Morgan donna un coup de pieds discret et léger dans le débris de bois à ses pieds. Un reste d’éclat de ce fameux soir. Revenir ce soir-là à Pré-au-Lard n’était pas prudent, ce n’était pas sûr, c’était même inconsidéré, si peu de temps après cette nuit sanglante… Morgan se souvenait des étalages fracassés, du chaos, des cris, des hurlements, de la chaleur, de l’odeur du sang, de beaucoup de choses. Il se souvenait particulièrement d’un instant, un des derniers instants, alors que son masque l’étouffait et qu’il avait perdu la tête, emporté par la folie ambiante. Elle était là, devant lui… Morgan tira une longue bouffée sur sa cigarette, tirant un peu plus sa capuche sur son visage – il était habillé comme un moldu, en jean et en sweat-shirt – pour se dissimuler. Et il la revoyait… Ses cheveux d’ébène flottant autour de son visage alors qu’il lançait son premier sortilège. Il ne la connaissait pas, mais il l’avait vu aider ceux qui se battaient contre eux, c’était suffisant pour qu’elle se retrouve couverte d’entailles profondes et cuisantes, terriblement douloureuses. Le jeune homme aspira une autre bouffée de fumée. Ensuite, il avait continué à la torturer, à moitié conscient seulement. Elle n’avait pas été la première, ce soir-là, à recevoir un sort de Morgan. Mais elle avait celle sur qui il s’était le plus acharné. A présent, il était de retour sur les lieux du crime et ses doigts fourmillaient rien qu’à y penser, il aurait même pu trembler. La nuit était tombée et Morgan attendait silencieusement dans cette ruelle. Une des plus éloignée du centre de Pré-au-Lard. Il avait déjà bu la moitié de sa flasque et caressait distraitement le J gravé délicatement dans l’inox. Il avait encore envie de boire mais il n’avait pas envie d’être complètement paumé cette nuit. Alors en attendant, il préférait se perdre dans des souvenirs. C’était, de toute façon, une des choses qu’il avait toujours le mieux fait. Et parfois, il en était mélancolique, il avait envie de se rouler en boule dans un coin, se laisser submerger par la nostalgie, le remord et pourquoi pas pleurer. D’autre fois, il explosait, de colère, de rage, il était hors de lui. Et il y avait ces fois là où son esprit était froid, lucide, où il analysait la situation. Morgan n’était donc pas exactement de bonne humeur, mais la perspective de cette nuit à venir l’empêchait d’être trop sombre. Il éteignit finalement sa cigarette, finie, et tourna la tête vers le bout de la rue. Il n’y avait personne, pour l’heure. Pas âme qui vive, et il continuait à attendre. Il attendait Ezekiel. Il y avait un certain temps qu’il ne l’avait pas vu et son corps se tendait d’anticipation à l’idée de retrouver le jeune Serpentard. Ils n’avaient pas énormément d’écart mais Morgan avait été amené à le côtoyer souvent, par le biais de son père, et de Damian… Puis les choses s’étaient faites toutes seules et Ezekiel avait pris une part trop importante dans sa vie pour avoir besoin de mentionner les raisons de leurs retrouvailles. Il était amusant de voir comme Morgan avait des connexions différentes avec chacun des membres de la famille Yaxley, et le lien qui l’unissait à Ezekiel était celui qu’il préférait. Ils n’avaient pas les mêmes vies, mais il se revoyait en lui, il se retrouvait. Par de nombreux aspects, Eze lui rappelait tout ce qu’il était par nature et tout ce qu’il essayait d’être. Il l’avait vite pris sous son aile, bien décidé à le guider sur le chemin qu’il avait lui-même emprunté. Ce n’était pas Rory Yaxley qui le lui reprocherait, mais Morgan ne le faisait pas pour cet homme. Il le faisait parce qu’il sentait que c’était là qu’Ezekiel devait aller. Seulement, il y avait ces fois où les deux jeunes hommes entraient en conflit, où Eze avait assez de bon sens pour ne pas le suivre, comme quand Morgan pétait les plombs ou déraillait un peu trop. Dans ces moments, ou plutôt après, Morgan s’en voulait de l’avoir entrainé dans certaines situations. Mais souvent, Ezekiel, qui partageait le mauvais fond de l’ancien Serdaigle, lui suivait de bon gré. Morgan ne savait pas ce qui l’attirait autant chez le jeune homme mais il aimait le sentir auprès de lui, et il aimait être avec lui, partager ces moments. Il voulait lui montrer, le voir s’envoler, et l’y accompagner. Malheureusement, ou heureusement, ce soir était une de ces fois. Un de ces envols. Morgan avait de plus en plus de mal à se canaliser depuis l’attaque du village. Il avait refoulé un moment mais le trop plein d’émotion commençait à le mettre à mal et il sentait l’épisode de dépression poindre. Il fallait qu’il évacue. Et on lui avait justement parlé d’une famille moldue, par le biais de Travers, dont le chef de famille dérangeait les mangemorts. Lui n’était pas moldu. C’était un sorcier, d’ascendance complètement batarde, un cracmol a qui ont avait par erreur donné une baguette, Morgan ne voyait pas d’autre solution. Son statut de sorcier était une honte… Et cet homme fouinait un peu trop au ministère ces derniers temps. Plus pour longtemps… Seulement il ne s’en doutait pas. Il habitait dans la banlieue Londonienne, et ce soir, c’est là-bas qu’il emmènerait Ezekiel. C’est là-bas qu’il relâcherait le stress survenu après le massacre de Pré-au-Lard et celui du jeu du chat et de la souris qu’il avait entamé avec la sœur de son petit protégé aussi, d’ailleurs. C’était là-bas qu’il formerait un peu plus Eze a, un jour, le suivre sur la voie du Seigneur des Ténèbres.
