle s'en trouvait pétrifiée de la tête aux pieds. Elle ne bougeait plus d'un pouce ou d'un cil. Ai-mer ? Elle buta longuement dessus si bien qu'elle ne nota même pas la pause courte que prit Clarence pour poser le rongeur sur son épaule. Après quelques instants de transe, elle secoua la tête de droite à gauche pour reprendre en consistance. « Je crois que je m'imagine des trucs, c'est dingue. » Qu'elle dit en riant nerveusement. Elle se frotta le front avec agitation tout en cherchant quoi répliquer. Elle se sentait complètement paumée dans les méandres de son esprit. Elle avait un peu l'impression de se réveiller un beau matin coincée dans un brouillard épais en quête d'un rayon de soleil qui n'apparaissait pas. « Tu sais voler au fait ? Je ne t'ai jamais vu sur un balai. T'as forcément appris à voler en première année, mais depuis ? Benedict, bah, si en théorie, il connaît bien le quidditch, en pratique, c'est pas tout à fait la même chose et... » Elle s'arrêta net dans son élan. Plus maladroite et bavarde qu'elle, tu meurs. Elle fronça les sourcils, tout en remuant l'index. « J'aurais pas dû le dire ça... Mais tu le savais ça hein ? Non parce que j'ai cru comprendre que les mecs, ça parlait pas trop entre eux. J'ai même entendu l'autre fois qu'ils se donnaient une tape sur l'épaule pour se soutenir. C'est débile non ? Je me demande ce qui serait le plus bête... que ce soit une rumeur ou que ce soit un fait avéré. Je poserai la question à Ethan demain, tiens. Si je m'en rappelle bien sûr. Tu fais ça toi ? » Lumen était complètement à l'ouest, à la dérive en somme. Elle n'en menait pas large la petite Lumen. La situation lui faisait dire des choses absolument grotesques. Cela allait sûrement étonner Clarence et pourquoi pas l'amuser... ? Vu où les choses en étaient, plus rien ne surprendrait la miss. Elle songea finalement que son lit serait son meilleur ami pour le reste de la soirée. « Et si demain, je me souviens pas de tout ou que j'agis comme si ça ne s'était pas passé, tu ferais quoi ? Tu reculerais ou tu tiendrais parole ? Personnellement, je ne peux rien promettre, j'espère que tu en es conscient hein ? » Lumen buvait pas mal, parfois plusieurs soirs d'affilée dans la semaine. Elle connaissait depuis plusieurs années le refrain presque par cœur : migraine, souvenirs floutés, fatigue et parfois nausées. Bref, un cauchemar en quelques sortes. Combien de fois s'était-elle rendue en cours avec l'estomac retourné et les yeux exorbités ? Elle ne saurait malheureusement pas répondre à cette question. C'était difficile à dire. Les professeurs avaient essayé au départ de lui faire la morale, de lui rappeler qu'il fallait dormir au moins six heures toutes les nuits, de se nourrir correctement etc. Oui parce qu'en plus de l'alcool, elle ne s'alimentait pas tellement comme on le lui avait conseillé. Elle croisait un certain nombre de personnes aux cuisines lorsqu'elle s'y rendait tard le soir. Et là encore, elle ne saurait déterminer toutes les personnes qu'elle y voyait. Bref, pour une vie saine, stable et "normale" fallait repasser plus tard dans dix ou vingt ans. Peut-être que ça irait mieux à l'avenir.
Elle n'y retournerait pas. Cette phrase claquait l'air comme Gae Bolga, la lance magique de Cúchulainn dans la mythologie celtique irlandaise. Clarence en éprouva une peine immédiate et violente, mais qui ne fut ni pérenne ni profonde. Il ne pouvait attendre de sa sœur plus qu'elle n'était en état de lui donner et si ces mots avaient valeur d'absolue vérité pour les temps présents, l'espoir et l'optimisme du jeune homme se voyait nourris par l'enthousiasme que suscitait la nocturne rencontre, alors il ferait œuvre de patience et se montrerait attentif aux signes qui, peut-être, dans le futur, d'ici plusieurs années, donneraient à croire que Lumen serait prête à... rentrer à la maison.
