Roxanne s'accroupit près de la porte entrouverte. De là où elle était postée, elle pouvait voir maman assise près de la table de la cuisine. Papa n'était pas dans son champ de vision, mais elle savant qu'il était là. Comme à son habitude, il devait être debout, appuyé contre l'évier, les bras croisés. Qu'elle était jolie, maman, avec ses cheveux blonds. Elle avait quand même l'air épuisée, avec de vilaines cernes noirâtres encadrant ses doux yeux bleus. La petite fille aurait tellement aimé lui ressembler. Avoir d'aussi jolis cheveux. Maman se frotta le visage de ses petites mains qui trahissaient son âge. « Qu'est-ce qu'on va faire, Ed ? Qu'est-ce qu'on va faire d'elle ? » soupira-t-elle. Roxanne fut un peu étonnée. De qui parlait-elle ? Ce n'était pas le genre de Maman de rejeter quelqu'un. Elle aidait toujours tout le monde, c'était une bonne personne. Papa se râcla un peu la gorge. « Que veux-tu que nous en fassions ? On va l'élever, comme une enfant normale. » « Mais elle n'est pas normale Ed ! Les gens vont le remarquer ! Tu m'as toujours dit que les moldus ne devaient pas apprendre votre existence ! » Roxanne s'assit doucement par terre, les yeux fixés sur maman. Elle paraissait très en colère et bouleversée à la fois. Elle parlait de moldus ; ça, Roxanne comprenait. C'était les gens, comme maman, qui n'avait pas de pouvoirs magiques. Papa, lui, en avait, et c'était toujours génial quand il lui montrait des tours avec sa baguette magique. La petite trouvait ça fascinant, mais Papa le faisait rarement. Il lui avait d'ailleurs fait promettre de ne jamais en parler à personne, sous peine de graves conséquences. Ces termes mystérieux effrayaient la fillette et elle s'était toujours tu. Pas une de ses copines de l'école ne le savaient. « Emily, calme-toi. Des métamorphomages, il y en a toujours eu, et les moldus ne savent toujours pas que nous existons. Tu te rends compte que tu parles de notre fille ? ». Papa semblait se fâcher, lui aussi. Roxanne comprit alors que depuis le début, les parents parlaient d'elle. Encore à cause de ses fichus cheveux. « Je sais. Ed, je voudrais tellement l'aider. Mais comprends-moi, ce n'est pas une vie pour elle. Qu'est-ce que disent ses camarades de classe quand ils la voient arriver avec les cheveux verts, et une heure plus tard, les cheveux roses ? » . Les larmes se mirent à couler sur les joues de la petite fille. Elle pleurait, mais silencieusement, pour que ses parents ne s'aperçoivent pas de sa présence. Maintenant, elle savait pourquoi papa et maman se disputait : à cause d'elle. À cause de ses cheveux. À cause de son pouvoir magique. Roxanne ressentait une multitude d'émotions, qu'elle ne parvenait pas toutes à identifier. Elle se sentait à la fois affligée de voir ses parents se disputer, mais elle ressentait également une immense colère envers elle-même. Pourquoi n'arrivait-elle pas à se contrôler ? Elle essayait pourtant de toutes ses forces, mais son pouvoir, son soi-disant "don" était plus fort. À chaque fois. Roxanne, malgré son très jeune âge, comprenait bien que, pour les moldus, elle devait paraître étrange et incompréhensible. Combien de fois la maîtresse lui avait posée des questions ! Et combien de mensonges extravagants la fillette avait du dire ! Seuls ses camarades de classe, qui l'avaient toujours connue comme ça et qui avaient encore la candeur de l'enfance, ne lui posaient pas de questions. « Ed, j'ai pensé à quelque chose. Et si… Si je lui faisais l'école à la maison ? Elle n'aurait plus besoin de supporter le regard des autres » continua Maman d'un air hésitant. Papa sembla considérer la chose avec beaucoup de sérieux, puisqu'il mit un certain temps avant de répondre. « Tu comptes l'enfermer ici ? La priver de toute relation sociale ? Quelle sorte d'enfance aura-t-elle ? » « Une enfance sûre. Les petits qu'elle côtoie deviendront grands, et les grands se posent des questions. Et quand ils ne comprennent pas, ils sont capables de bien des choses. Ça ne m'amuse pas de lui faire ça. C'est pour sa sécurité. De toute façon, ce n'est que temporaire. Après, elle ira dans ton école de sorciers, là, et elle pourra être complètement elle-même. Maintenant, il faut l'enfermer ». Roxanne se mit à sangloter. L'enfermer. C'était bien ce que Maman avait dit. Mais elle ne voulait pas. Elle voulait aller à l'école, voir ses copines. Maman remarqua la présence de Roxanne derrière la porte entrouverte et se précipita vers elle, effarée. « Roxanne ! » La petite fille s'était mise à hurler entre deux crises de larmes. « JE DÉTESTE LA MAGIE ! JE DÉTESTE LA MAGIE ! ». La petite courut dans sa chambre, attrapa une paire de ciseaux et se mit à couper ses cheveux, au hasard. Les mèches de cheveux bleus tombèrent à terre. « JE VEUX ÊTRE NORMALE ! »