Du bruit troubla soudain le silence profond de la ruelle. Un chat, qui feula et fusa du bout de la rue pour passer en trombe devant Morgan et disparaitre de l’autre côté, dans les ténèbres. Morgan sourit, c’était l’heure, il était plus de dix heures… Il se mit à jouer du bout des doigts avec le bord de sa capuche et sortit de l’ombre, s’approchant du bout de la ruelle, jusqu’à ce qu’une silhouette familière n’apparaisse. Celle d’un garçon qu’il connaissait bien. Son rythme cardiaque augmenta, il se sentait bien, excité… « Eze, » souffla-t-il en franchissant le dernier pas qui les séparait. Ensuite, Morgan ne put s’empêcher de l’attraper par les épaules et de l’attirer contre lui pour l’étreindre. Il y avait trop peu de gens avec qui il partageait suffisamment de bon pour pouvoir être proche d’eux de cette manière. Mais respirer l’odeur d’Ezekiel en le serrant dans ses bras, juste là, c’était déjà tellement plus que beaucoup de ce qu’il donnait aux autres. Lorsqu’il le relâcha, il souriait. « Aucun ennui pour sortir du château ? Les passages doivent être surveillés… » Demanda le jeune homme en observant le brun en face de lui. Il n’y avait pas une éternité, non plus, qu’il ne l’avait pas vu, et pourtant, Morgan avait l’impression qu’Ezekiel avait grandi. Il était toujours aussi beau, en revanche, ça, ça ne changeait pas. « On transplanera directement à côté des résidences dans lesquelles nous nous rendons, » ajouta-t-il, puis il tendit la main. Ezekiel aurait besoin de l’accompagner pour transplaner. Il ne devait pas avoir la moindre idée de la localisation de leur destination. « Il y a un parc, là-bas, on pourra s’y installer et parler un peu pour que je t’explique tout mais il faut se bouger de quitter cet endroit. »
« Are you insane like me ? Been in pain like me ? Bought a hundred dollar bottle of champagne like me just to pour that motherfucker down the drain like me ? Would you use your water bill to dry the stain like me ? »
Ce n’était pas dans les habitudes d’Ezekiel de faire le mur. En revanche, il n’était pas contre transgresser quelques règles de temps à autre et, vu les évènements récents, il s’avérait que de nombreuses règles plutôt contraignantes avaient été mises en application à Poudlard. Parmi elles notamment, un couvre-feu, la suspension des cours pendant encore plus d’une semaine (mais ça, c’était un détail) et la suppression des visites à Pré-au-Lard. Logique, après ce qui s’était passé au village sorcier. Ezekiel ne s’y était pas trouvé personnellement, ce premier avril-là. Encore aujourd’hui, il se demandait s’il regrettait de ne pas avoir été sur les lieux et de ne pas avoir participé dans l’ombre à l’attaque (et croiser son père à l’occasion ?), ou si au contraire il préférait avoir été à étudier à la salle commune de Serpentard. Quoiqu’à y réfléchir… il aurait aimé être sur les lieux, pour diverses raisons : d’abord parce que c’était la première attaque officielle des « copains » du paternel Yaxley, et ensuite parce qu’il s’avérait que quelqu’un avait versé du sang pur… en attaquant sa fiancée, l’héritière Blackwood. D’accord, il n’aimait pas la jeune femme, autant le dire directement. Mais pour les apparences, c’était toujours mieux de ne pas avoir une fiancée découpée de partout et prête à vous casser la figure à la Moldue parce qu’elle avait été un peu secouée lors de l’attaque. Sinon, en soi, non, Eze n’aimait pas Dawn, ou uniquement pour l’embêter quand il n’avait rien de mieux à faire, en lui rappelant que de toute façon les mariages arrangés, on ne pouvait rien y faire alors autant en profiter, non ? Mais le garçon menait tout de même sa petite enquête personnelle, plus par curiosité que par réelle compassion envers Dawn, juste pour le bénéfice de savoir qui avait fait ça, mettre un nom, et puis passer à autre chose. Et peut-être que Morgan en saurait quelque chose, lui qui était proche de ce cercle-là.