Mais ces préoccupations-là attendraient, il ne chercherait jamais à l'y contraindre, et de pouvoir parler simplement avec elle représentait déjà pour lui bien plus que la plus haute des espérances qu'il nourrissait jusque-là. Il avait confié ses pensées, ses désirs, ses vœux, ses craintes, ses souhaits, et exposé l'entièreté des convictions qu'il avait trop longtemps muselées. Il s'était laissé aller, et quel bonheur ! Quelle joie d'afficher son cœur à la face du monde ! Enfin, pour être précis, à la face alcoolisée de sa sœur, et poilue d'un petit rongeur qui regrettait peut-être d'avoir quitté la moiteur tranquille du trou qui l'avait vu naître – je parle de son terrier, et non de... enfin... bref, vous avez compris ! Clarence se détendit. Un vague soupir de soulagement glissa du coin de ses lèvres arrondies d'un sourire... satisfait et serein. « Si je sais voler ? » Il ne put poursuivre toutefois, Lumen poursuivait et toujours soumise aux jeux innocents de l'ivresse, elle palabrait sans trop de cohérence autour des pratiques de la camaraderie virile et masculine.
Il partit d'un rire léger qu'un geste de la tête vint tempérer. Et tout aussi brutalement qu'un sujet plus frivole s'était introduit dans leur bizarre conversation, la question de leurs « retrouvailles » revint aux lèvres de Lumen, qui semblait mettre Clarence au défi de tenir sa parole. « Je tiendrai parole. J'irai à toi, je te parlerai et te tiendrai le même langage. Si tu me repousses, je respecterai ton choix. Mais ce soir n'arrive point par hasard. Edgar m'en est témoin, je ne vais pas manquer de saisir cette opportunité comme j'ai éconduit toutes les autres. » Il était bien sûr hors de question pour lui d'annoncer des couleurs et d'en présenter d'autres quand, le moment venu, il rencontrerait Lumen et serait alors en situation de faire la preuve ou de son honnêteté et de sa détermination, ou de sa faiblesse et de sa couardise. À vrai dire et à bien y réfléchir, il aurait donc l'occasion de se montrer plus Gryffondor qu'un Gryffondor, et il comptait bien ne point trébucher à l'heure blême, à l'instant fatal ou se jouerait pour eux l'avenir de leur relation.
Car Clarence n'ignorait point que l'état de Lumen et l'alcool qui dansait dans ses veines comptaient pour beaucoup dans le geste de ce grand frère qui se retrouvait lui-même autant qu'il espérait retrouver sa sœur. Il ignorait beaucoup de choses d'elle, malheureusement, et peut-être que bientôt l'inquiétude et l'angoisse se joindraient à la joie qu'il éprouvait d'avoir parlé avec elle et d'espérer pouvoir le refaire... mais par la barbe de Merlin, il s'en souciait comme d'une guigne ! « Désolé... je parle avec des mots qui manquent de spontanéité, mais mon sentiment n'en est pas moins très vif et très immédiat. Je ne veux pas te tenir loin de moi. Je veux qu'on ait une chance d'être l'un pour l'autre un frère et une sœur, pas parce que nous le sommes par le sang, mais parce que je le veux. »
Ce serait les derniers propos empreints de gravité qu'il professerait. Conscient des incapacités présentes de Lumen, il ne souhaitait pas l'accabler d'un discours trop étendu et trop longtemps sérieux. Plus détendu, il ajouta, l’œil baissé sur Edgar qu'il chatouillait du bout des doigts : « Les mecs parlent entre eux. Parfois. Mais c'est un truc de fille, enfin plutôt c'est un truc que font plus souvent les filles, donc c'est vu comme un truc de fille, et forcément les mecs craignent un peu d'être comparées à des filles s'ils font trop ouvertement des trucs de fille. Je crois que c'est ça, au fond, et ça paraît débile, mais je suppose que le poids des habitudes associé à la peur du regard d'autrui... » Il éteignit un fou rire dans sa gorge.