« Tu es sûre que c'est une bonne idée ce que l'on fait ? » Roxanne se retourna vers Marcy, qui s'était arrêtée derrière elle. La petite blonde affichait une mine apeurée et crispait ses doigts sur sa baguette. « Marcy, franchement, t'es à Poudlard, profites-en ! Faut que t'aies des choses à raconter à tes gosses plus tard ! » sourit Roxanne malicieusement. Les deux jeunes filles descendirent les dernières marches et débouchèrent dans les cachots. Ils étaient exactement comme la Poufsouffle se les était imaginés : humides, sombre et relativement effrayants. Disons qu'elle n'avait pas envie d'y passer une nuit. Roxanne bailla, et regarda sa montre ; 3h43 du matin. Bon. « Tu savais que les cachots des Serpentards se trouvent sous le Lac ? C'est pour ça que c'est si humide » souffla Roxanne, émerveillée à l'idée qu'elle se trouvait actuellement sous cette impressionnante masse d'eau. Depuis sa rentrée, cinq mois plus tôt, à Poudlard, la jeune fille ne s'était jamais sentie aussi bien. Elle avait oublié ce qu'était le contact humain, ayant été, pendant son enfance, complètement isolée des autres enfants. Et surtout, elle pouvait enfin être elle-même. Plus besoin de devoir se contrôler. Ici, elle pouvait laisser libre cours à son pouvoir. Même si les changements inopinés de couleur de cheveux la mettaient toujours mal à l'aise, elle se faisait remarquer dans les couloirs et suscitait la totale admiration du professeur de métamorphose. Elle s'était en quelque sorte réconciliée avec son pouvoir, qu'elle considérait enfin comme un véritable don. Les métamorphomages étaient très rares, et elle était quand même fière d'en être une. Plus jeune, elle aurait tout donné pour être normale et que ses cheveux soient d'une même couleur unie. Désormais, elle n'en n'avait cure. Aujourd'hui, ses cheveux étaient verts et roses. Un mélange assez spécial, mais de toute façon, ce n'était que temporaire. « Je sais surtout qu'il y a un calamar géant dans le lac » chuchota Marcy, visiblement effrayée. Roxanne roula les yeux. Elle adorait sa maison, et ne regrettait pas du tout que le Choixpeau l'y ait envoyée, mais elle trouvait que les Poufsouffles étaient généralement beaucoup trop sages et peureux. Pour le coup, Roxanne se serait sûrement mieux entendue avec les Gryffondor. Mais elle appréciait quand même ses camarades Poufsouffles, calmes et sympathiques. C'était une maison très agréable et sans histoire. Roxanne s'arrêta devant une lourde porte de chêne massif, abimée par l'humidité. La jeune fille rabattit sa capuche sur ses cheveux colorés, car des gouttes d'eau tombaient du plafond. Quelques instants plus tard, une troisième fille les rejoignit. Elle avait les cheveux noirs et courts, et portait les insignes de la maison Serpentard. « On avait failli attendre » la salua Roxanne avec un sourire. Marcy baissa les yeux, impressionnée par la nouvelle venue. Marcy n'était pas du genre populaire : elle était craintive et extrêmement studieuse. Roxanne traînait avec elle un peu par pitié. Les trois jeunes filles se mirent en marche silencieusement et s'enfoncèrent un peu plus profondément dans les cachots. « Oh, j'ai pensé à amener une bougie ! » s'exclama la Poufsouffle. Elle sortit de sa cape un bout de chandelle et l'alluma avec un briquet, tandis que son amie Serpentarde sortit sa baguette. « Lumos. Je ne comprendrais jamais pourquoi tu te balades tout le temps avec tes accessoires moldus ». Roxanne haussa les épaules, sa chandelle tendue devant elle. « Je ne sais pas. Je ne suis pas à l'aise avec ma baguette ». Un long silence s'installa entre les jeunes filles, souvent interrompu par un bâillement. Puis, elles arrivèrent à un cul-de-sac et s'assirent un moment. Marcy posa sa tête sur l'épaule de Roxanne et s'endormit presque instantanément. « Dis, Roxanne… tu es née moldue, c'est bien ça ? » « Pas vraiment, ma mère est moldue, mon père est sorcier » « Aujourd'hui… J'ai entendu une conversation dans la salle commune. Des garçons prétendaient que les moldus étaient une race bête, sournoise, anormale et inférieure. Ta mère est comme ça ? Je veux dire, est-ce vrai ce que disaient ces gars ? » Roxanne fut complètement étonnée par la question de son amie. « Bien sûr que non ! Ma mère est complètement normale ! Tu ne crois pas que s'il y avait à choisir, ce serait plutôt nous les anormaux ? Nous avons quand même le pouvoir de faire voler les objets ! Tu ne trouves pas ça bizarre, toi ? » La Serpentarde fixa longuement Roxanne dans les yeux. « J'ai du mal à voir les choses sous cet angle » répondit-elle avec froideur.