C’était effectivement Morgan qu’il allait rejoindre bientôt, et c’était donc pour cette rencontre envisagée plus tôt qu’il faisait le mur. Ce ne fut pas si difficile de passer outre l’interdiction de sortir de sa salle commune, de traverser les couloirs et étages et de trouver un potentiel passage secret vers Pré-au-Lard. Et, étonnamment, il y avait peu de surveillance. Mais, presque par instinct (ou par logique), Eze se disait que s’il venait de passer sans difficultés, il en aurait quelques-unes pour rentrer. Et puis, tout d’ailleurs, le couvre-feu n’était pas dépassé de beaucoup et ils ne venaient pas vérifier dans les dortoirs si tous les élèves étaient bien là. Dans le pire des cas, ce qu’il risquait, c’était ? Une retenue ? Ils n’allaient pas le renvoyer de l’établissement pour une simple sortie de laquelle il reviendrait vivant et en pleine forme, comme si de rien n’était ! Et si jamais ils envisageaient l’idée, Papa Yaxley aurait tôt fait de s’y opposer. Une fois les pieds à Pré-au-Lard, dans une ruelle adjacente, Ezekiel rabaissa la capuche de son sweat, ne ressentant plus le besoin de cacher un minimum son visage (ça avait été bon pour traverser incognito Poudlard, ça). Laissant échapper de la buée en expirant, il remarqua également que le village était désert. Toutes les boutiques étaient fermées (normal, à cette heure), et les quelques habitants avaient dû se barricader dans leurs maisons, au cas où. Mais les Mangemorts – tel était leur nom – n’allaient pas frapper deux fois au même endroit, surtout que le marché nocturne n’avait plus lieu. Ou peut-être que si, mais Eze aimait se dire qu’ils avaient plus de jugeote que ça (du moins, il l’espérait pour eux). De toute façon, Pré-au-Lard n’était qu’une escale, le point de rendez-vous. Morgan n’avait guère donné de détails sur le déroulement de la soirée, mais Eze comptait sur lui pour le faire une fois qu’il l’aurait rejoint et qu’ils auraient gagné Londres, leur réelle destination. Le brun s’avança donc dans la rue principale, silencieux, presque furtif, cherchant machinalement Morgan du regard et se disant qu’une quelconque silhouette, un simple bruit ou mouvement aurait tôt fait d’attirer son attention vu à quel point le hameau était désert. Il y avait même encore des débris de l’attaque. Le premier à attirer l’attention du Serpentard, néanmoins, ce fut un satané chat qui dut se croire particulièrement menaçant en passant devant lui à toute vitesse. Un chat. Vous lui faisiez une pichenette et tout de suite ça vous sifflait dessus. Enfin, là, Eze était surtout en train de marcher sagement dans une ruelle, ce qu’il y avait de plus banal au monde, et cette agression était purement gratuite. Les chats, des teignes. Un petit sortilège et ça faisait moins son malin ! Mais Ezekiel n’avait guère envie de torturer une bête à quatre-vingt-dix pour cent innocente.
De toute façon, Morgan venait d’apparaître dans son champ de vision et le rejoignit en quelques pas, arrachant automatiquement un sourire au coin des lèvres à Ezekiel. Il l’aimait bien Morgan, ou lui faisait confiance (ce qui, dans ce bas monde, n’était pas de refus). Ils n’avaient pas tant d’années d’écart que ça et le jeune homme était un peu ce qu’Ezekiel aspirait à être… Du moins, ça dépendait des moments, il ne fallait pas exagérer non plus. Mais oui, même avec ça, il appréciait assez Morgan pour le laisser l’étreindre comme il le fit, et ne pas le repousser ou en avoir une grimace ou un regard froid ; c’était qu’en temps normal, il n’était guère tactile. Sinon, ça faisait du bien de pouvoir se dire « Ah, je vais passer une bonne soirée, avec quelqu’un que j’apprécie ! » À part ça… S’il avait eu des ennuis pour sortir du château ? « Non, aucun. » Il eut un faible haussement d’épaules. « Sûrement en rentrant. » Question de… même pas de logique, en fait. C’était plus du cinquante/cinquante, une chance sur deux de se faire prendre ; s’il n’avait pas été pris en partant, il le serait en rentrant, il le savait déjà et s’apprêtait déjà à avoir une retenue dans la semaine. Pff, comme si ça allait lui faire quelque chose (d’autant plus que ça en valait la peine, cette sortie, au fond). Machinalement, Ezekiel joua avec le col de son sweat, le remettant, rabattant correctement la capuche dans son dos, le tout en observant ce qu’il voyait de Pré-au-Lard. C’était… à la fois étrange et fascinant de se dire qu’à quelques rues de là, il y avait eu une attaque, et tout ce qui allait avec. Mais le jeune homme préféra chasser ce genre de pensées pour le moment et reporta son attention sur Morgan, qui lui expliquait la marche à suivre pour rejoindre Londres. Il hocha la tête, brièvement. « D’accord, je te suis. » Comme toujours. Mais l’ironie dans son ton voulait clairement dire qu’il n’avait pas le choix, mais qu’il le faisait tout de même de bon cœur. Mais Morgan le pressait déjà de partir, alors Ezekiel obtempéra à prendre sa main et à tout de même demander « Il y a quoi dans cette résidence ? » en sachant qu’il n’aurait sa réponse qu’une fois dans le parc londonien.