« Enfin moi je n'aime pas trop frapper l'épaule des autres, pour une raison simple, je n'ai pas l'épaule pour encaisser alors bon... finir la journée avec des bleus là où ça fait mal, non merci... heureusement il y a d'autres façons de faire, entre garçons. » Conscient de l’ambiguïté bien involontaire de son propos, il ajouta, le front légèrement rosi et la joue carrément enflammée. « Pour se soutenir et s'encourager les uns les autres, je veux dire... Benedict n'est pas très impressionnant sur un balai, et moi non plus. Rien que ce point commun qu'on voit chez l'autre, ça suffit à nous rassurer sur nous-même, encore que... je ne suis pas spécialement malheureux d'être à peine capable de léviter sur un balai à deux ou trois mètres du sol... Le Quidditch c'est sympa à voir, et dans les gradins on est parfois mieux loti que sur le terrain... » Ainsi, point d'accidents de Cognard par exemple !
Lumen Macmillan
CŒUR DE LIONNE
+ SORCIER DEPUIS LE : 23/08/2012 + PARCHEMINS : 5770
“Nous ne discutons pas la famille. Quand la famille se défait, la maison tombe en ruine.”
Clairement, Lumen s'égarait. Plus la conversation avançait, plus ses paroles manquaient cruellement de sens, de structure. Les phrases se suivaient, mais ne se liaient pas. Dans une discussion normale, avec deux interlocuteurs en état d'en tenir une, pas de doute que vous en comprendriez tous les tenants et aboutissants. Lorsqu'elle parlait, vous n'aviez qu'à suivre le chemin que prenait son discours, pas la peine de se prendre la tête, ni rien. Mais là ce n'était visiblement pas le cas. Et on pouvait offrir une médaille à ce cher Clarence de faire preuve de tant de patience, de jugeote et de compréhension. Un digne serdaigle. La grande Rowena en serait très fière. Avec des représentants pareils, elle pouvait reposer tranquille. Toutefois, en voyant Lumen, nul doute que Godric Gryffondor, quant à lui, s'en retournait dans sa tombe. Elle suscitait davantage la pitié, voire le mépris que l'admiration dans ces circonstances. Elle fixait Clarence de ses grands yeux vitreux et n'aspirait qu'à une chose : que son cerveau parvienne à tout stocker et connecter. On demandait beaucoup à ses neurones, mais ça ne semblait pas la contrarier plus que ça. Elle ne reprochait pas à son frère de monopoliser autant son attention et ses capacités intellectuelles déjà bien ralenties. « Bien. » Bien ? Oui. Simplement. Elle lui faisait confiance. Rien qu'une fois. Une petite voix dans sa tête lui recommandait de laisser une chance à ce grand frère regretté et désespérément attendu. Elle voulait le croire et cesser de le fuir, de le mettre en boite, et de rejeter cette éventualité. Quel danger courait-elle après tout ? Une énième déception ? Ce ne serait qu'une de plus dans son tableau de chasse. De plus, c'était une manière évidente de se rassurer concernant les ressemblances qu'on relevait de ses parents et d'elle. Quel horrible cadeau que de l'apparenter à ces personnes ! Elle le réfutait complètement - quoique pas entièrement, mais quand même. « Des mots, ce sont que des mots. Je ne m'en officialise pas. À un autre moment peut-être, mais pas là. » À vrai dire, il devait sans doute remercier sa bonne étoile de l'avoir conduit auprès d'une Lumen à moitié à côté de ses pompes dont le discernement laissait à désirer. Elle ne réussissait pas à se vexer, à le rembarrer, ou se compliquer la vie. Alors oui, elle passait avec aisance pour une dingue, mais pour une première approche, il tombait bien.