Mrs Fitzgerald posa délicatement le sac de glace sur l'oeil noirâtre de sa fille. Elle posa un regard désolée sur elle. Pourquoi était-elle si… sauvage ? Si franche, si naturelle ? Roxanne avait toujours été du genre à protester, à se battre pour ses idées. Elle ne passait jamais par quatre chemins. Mais Mrs Fitzgerald avait toujours pensé qu'elle se calmerait une fois à Poudlard, en grandissant. Hors, ça n'était jamais passé, cela semblait même s'être accentué. « Roxanne, je t'interdis de recommencer tout ça. Tu vois dans quel état tu nous reviens ? Complètement amochée ! » Roxanne, tenant toujours le sac de glace, leva son regard bleu vers sa mère. Elle ne comprendrait jamais, elle, la moldue. Elle ne savait absolument rien du monde magique. Mr Fitzgerald l'en éloignait le plus possible. Il voulait la protéger, Roxanne le savait. Elle ne devait rien savoir sur ce qui se passait en ce moment. « Maman… » « Pas d'argumentation. Tu vas finir par te faire tuer ! Pour des stupidités ! » Non, vraiment, elle ne comprenait rien. « Crois-moi, maman, si on avait voulu me tuer, je le serais déjà. Tuer est extrêmement simple quand on possède une baguette » répliqua Roxanne, pleine de rancoeur. La colère commençait à monter à l'intérieur de la jeune fille. Pourquoi son père cherchait à tout prix à cacher à sa femme la gravité de la situation ? « Maman, tu ne sais rien de ce qui se passe à Poudlard. Les moldus sont de plus en plus mal considérés dans le monde des sorciers, soit, mais cela s'étend jusqu'à l'école. Il y a des groupes d'élèves anti-moldus, anti-nés moldus. Comment tu veux que je laisse passer ça ? Si on ne se bat pas, si on ne contre pas ces abrutis, je n'ose même pas imaginer ce qui nous arriverait » éructa-t-elle. Mrs Fitzgerald sembla un peu surprise. Elle oubliait parfois à quelle point sa fille grandissait vite. C'était presque une adulte, aujourd'hui, avec ses propres idées. Cela ne l'empêchait pas de la trouver trop impliquée dans ce conflit. Elle admirait son courage et son sens de la justice, mais elle pensait avant tout à sa sécurité. « Roxanne, voyons ! Laisse les adultes et les autorités compétentes s'occuper de ça. Tu vas continuer à te faire tabasser sinon. Tu crois vraiment que c'est normal pour une jeune fille de dix-sept ans de se battre ? » Roxanne tapa brusquement du poing sur la table et laissa choir la poche de glace, découvrant son oeil gonflé. « Quand est-ce que tu comprendras que je ne suis pas normale ? » cria-t-elle au visage de sa mère. « Depuis que j'suis gosse, tu m'empêches d'être qui je suis. T'as jamais réussi à accepter mon pouvoir, tu me cachais. J'ai dû attendre d'être à Poudlard pour être enfin libre. Et maintenant, tu voudrais également me censurer ? M'empêcher de me battre pour TA cause ? Non, désolée, cette fois, je ne t'écouterais pas. Tu n'as pas à décider à ma place. ». Très emportée, Roxanne quitta précipitamment la pièce et monta les escaliers quatre à quatre, laissant sa mère dans la cuisine. Mrs Fitzgerald venait de se prendre une grosse claque dans la figure. Elle ne s'était jamais rendue compte que Roxanne avait un caractère aussi fort. Les larmes lui montèrent aux yeux. Avait-elle fait une bêtise en l'éduquant ainsi ? D'un coup, elle se mit à regretter d'être une moldue. Elle aurait tellement voulu comprendre sa fille.