Le quidditch ou la vie de Lumen. Sa plus grande passion. Ses espoirs. Son avenir sans aucun. Bien entendu, ce sujet se retrouva sur la table en surprenant le serdaigle soit dit en passant. Elle n'hésita pas à l'interroger sur des pratiques dites « masculines ». La façon dont les personnes percevaient les confidences et la parlotte la révulsaient. « Ça devrait être interdit de juger quelqu'un selon des normes. Puis, c'est quoi les normes finalement ? C'est ce qu'une majorité de cons décide pour la planète entière. Quand tu avoues croire aux reliques de la mort, on te prend pour un malade. Quand tu aspires à devenir peintre, on te dit que ce n'est pas un vrai métier. Et les gens qui aiment la lévitation, bah, on les trouve trop bizarres pour les fréquenter. Notre monde ne tourne vraiment pas rond, pas vrai ? » Elle gambergeait sur la question depuis de trop nombreuses années. Les mois défilant et les gens se ressemblant, elle avait fini par en venir à cette lourde conclusion discutable selon le point de vue. En définitive, tout se résumait à ça, des angles de pensée différents. Voilà pourquoi il existait plusieurs vérités - et Lumen l'envisageait vivement - d'une situation. Avec une telle façon de concevoir les choses, elle ne risquait pas de finir au département de la justice magique. Tout le monde la prendrait pour une laxiste, une incapable, une illuminée au mieux. Les sourcils froncés, elle l'écouta, du mieux que ses forces le lui permettaient, parler des marques d'affection et ce qu'il adoptait comme technique. Tout à coup, une image complètement absurde s'imposa à elle. Elle captait les propos de Clarence à l'envers, quoique pas totalement. Elle le voyait fragile physiquement ou quelque chose comme ça. Le trait d'humour - si c'en était bien un - utilisé ici lui passa complètement au-dessus de la tête. « Ce n'est pas dangereux le quidditch !! » S'exclama-t-elle brusquement. Sa voix était montée crescendo. Seulement, elle n'attisait pas la crainte, plutôt la surprise. C'était les paroles d'une passionnée, voilà tout. « En plus, l'infirmière, elle te remet sur pied en moins deux. Un petit coup de baguette ou une potion dégueulasse et voilà. Elle sait même faire repousser un os. » Comme pour donner de l'importance à ses affirmations, elle hocha la tête avec insistance et confiance. Là-dessus, elle ne lâcherait pas le morceau. Non de nom ! « Un jour, Benedict t'épatera. Il volera aussi haut que les oiseaux. Puis toi aussi, si tu veux. Wow... » Elle apporta sa main à son front, commençant à sentir une gêne à ce niveau. Sa tête tournait un peu et la conséquence fut toute simple... Elle ne voyait plus très clair. Les conséquences d'un verre de trop commençaient à s'en ressentir. Elle empestait sûrement l'alcool à dix kilomètres à la ronde. « Donc je disais... Euh, je sais plus. » Non, Lumen ne souffrait pas déjà d'un début d’Alzheimer. Elle perdait juste pied. « Il est temps que j'y aille, je crois. Les bras de Morphée m'appellent. » Elle se sentit satisfaite de finir en beauté. Elle aurait pu offrir un tout autre spectacle. Un spectacle pathétique, bien entendu. Se retourner comme un gant et rendre le peu qu'elle contenait dans son estomac était l'une des options. Par chance, ce ne fut pas le cas cii. Un léger sourire se dessina sur son visage émacié et elle s'en alla courageusement vers la salle commune de gryffondor. Doucement, mais sûrement, elle se saisit de la rembarre et grimpa les marches une à une en un temps plutôt réduit. Quelle image renvoyait-elle ? Je vous le demande, affligeant.